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Au Honduras, simulacre de mesures anticorruption

mardi 15 mars 2016   |   Alexander Main
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De grandes manifestations contre la corruption se sont déroulées durant le printemps et l’été derniers dans deux pays d’Amérique centrale. Au Guatemala, une enquête menée par la Commission internationale contre l’impunité des Nations unies a mis à jour une vaste entreprise de corruption. Elle a démontré que le responsable de ces méfaits n’était autre que le président du pays, Otto Pérez Molina. Cela a entraîné une amplification des manifestations dans la ville de Guatemala et en septembre, Otto Pérez Molina a reconnu les faits et a démissionné. Il est actuellement en prison, dans l’attente de son jugement.

Au Honduras, les manifestations ont débuté suite aux révélations d’un journaliste local, David Romero. Il a démontré que des millions de dollars du système de santé public national avaient été détournés au profit du parti du gouvernement – le Parti national – et de la campagne électorale du président Juan Orlando Hernández. Des hauts fonctionnaires et des dirigeants d’entreprises ont été mis en examen pour détournement de fonds dans cette affaire mais aucune charge n’a été retenue contre Juan Orlando Hernández ou contre les cadres du parti. Flambeaux à la main, des dizaines de milliers de manifestants ont exigé alors la démission du président et la mise en place d’une commission d’enquête dirigée par les Nations unies, à l’image de celle du Guatemala.

En réponse, Juan Orlando Hernández a appelé à l’organisation d’un « dialogue national » étroitement contrôlé. De nombreux dirigeants de l’opposition ont refusé d’y prendre part. Le président a ensuite proposé la mise en place d’un organisme d’enquête ne disposant d’aucune autonomie. Mais ceci n’a pas arrêté les manifestations. Face au maintien de ces protestations, l’Organisation des Etats américains (OEA) est entrée en scène pour tenter de construire un plan alternatif. C’est ainsi qu’est née la Mission d’appui contre la corruption et l’impunité au Honduras (MACCIH en espagnol).

Elle a été inaugurée, en grande pompe, au siège de l’OEA à Washington en janvier 2016 et a bénéficié de l’appui notable du Département d’Etat des Etats-Unis. Pour John Kirby, porte-parole du Département, la mission « répond à la demande légitime du peuple hondurien d’une action vigoureuse et significative contre la corruption ».

L’opposition au Honduras a indiqué, cependant, que le plan n’a pas d’efficacité réelle. Elle continue à réclamer la mise en place d’un organe indépendant appuyé par les Nations unies. Cinquante-quatre membres du Congrès ont sommé le Secrétaire d’Etat, John Kerry, d’appuyer cette demande. De plus, une coalition rassemblant quasiment la totalité des organisations de défense des droits de l’homme du pays a affirmé que cette nouvelle mission était « limitée dans sa capacité de lutte contre la corruption et l’impunité dans ce pays ».

Contrairement à la commission du Guatemala qui dispose de beaucoup d’expérience dans la lutte contre le crime organisé et la corruption de haut niveau, la commission du Honduras ne participera pas directement aux enquêtes et aux procédures légales. Dans une logique opposée, son équipe internationale de juges et d’avocats apportera seulement un appui technique aux enquêteurs et aux procureurs. Ces derniers, formant parti du système judicaire, sont susceptibles de subir des pressions politiques. La mission peut faire des recommandations pour réformer le système de justice défaillant mais le gouvernement est libre de les ignorer.

Le Honduras a besoin d’aide. Le niveau de violence y est extrêmement élevé et se trouve parmi les plus hauts du monde. Ceci va de pair avec l’existence d’un niveau terrible d’impunité des crimes. Les forces de sécurité du pays sont fortement infiltrées par le crime organisé. Elles sont « pourries jusqu’à la moelle » selon les déclarations d’un ancien officier de police faites au Miami Herald. Il a été tué deux semaines plus tard par balles. Nombre de journalistes, d’avocats, de militants des droits de la terre (lire « Mémoire des luttes dénonce l’assassinat de Berta Cáceres »), des droits de l’homme ou des luttes LGBT (lesbiennes, gays, bi, transgenre), ainsi que des dirigeants politiques de l’opposition ont également été assassinés sans que leurs assassins ne soient jamais inquiétés.

La réussite de cette mission dépendra de la volonté politique. Il y a peu de raisons d’être optimiste. Juan Orlando Hernández et le Parti national sont, en effet, connus pour avoir saboté l’Etat de droit.

En 2012, l’actuel président destitua, en tant que président du Congrès, plusieurs magistrats du Tribunal suprême pour les remplacer illégalement par d’autres, alliés. En 2014, son parti organisa la dissolution d’une commission indépendante de réforme de la police, hautement respectée, sans prendre en compte ses recommandations. Jusqu’à présent, le procureur général, Oscar Chinchilla, n’a pas réussi à inculper les responsables du Parti national pour le détournement des fonds du système de santé national.

Malheureusement, le gouvernement américain n’est pas en bonne position pour offrir de l’aide. En 2009, le Département d’Etat américain, avec à sa tête Hilary Clinton, favorisa le coup d’Etat militaire au Honduras, bloquant ainsi les initiatives visant à restituer le pouvoir au président de gauche Manuel Zelaya. Depuis, les actions diplomatiques de Washington ont consisté à appuyer les gouvernements corrompus post-coup d’Etat. Plus de cent membres du Congrès ont demandé au gouvernement d’Obama de condamner les violations des droits de l’homme perpétrées par les forces de sécurité au Honduras. Ils ont remis également en cause le soutien des Etats-Unis aux politiques de sécurité du pays.

Pour le moment, Washington continue d’appuyer Juan Orlando Hernández. Lors des mobilisations de l’année passée, l’ambassadeur des Etats-Unis a déclaré que « les relations entre les Etats-Unis et le Honduras sont peut-être les meilleurs de l’histoire ». Cette année, les Etats-Unis ont de nouveau augmenté les fonds dédiés à l’appui militaire et policier en Amérique centrale. Le Honduras a reçu une part significative de ces fonds, notamment par le biais de l’opaque Initiative régionale de sécurité pour l’Amérique centrale (CARSI en anglais).

Etant donné les limites du mandat de la mission anticorruption et les allégations contre les hauts fonctionnaires chargés de son application, il apparaît peu probable que cet organisme puisse permettre au Honduras de surmonter la crise. Elle semble plutôt donner une apparence de respectabilité au soutien constant des Etats-Unis à Juan Orlando Hernández.

Pour autant, la réglementation qui s’applique pour l’attribution des fonds du Congrès américain pour l’année 2016 met à disposition des outils qui peuvent mettre sous pression le gouvernement du Honduras. La moitié des fonds destinés au pays, des dizaines de millions de dollars, est conditionnée par le Département d’Etat au fait que les autorités bénéficiaires mènent bien des politiques efficaces contre la corruption. Ceci en coopérant avec les commissions contre l’impunité qui enquêtent sur « les membres de l’armée et de la police accusés de viols probables des droits de l’homme ».

Mais la question est de savoir si le département d’Etat est disposé à prendre au sérieux cette réglementation. Beaucoup de membres du Congrès ont exprimé des doutes à ce sujet ces dernières années. Il est probable que l’unique garantie de respect de ce processus soit justement le contrôle réalisé par le Congrès.

Les manifestants continueront sans doute à défiler dans les rues de Tegucigalpa en exigeant la création d’un organisme anticorruption réellement soutenu par les Nations unies. Si la mission promue par l’OEA n’obtient pas de résultats tangibles, Juan Orlando Hernández pourrait être emporté par le pouvoir populaire comme son homologue au Guatemala.

 

Ce texte a été publié en anglais dans The New York Times (15 février 2016) sous le titre « An Anti-Corruption Charade in Honduras ».

Traduction : Fanny Soares
Edition : Mémoire des luttes





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