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Brésil, démocratie en danger

jeudi 15 mars 2018   |   Christophe Ventura
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Ce pays n’est plus le même. Un nouveau type de régime est en place. Il vide chaque jour un peu plus la sève démocratique et sociale du Brésil. Dans le silence médiatique, droits sociaux et démocratiques y sont désormais rongés quotidiennement. Répression des mouvements sociaux, désintégration par « inanition » des services publics et des politiques sociales (plus de financements sans formellement stopper les programmes) comme l’a parfaitement exposée dans un débat du Forum social mondial l’ancienne ministre de Dilma Rousseff Nilma Lino Gomes (ministre des femmes, de l’égalité raciale et de la jeunesse), super austérité, judiciarisation de la vie publique, militarisation de la sécurité publique à Rio, pouvoir médiatique au service de ces évolutions.

Ce coup d’Etat contre la démocratie est polymorphe, progressif, sectoriel, il agit par petites touches, désarme en anesthésiant l’opinion publique, agit en conservant les apparences de la normalité.
C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier l’affaire Lula, qui risque d’être emprisonné, éliminé de la présidentielle qu’il gagnerait, sans que la justice ait seulement fait la preuve de sa culpabilité.

Un autre régime donc. 
« Quel avenir pour la gauche ? » était le titre d’un débat organisé mercredi 14 mars par le Conseil latino-américain de sciences sociales (CLACSO) dans le cadre d’une journée consacrée à ses cinquante ans d’existence.

Le pré-candidat du PSOL (Parti socialisme et liberté, à gauche du Parti des travailleurs) , le jeune Guilherme Boulos (leader du Mouvement des travailleurs sans toits) a rappelé que « le gouvernent non-élu de Michel Temer a ramené en deux ans le Brésil cinquante ans en arrière  ».

Et de rappeler l’enjeu de la présidentielle à venir : « Dans ce contexte, toute la gauche va agir dans l’unité. Lula doit gagner. Son élimination de cette élection ne serait pas que la sienne mais elle signifierait l’élimination du camp populaire tout entier et sa disparition du pouvoir d’Etat ».

Dans une ambiance d’assemblée en ébullition, le participant réalise que les gens présents au FSM sont en état de résistance démocratique. C’est le sens du slogan « Fora Temer » (dehors Temer). C’est frappant. Sidérées par ce basculement réalisé en deux ans tandis qu’elles vivaient encore sur le (faux) sentiment de leur hégémonie dans la société, les forces de gauche doivent maintenant se réinventer dans un contexte où elles sont réprimées.

« Dans la séquence précédente, entre 2002 et l’après 2008, la croissance économique a permis une redistribution sociale sans toucher aux privilèges de l’oligarchie. Désormais tout a changé. La seule manière de gouverner pour une majorité populaire sera de briser ces privilèges ».

Un autre régime donc.
Salvador, 14 mars au soir vers 22 heures. Tandis qu’avec Eric Coquerel, Florence Pozanski et Erik de France insoumise, nous dînons avec Guilherme Boulos et son équipe, nous apprenons l’assassinat de Marielle Franco, jeune conseillère municipale du PSOL à Rio. Tuée dans sa voiture de neuf balles avec son chauffeur depuis un autre véhicule, Marielle Franco était une farouche opposante à la politique policière du gouvernement dans les favelas.

« On ne peut pas écarter un crime politique, une exécution » me glisse Guilherme Boulos, larmes aux yeux.

Le PSOL exige une enquête immédiate rigoureuse. De nombreuses réactions surgissent partout sur les réseaux sociaux.

Un autre régime donc.
Toujours pas un mot dans les médias sur le FSM. Ils préfèrent faire leurs « Une » sur la tenue, en même temps, du Forum économique mondial pour l’Amérique latine à Sao Paolo. Un World Economic Forum présenté comme celui de la recherche d’une croissance économique au bénéfice de tous…

Et dans les autres pages internationales, il n’existe qu’un seul problème en Amérique latine : le Venezuela.
Un autre régime donc : la guerre, c’est la paix.

Illustration : Portrait de Marielle Franco

Photos (avec Ignacio Ramonet) : Guilherme Boulos, Nilma Lino Gomes, Boaventura dos Santos, participants en « résistance démocratique » et Salvador.

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Photo de Christophe Ventura





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