Initiatives

Des raisons d´espérer

vendredi 2 mai 2008   |   Emir Sader
Lecture .

L´Amérique latine bouge. Il y a de fortes raisons d´espoir qui viennent de l´Amérique latine, à nouveau. Il y a 15 ans, Clinton a fait un gouvernement tout entier sans croiser même le Rio Grande, sans aller même au Mexique pour signer le Traité de libre commerce de l´Amérique du Nord (NAFTA). L´Amérique latine se comportait bien, de leur point de vue. Dix ans après, le gouvernement Bush n´a pas pu avoir l’appui d´un seul gouvernement de l´Amérique latine pour l´invasion de l´Irak – ni même celui du Mexique, son étroit allié. Le Traité du Libre Commerce des Amériques, le projet stratégique des États-Unis pour l´Amérique latine, a échoué.

Après avoir été le laboratoire des expériences néolibérales au monde, et exactement à cause de ça, l´Amérique latine est devenue le maillon le plus faible de la chaîne néolibérale au monde.

On peut dire, d´une façon simplifiée, mais réelle, que le monde est aujourd’hui dominé par trois grandes monopoles, par trois grandes pouvoirs : le monopole des armes, le monopole de l´argent et le monopole de la parole. On peut dire qu´il y a des acquis fondamentaux, en Amérique latine, dans la lutte contre le deux premiers monopoles, dans la construction d´un monde multipolaire, dans le sens que la majorité des gouvernements de la région ont leur priorité dans les projets d´intégration régionale – Mercosud, Alba, Banque du Sud, gazoduc continental, entre autres – contre les traités de libre échange, proposés par les États-Unis. Les États-Unis ont, de ce point de vue, un seule grand allié – la Colombie, où se développe une des guerres infinies de l´Empire. Mais c’est un gouvernement isolé dans la région. La base militaire des États-Unis en Équateur a été expulsée. C´est aussi à cause de cela que l´élection au Paraguay en avril prochain est très importante. Les États-Unis y ont déplacé leur troupes, c’est une région où leurs intérêts sont en danger.

Donc l´Amérique latine joue un rôle positif dans la lutte contre un monde unipolaire, base indispensable pour finir avec le pouvoir des armes.

Du côté du pouvoir de l´argent – promu par le modèle néolibéral – l´Amérique latine a des contributions importantes, même si c’est moins que dans le cas précédent. Des gouvernements comme ceux du Brésil, de l´Argentine, de l´Uruguay, du Nicaragua, même s´ils privilégient les processus d´intégration régionale, ne sont pas sortis du modèle économique néolibéral. Ce sont des gouvernements différents de ceux qui les ont précédés, certainement, dans quelques cas. Il y a eu des flexibilisations du modèle, mais surtout, il y a des politiques sociales de redistribution effective. Il y a des politiques extérieures indépendantes, entre autres. Ce sont des gouvernements contradictoires, mais qui reproduisent l´hégémonie du capital financier, la force des bourgeoisies tirant profit de l’exportation des matières premières, du libre échange.

Mais l´acquis le plus important de l´Amérique latine, celui qui nous donne des fortes raisons d´espérer, dans le vrai sens de l´espoir, celui qui nous permet de dire que l’Amérique latine a commencé à construire « l´autre monde possible ». Il s´agit de l´Alba – Initiative Bolivarienne pour l´Amérique. Un espace d´intégration le plus avancé au monde, ou chaque pays donne ce qu´il a, reçoit ce dont il a besoin. C´est un processus intégré par le Venezuela, par Cuba, par la Bolivie, auquel participent aussi l´Equateur et Haïti.

C´est le meilleur exemple, un exemple pratique du fait e qu’un « un autre monde est possible », un exemple de ce que le Forum social mondial appelle « un commerce juste », libéré des prix du marché, alternatif à l´OMC. C´est là un exemple de la création d´un espace d’échanges solidaires, non-marchands, complémentaires avec le Mercosud, mais absolument contradictoires avec les traités de libre échange partout dans le monde.

C´est dans cet espace-là que plusieurs initiatives extraordinaires sont en train de se développer, je n´ai pas ici le temps de les mentionner tous. Entre autres, la Banque du Sud, qui incorpore aussi des pays qui ne sont pas dans l´Alba, comme le Brésil, l´Argentine, l´Uruguay , qui représente le contour d´une nouvelle architecture financière, à travers laquelle les pays de la région financent leurs propres projets – une alternative aux politiques du FMI.

C´est là que l`Opération Miracle est possible, une initiative commencée à Cuba, qui signifie la récupération de la vision des millions de personnes, en général des pauvres, qui se multiplient maintenant au Venezuela, en Bolivie. C´est dans cet espace que sont apparues les premières générations des médecins pauvres en Amérique Latine, formés par l´École latino-américaine de Médecine, à Cuba et au Venezuela. C´est là aussi que l´analphabétisme a été éliminé au Venezuela, selon l`Unesco, c´est là que 60% de l´analphabétisme a déjà été éliminé en Bolivie et probablement cette année la Bolivie aussi – et probablement le Nicaragua aussi– pourront annoncer qu´ils sont – avec Cuba et le Venezuela – les seules pays de l´Amérique Latine libre de l´analphabétisme.

Tout cela c´est possible par des rapports non marchands, non basées sur le ratio coût-bénéfice, sur la recherche du bénéfice, mais par des processus des dé-marchandisation, de démercantilisation. Démocratiser, à l´époque de l’hégémonie néolibérale, signifie démercantiliser. Comme vous disiez ici en France : « Le fondamental n´a pas de prix ». Et le fondamental, ce sont les droits, pas les marchandises.

C´est dans ce sens qu´on peut dire que l´Amérique Latine a commencé à construire l’« autre monde possible », la meilleure façon de dire qu´on a des bonnes raisons d´espérer, de bonnes raisons d´avoir des espoirs sur le continent latino-américain, celui de Bolivar, de Marti, du Che, d´Allende, de Fidel, de Hugo Chavez, de Rafael Correa, de Evo Morales, et des millions des gens qui luttent pour construire un monde alternatif, contre le pouvoir des armes, de l´argent et de la parole – un monde anti-néolibéral et post-néolibéral.





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