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Elections au Brésil

Faire barrage au Parti des travailleurs à tout prix ?

samedi 6 octobre 2018   |   Joaquim Mendes
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Dans cette nouvelle correspondance, Joaquim Mendes, analyste politique présent au Brésil, s’intéresse plus particulièrement au Parti des travailleurs (PT) et à ses positions.

Au matin du 2 octobre 2018, le Jornal do Brasil (Journal du Brésil) faisait sa « une » avec la lettre envoyée par l’ancien président Luiz Inácio Lula Da Silva (2003 - 2011) à la rédaction.

 

Un ancien président d’abord candidat-prisonnier

Cette lettre (« Seul le vote du peuple peut sauver le Brésil »), Lula l’écrit depuis sa prison de Curitiba où il est incarcéré après une condamnation à 12 ans et 1 mois pour corruption passive et blanchiment d’argent en première et en seconde instances. Une incarcération dont il faut rappeler qu’elle a été engagée de manière « préventive » en dépit de l’absence de preuve formelle et du fait que tous les recours n’ont pas été épuisés. Une incarcération dont il faut rappeler qu’elle est largement critiquée par la communauté internationale.

Sans entrer dans le détail du très complexe système judiciaire brésilien ni dans celui du jugement de Lula, déjà traité par ailleurs, il convient de signifier ici que, bien qu’en prison, Lula a dans un premier temps été le pré-candidat officiel du Parti des travailleurs. C’est son nom qui figurait au moment de la clôture des dépôts de pré-candidatures le 15 août, avec déjà celui de Fernando Haddad au poste de vice-président.

Pourquoi une telle stratégie alors que l’on peut supposer que le PT savait, en dépit de tous les recours dont il a fait usage, qu’il était très improbable que cette candidature soit validée ?
Tout simplement en réponse à l’existence d’un réel désaveu d’une grande partie de la population à l’égard du PT, désaveu qui est loin de toucher Lula aussi durement que le parti en lui-même. A titre d’exemple, dans chacun des neuf Etats qui composent la région du « Nordeste » (parmi les plus pauvres du pays), le candidat Lula était crédité dans les sondages de scores oscillant entre 50 et 68 %, soit assez pour être élu dès le premier tour. Ainsi, en plus de permettre au PT d’insister sur l’existence d’un coup d’Etat institutionnel, le maintien de cette candidature permettait de tirer le meilleur parti de la popularité de Lula, et de s’appuyer sur lui pour lancer ensuite le nouveau candidat Fernando Haddad sur un modèle analogue à celui utilisé pour Dilma Rousseff en 2010.

Cette stratégie s’est avérée aussi claire que payante mi-septembre, lorsque le PT a finalement été contraint par la justice brésilienne de désigner Fernando Haddad, qui avait alors déjà pris soin de rendre visite plusieurs fois à Lula et de le représenter dans les différentes interventions publiques. Intellectuel de Sao Paulo qui s’est fait connaître comme maire de la capitale économique du Brésil ainsi qu’en tant que ministre de l’éducation de Lula, Fernando Haddad est loin d’avoir la même popularité que son mentor. Cela est d’autant plus vrai dans le « Nordeste », bastion de Lula et de la gauche brésilienne bien plus enclin à voter pour un travailleur métallurgique de la région (Lula) que pour un avocat de Sao Paulo. Dans les sondages retenant l’hypothèse de sa candidature début septembre, il plafonnait au mieux à 8 %. Mais lorsque Lula le nomme officiellement comme le candidat à soutenir et lorsque la campagne du PT s’oriente sur le message « Haddad est Lula », celui-ci ne tarde pas à grimper pour se positionner en seconde position. Selon le sondage Ibope du 2 octobre, il enregistre un score de 21 % (et un taux de rejet de 41 %), derrière Bolsonaro, crédité de 32 % avec un taux de rejet de 44 %. Dans le même temps et tout aussi mécaniquement, ses concurrents progressistes Marina Silva (REDE) et Ciro Gomes (PDT) voient leurs scores s’effriter. Parmi les électeurs de Fernando Haddad, nombreux sont ceux qui n’ont confiance dans aucun parti politique, pas même le PT, mais qui avaient il y a quelques temps déjà choisi qu’ils voteraient pour quiconque serait désigné par Lula.

Cette stratégie du PT s’inscrit par ailleurs dans la dynamique générale de la campagne, polarisée, où le débat d’idée est largement relayé au second plan derrière les accusations de corruption, où la détestation de tous les partis politiques se fait sentir et où une très forte personnification de la politique est à l’oeuvre. Ainsi, le PT communique bien davantage sur la nécessité de rétablir la justice et la démocratie après le « golpe » que sur son candidat ou sur ses propositions. Pourtant le programme existe bel et bien et fait même plus de 60 pages, un programme que nous nous attacherons à expliquer si Fernando Haddad est retenu à l’issue du premier tour.

 

Lula et l’analyse d’une caricature du PT

C’est précisément sur ce nécessaire renouveau démocratique qu’insiste Lula dans sa lettre au Jornal do Brasil du 2 octobre. Il estime que « seul le vote du peuple peut sauver le Brésil » et appelle chacun à soutenir le projet « qui promeut le développement fondé sur l’inclusion sociale » face à celui qui considère que « le développement économique sert à rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres ».

Il se dit perplexe mais aucunement surpris de constater que les analystes et les médias sont nombreux à décrire les deux favoris dans les sondages, Bolsonaro et Haddad, comme incarnant « les deux extrêmes ». Il fait ainsi écho entre autres aux récentes déclaration d’un autre ancien président, son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso (1995 - 2003), qui appelait il y a quelques jours à voter pour un candidat modéré pour faire barrage aux extrêmes.

Lula poursuit sa lettre en affirmant que le PT a toujours été « aux côtés du peuple », et « contre la faim, la misère, l’injustice sociale, les inégalités, le retard de développement, le chômage, le système de grands propriétaires terriens, les préjugés, les discriminations, et la soumission du pays aux oligarchies, au capital financier et aux intérêts étrangers ». En plus d’insister sur le fait que le PT n’est pas un parti extrémiste, il accuse la droite traditionnelle d’être elle-même extrémiste puisqu’elle a fomenté le coup d’Etat institutionnel contre Dilma Rousseff et parce qu’elle se prépare selon lui déjà à soutenir à demi-mot le candidat Jair Bolsonaro dans le cas probable d’un second tour Bolsonaro - Haddad.

 

Des éléments qui indiquent effectivement une volonté de barrer la route au PT

On peut certes reprocher à l’ancien président Lula de feindre ne pas savoir que la corruption a également frappé de nombreux membres du PT alors qu’il le reconnaissait lui-même, dès le scandale du « mensalao » (« mensualités ») en 2005, puis plus récemment à l’occasion de l’affaire Lava Jato évoquée dans un précédent article. Cependant, les récents évènements semblent lui donner en partie raison lorsqu’il affirme qu’une frange des élites tente de faire barrage au PT à tout prix, fut-ce celui de l’arrivée au pouvoir du favori des sondages Jair Bolsonaro.

Il y a d’abord la diffusion par le juge Sergio Moro, symbole de l’affaire « Lava Jato » ( « Lavage Express ») et dont le rôle politique est largement critiqué par la gauche brésilienne, d’éléments issus de la délation de l’ancien ministre PT Antonio Paloccu. Ce dernier affirme que le coût réel des campagnes du PT en 2010 et 2014 a été quatre fois plus cher que ce que disent les comptes de campagne officiels. Bien sûr, ce n’est pas le fait lui-même, mais le calendrier choisi qui est ici discutable, en particulier de la part d’un représentant du pouvoir judiciaire.

Il y a par ailleurs l’interdiction de l’interview de Lula au journal Folha de Sao Paulo par la Cour suprême (Supremo Tribunal Federal), dont le président s’est par ailleurs illustré cette semaine en qualifiant l’arrivée au pouvoir de la dictature brésilienne en 1964 de « mouvement de 1964 », faisant écho aux propos récurrents de Jair Bolsonaro. Le motif invoqué est de ne pas perturber l’élection, mais le PT et ses défenseurs parlent ici volontiers de censure.

Il y a également l’annulation des cartes électorales de 3,4 millions d’électeurs, soit 2,4 % de l’électorat brésilien, au motif qu’ils n’ont pas actualisé leur situation et ne se sont pas enregistrés dans le système biométrique. Selon la Folha de Sao Paulo, cette décision a un fondement juridique mais pénalise particulièrement « les électeurs pauvres, majoritairement situés dans le Nordeste », les mêmes qui votent massivement à gauche. Lorsque l’on sait que la victoire de Dilma Rousseff en 2014 face à Aécio Neves s’est jouée à 3,5 millions de voix, on comprend l’impact significatif que peut avoir cette décision.

A ces trois actualités s’ajoute, le 2 octobre, le soutien officiel apporté par le Frente Parlamentar da Agropecuária (Front parlementaire de l’agro-négoce) à Jair Bolsonaro. Ce groupe de parlementaires rassemble 234 des 513 députés et 27 des 81 sénateurs. Le lendemain et sans qu’il n’y ait eu de communiqué officiel, de nombreux membres et responsables de la Bancada Evangelista (groupe de parlementaires évangélistes) et de la Bancada da Bala (armes à feu) ont également affiché leur soutien publiquement.

Quant aux marchés brésiliens, ils émettent une réaction très nette à l’envolée du candidat d’extrême-droite dans les sondages : lorsque les intentions de vote confortent son avance, la valeur du réal augmente d’autant. Le 13 septembre, quelques jours avant le retrait officiel de Lula, l’euro s’échangeait à 4,92 reais. Il ne valait plus que 4,71 reais le 30 septembre et 4,48 le 3 octobre, taux le plus bas depuis près de deux mois.

Comment expliquer le succès de Jair Bolsonaro et quelles sont les caractéristiques de ce candidat et de son électorat ? Ce sera le sujet de notre prochain article.

 





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