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Chronique - mars 2010

Grèce, euro : le carcan des traités

mardi 2 mars 2010   |   Bernard Cassen
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Les plans de « sauvetage » financier de la Grèce aujourd’hui – sans doute de l’Espagne et du Portugal demain, et d’autres Etats après-demain - n’ont nullement pour objet de « sauver » un pays. Il s’agit d’éviter à tout prix l’effondrement d’une construction monétaire, l’euro, et, par voie de conséquence, celui des fondements idéologiques de la construction européenne.

La décision de créer une monnaie unique européenne, principale disposition du traité de Maastricht de 1992, constituait un défi à la logique. Elle imposait en effet la même politique monétaire à des économies aussi différentes que, par exemple, celles de l’Allemagne et de la Grèce. Par définition, cette politique, quelle qu’elle soit, pouvait seulement servir un intérêt national particulier - structurel ou conjoncturel -, et donc desservir d’autres intérêts nationaux. En l’occurrence ce sont les intérêts allemands, et eux seuls (un euro « fort » remplaçant un mark « fort »), qui présidèrent à sa définition.

L’euro aurait eu un sens dans une zone économique relativement homogène, comme les Etats-Unis pour le dollar, disposant par ailleurs d’instruments de transferts financiers internes massifs (ce qui est le cas avec le budget fédéral américain), décidés par une autorité politique unique (la présidence et le Congrès) agissant elle-même en étroite coordination avec une banque centrale : la Réserve fédérale. Sans parler d’une langue unique, l’anglais, et d’une culture de la mobilité de la main d’œuvre.

Aucune de ces conditions n’est remplie dans l’Union européenne (UE). Son budget représente seulement environ 1 % du produit intérieur brut de l’ensemble des Etats membres. La mobilité en son sein ne peut être que très limitée, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques. Les politiques européennes ne visent pas à résorber les inégalités de développement économique et social, accrues par l’entrée de dix nouveaux membres en 2004 et de deux autres en 2006, mais, au contraire, à les utiliser pour favoriser les délocalisations internes et le dumping social. Si harmonisation il y a, elle se fait vers le bas. Enfin, les capacités d’intervention économique et financière des Etats ont été transférées par les traités successifs (dont celui de Lisbonne), non pas à des autorités démocratiques supra-étatiques, mais, pour l’essentiel, au marché et à des instances dites « indépendantes », ce qui signifie en réalité gardiennes des dogmes ultra-libéraux : la Commission et la Banque centrale européenne (BCE).

Véritable carcan, les règles de l’UE lui interdisent de participer, en tant que telle, au « sauvetage » financier de l’un de ses 27 pays membres. La BCE a « sauvé » des banques qui ont ensuite spéculé indirectement contre l’euro, mais elle ne peut pas accorder des prêts à l’un des 16 membres de l’eurozone ! Prisonnière d’une monnaie unique dont la surévaluation ne profite qu’à l’Allemagne, la Grèce (et ce sera bientôt le cas pour les autres pays en difficulté) peut seulement compter, si l’on peut dire, sur un vague soutien « politique » de l’UE (qui joue également, vis-à-vis des marchés financiers, le rôle de gendarme des engagement pris par son gouvernement), sur des prêts que lui consentiraient d’autres Etats et sur… le Fonds monétaire international (FMI).

Face à ce lamentable bilan, l’absurdité des traités européens éclate désormais au grand jour. Les gouvernements des Vingt-Sept, qui les ont fait adopter au nom des principes libéraux, sont maintenant obligés de les violer plus ou moins discrètement pour sauver l’UE contre elle-même ! On peut douter que ce grand écart entre les dogmes et la réalité puisse durer très longtemps.





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