Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 267, 15 octobre 2009

J.O. et géopolitique

vendredi 30 octobre 2009   |   Immanuel Wallerstein
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Les Jeux olympiques modernes sont censés s’intéresser à deux choses : promouvoir la paix sur terre par la voie d´une compétition non-violente se plaçant au-dessus de la politique et exalter les exploits sportifs. Il ne fait aucun doute que la plupart des athlètes s’engagent dans les épreuves olympiques en ayant ce dernier aspect à l´esprit. Quant à la promotion de la paix, elle semble bien être le cadet des soucis des gouvernements, eux dont le soutien aux structures sportives nationales a toujours été crucial pour le succès de leurs propres délégations.

La chose s’est vérifiée depuis les tous débuts. Le célèbre instigateur de la version moderne des Jeux olympiques, le Baron de Coubertin, est né en 1863. On raconte qu’il avait médité le traumatisme national qu´avait représenté pour la plupart des Français la défaite de 1871 contre les Allemands. Il jugea, semble-t-il, que cette défaite avait été le résultat du faible accent mis en France sur l´importance des compétences sportives dans l´éducation, contrairement à ce que faisaient la Grande-Bretagne et l’Allemagne, et il se mit en tête de rectifier cet état des choses.

Au fil des ans, les dépenses nationales consacrées à la préparation des J.O. n’ont cessé de croître. Etre désigné site d´accueil des Jeux olympiques et remporter les Jeux eux-mêmes est devenu un objectif toujours plus important des gouvernements. La géopolitique n’a jamais été absente des Jeux.

Pendant toute la Guerre froide, la compétition entre les blocs se comptait en nombre de médailles d’or gagnées. Le boycott par les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux des J.O. de Moscou en 1980 fut suivi du boycott soviétique des Jeux de Los Angeles en 1984. La liste des pays qui pouvaient concourir était déterminée par les discussions de la Guerre froide sur la légitimité des Etats et de leurs frontières.

Il n’est donc pas surprenant que le récent vote à Copenhague du Comité international olympique (CIO), qui visait à désigner la ville d´accueil des Jeux de 2016, ait été interprété par la presse mondiale sous l’angle de la géopolitique. En réalité, du fait que les chefs de gouvernement ont aujourd’hui pris le parti de jouer directement aux lobbyistes pour les villes candidates, la presse mondiale accorde une attention croissante à ces décisions quadriennales du CIO. Etant donné la présence des dirigeants brésilien, espagnol et japonais à la réunion de Copenhague, Barack Obama ne pouvait clairement pas faire autre chose que se pointer pour plaider la candidature de Chicago.

Les bookmakers qui parient sur les résultats de ce type de compétition avaient donné à Chicago de fortes chances de l´emporter, en premier lieu parce que Obama avait annoncé qu’il viendrait en personne. Au premier tour de ce vote à bulletin secret, les résultats se sont répartis entre les quatre villes en lice. Mais aux Etat-Unis, pour la presse, pour les dirigeants sportifs comme pour les hommes politiques, ce fut un choc : Chicago n’arriva pas en première mais en quatrième position, éliminée dès le premier tour.

Au troisième tour, Rio remporta la victoire avec deux tiers des voix, ce qui représente une marge exceptionnellement importante. Il n’est pas difficile de discerner pour quelles raisons. S’il ne fait aucun doute que Rio est une ville agréable, les membres du CIO ont moins voté pour elle que pour le Brésil. Les trois autres candidatures étaient toutes issues du Nord : les Etats-Unis, l’Espagne et le Japon. Le Brésil représentait le Sud.

Le président Lula avait eu pour principal argument de campagne le fait que l’Amérique du Sud restait le seul continent à n’avoir jamais accueilli de Jeux olympiques d’hiver. C’est vrai, mais je pense que Fidel Castro a vu plus juste quand il a décrit avec jubilation ce vote comme le « triomphe du Tiers-Monde ».

Et pas non plus n’importe quel pays du Tiers-Monde : on parle du Brésil, l’un des géants du Sud en pleine ascension. Lula lui-même a déclaré qu´avec ce vote « [le Brésil] est passé du statut de pays de seconde classe à celui de pays de première classe et aujourd’hui nous avons commencé à recevoir le respect que nous méritons ».

« Le respect que nous méritons », et que nous n’avons pas reçu par le passé : le Brésil a exulté et cette joie a été partagée par le reste du Tiers-Monde.

Est-ce une rebuffade pour Obama ? Bien entendu que c’en est une, pas pour lui personnellement mais pour les Etats-Unis. Aussi populaire soit-il dans le monde, et il l’est bel et bien, Obama reste le président des Etats-Unis. Ce vote a clairement constitué un affront géopolitique. Ce n’est pas comme si Obama aurait pu mieux faire. Et s’il n’y était pas du tout allé, l’opinion publique américaine aurait toujours pu mettre cet échec sur le compte de son absence.

Perdre le vote de désignation de la ville qui accueillera les J.O. n’est pas aussi grave que de voir ses bases en Afghanistan envahies par les talibans mais cela participe du même schéma d´ensemble.

Maintenant qu’Obama a reçu le Prix Nobel de Paix, la diplomatie américaine va-t-elle être mieux accueillie ? Momentanément peut-être. Mais la situation sous-jacente reste la même. En réalité, cela va rendre à certains égards la position d’Obama plus difficile, parce qu’il sera désormais jaugé à l’aune d’un critère plus exigeant encore.

Par Immanuel Wallerstein

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