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Chronique - septembre 2010

L’organe peut-il créer la fonction ?

mardi 31 août 2010   |   Bernard Cassen
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Une nouvelle institution européenne, créée par le traité de Lisbonne, a officiellement été mise en place le 26 juillet dernier par les 27 ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE), et elle devrait être pleinement opérationnelle au début 2011. Il s’agit du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), en d’autres termes d’un service diplomatique européen. A sa tête, une personnalité qui combine les fonctions de Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et les politiques de sécurité et de vice-présidente de la Commission : la baronne britannique Catherine Ashton.

Le SEAE comprendra entre 6 et 7 000 agents basés à Bruxelles (environ 2 500) ou dans les actuelles délégations de la Commission dans 136 pays (environ 4 500). Pour 60 % d’entre eux, il s’agira de personnels européens déjà en place et, pour le gros tiers restant, de diplomates nationaux des 27 Etats membres de l’UE. Ce dispositif est impressionnant, mais une question de simple bon sens se pose : quelle politique étrangère « européenne » ce service est-il censé mener ? En d’autres termes, existe-il une politique « européenne » distincte des 27 politiques nationales, et particulièrement de celles des grands Etats (Allemagne, Espagne, France, Italie, Pologne, Royaume-Uni) qui, pour des raisons historiques, ont des intérêts, des zones d’influence et des préoccupations géopolitiques qui ne coïncident pas et qui, dans certains cas, peuvent même diverger ?

Cette question renvoie à la nature même de l’UE. Elle oppose, d’un côté, les « européistes », partisans de la supranationalité, pour lesquels l’Europe existe indépendamment des Etats qui la composent – ce qui est la logique profonde du Parlement européen et de la Commission - et, d’un autre côté, ceux pour qui la souveraineté et la légitimité résident seulement, et pour l’avenir prévisible, dans les Etats. La mise en place du SEAE a vu s’affronter ces deux conceptions : la majorité du Parlement européen aurait voulu que le nouveau service fasse partie intégrante de la Commission et mène sa politique de manière autonome par rapport aux Etats membres de l’UE. Pour les gouvernements, au contraire, et comme l’a rappelé le secrétaire d’Etat français aux affaires européennes Pierre Lellouche, « la clé de la légitimité de l’action diplomatique, c’est le Conseil européen ». La « double casquette » de Lady Ashton ne doit pas faire illusion : ce sont prioritairement les gouvernements qui encadreront ses activités.

L’idée que la fonction crée l’organe est un des acquis de la biologie et, en politique, c’est elle qui justifie la création d’institutions nationales et internationales. Mais, dans le cas du SEAE, l’organe peut-il créer la fonction ? Concrètement, une politique étrangère européenne commune peut-elle surgir, par génération spontanée, de l’existence d’un tel outil ? Si le SEAE avait existé en 2003, quelle position aurait-il pu prendre sur l’invasion de l’Irak condamnée par la France et l’Allemagne, mais chaleureusement approuvée par la quasi totalité des autres Etats membres de l’UE, Royaume-Uni et Espagne (celle de José Maria Aznar) en tête ?

Sur les dossiers de politique internationale qui font consensus entre les Vingt-Sept, et si toutes les parties jouent le jeu, le SEAE pourra jouer un rôle utile de mise en cohérence des diplomaties nationales et des actions extérieures de la Commission, notamment sur le plan budgétaire. Pour les autres dossiers, les Etats conserveront la main car les intérêts nationaux, que les « européistes » veulent diaboliser en les qualifiant d’égoïsmes nationaux, ne disparaîtront pas d’un coup de baguette magique. Et c’est seulement si elle les respecte que la construction européenne pourra retrouver une partie de la légitimité qu’elle a perdue dans de larges secteurs des opinions publiques d’Europe.

 





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