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Lettre d’Asuncion

La victoire historique de Fernando Lugo au Paraguay

lundi 21 avril 2008   |   Bernard Cassen
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Les concerts de klaxon et les déploiements de drapeaux par les foules en liesse sont l’ordinaire des soirées de victoire électorale. Pourtant l’explosion de joie à laquelle on a pu assister dans les rues et dans la Place du panthéon d’Asuncion en cette soirée du dimanche 20 avril n’a rien de banal. Imaginons la place de la Bastille le 10 mai 1981, mais à la puissance dix, sinon davantage... . Ce sont en effet 61 ans de gouvernement du Parti colorado, dont 35 ans de dictature du général Stroessner, auxquels la victoire de Fernando Lugo à l’élection présidentielle vient de mettre fin. Ce n’est pas une alternance, mais bien une rupture avec un système mafieux, gangrené par la corruption et le clientélisme, mais s’abritant derrière un paravent de démocratie représentative. Un système sûr de lui, car ayant organisé son impunité, et ayant jusqu’au dernier moment donné à ses adversaires le sentiment qu’il était inamovible.

La victoire de Fernando Lugo et de l’Alliance patriotique pour le changement est donc d’abord une victoire dans les têtes, une victoire contre la peur, avant d’être une victoire dans les urnes. Celle-ci est cependant sans appel : l’ancien évêque de San Pedro va accéder à la présidence de la République du Paraguay avec 41 % des suffrages exprimés, devançant de 10 % la candidate du Parti colorado, Blanca Obelar, et de 18 % l’ancien général putschiste Lino Oviedo, candidat de l’Union nationale des citoyens éthiques (Unace). Une marge d’une ampleur annoncée par les sondages de sortie des urnes au fil de la journée, et suffisante pour avoir découragé, notamment grâce à la présence de très nombreux observateurs internationaux, toute velléité de fraude à l’échelle qui aurait été nécessaire pour inverser les résultats.

En moins d’un an, Fernando Lugo a réussi l’exploit de mobiliser autour de sa candidature les multiples mouvements sociaux (femmes, indigènes, paysans avec ou sans terre, sans toit, etc.) qui luttent contre une société caricaturalement inégalitaire où la majorité de la population vit dans la misère. Sa méthode : écouter d’abord ceux qui n’ont jamais la parole, puis faire des propositions. C’est seulement dans un second temps que des partis (une quinzaine, dont le Parti libéral) se sont rassemblés sur son nom dans le cadre de l’Alliance patriotique. Contre toute attente, cette coalition a mis à bas le Parti-Etat colorado.

Les conséquences géopolitiques de cette rupture sont considérables, même si le Paraguay ne compte que 6 millions d’habitants, auxquels s’ajoutent les quelque 3 millions d’exilés économiques. C’est en effet un gouvernement de gauche de plus qui va se mettre en place en Amérique du Sud, et ce dans un pays aux immenses ressources aquifères et énergétiques jusqu’ici bradées.

Ce succès doit être versé au dossier de la réflexion sur l’articulation entre mouvements sociaux, partis et gouvernements progressistes qui, après le colloque de Paris en janvier dernier, se poursuivra lors du Sommet des peuples à Lima du 12 au 16 mai, dans le cadre d’un atelier sur le post-altermondialisme organisé, entre autres, par l’association Mémoire des luttes. Le témoignage des vainqueurs du 20 avril y sera très attendu, comme il le sera au Forum social mondial de Belem en janvier 2009.





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