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Le néolibéralisme est une nouvelle forme de barbarie

mercredi 21 avril 2010   |   Bernard Cassen
Lecture .

(Entretien publié dans le numéro d’avril 2010 de l’édition coréenne du Monde diplomatique.)

 

 

 

1.- Pourriez vous expliquer simplement pourquoi le néo-libéralisme constitue un danger ?

Le néolibéralisme est la phase actuelle du capitalisme, en l’occurrence celle de l’hégémonie de la finance sur l’économie et la société. Aujourd’hui, la figure emblématique du capitalisme n’est pas l’industriel, et encore moins le dirigeant politique, mais le spéculateur. La spéculation sur les devises, la dette publique et sur les multiples produits dérivés dicte sa loi à la finance, qui la dicte elle-même à l’économie, qui l’impose elle-même à la société. Par exemple, des entreprises ferment leurs portes non pas parce qu’elles ne sont pas rentables, mais parce qu’elles ne sont pas assez rentables. Le « facteur humain » est simplement une variable d’ajustement pour l’obtention du maximum de rémunération financière, quel qu’en soit le coût social et écologique.

Le néolibéralisme est un système foncièrement anti-humain, une nouvelle forme de barbarie, suicidaire pour la société et l’environnement.

2.- Face au triomphe du néolibéralisme travers le monde, qu’est-ce que l’on doit faire ?

Il faut inverser la hiérarchie des priorités et donc placer l’humain, la société et la survie de la Planète au poste de commandement. L’économie et la finance doivent être mises à leur service. La spéculation financière doit être jugulée, les marchés financiers désarmés. Cela implique que les gouvernements, et à travers eux les citoyens, reprennent le pouvoir qu’ils ont abandonné à la finance. En d’autres termes, il faut faire exactement le contraire de ce qui a été fait au cours des trente dernières années. C’est une tâche herculéenne.

3.- Dans votre article, vous avez dit que les plans de « sauvetage » financier de la Grèce n’ont nullement pour objet de « sauver » un pays. Il s’agit d’éviter à tout prix l’effondrement d’une construction monétaire, l’euro, et, par voie de conséquence, celui des fondements idéologiques de la construction européenne.
Quels seraient les fondements idéologiquement idéaux de la construction européenne ?

La construction européenne, depuis le traité de Rome de 1957, est fondée sur le principe de la concurrence, sur la liberté de circulation des capitaux, des biens et des services, non seulement en son sein, mais avec le reste du monde. C’est une construction d’essence néolibérale, avec un minimum de mécanismes de solidarité. Le budget européen, outil de ces mécanismes, ne représente en effet qu’environ 1 % du produit intérieur brut (PIB) cumulé des 27 Etats membres.

Quant à l’euro, qui est seulement la monnaie de 16 de ces Etats, sa gestion par la Banque centrale européenne (BCE) interdit tout plan de sauvetage de l’un de ses membres. La BCE ne peut pas prêter aux Etats. Sa mission exclusive est de lutter contre l’inflation. Elle est totalement indépendante des gouvernements. L’indépendance des banques centrales est un des principes cardinaux du néolibéralisme. Il s’agit de mettre la politique monétaire hors de portée des citoyens, de la « sanctuariser » afin de garantir la perpétuation des politiques néolibérales, quelle que soit la couleur politique des gouvernements issus des élections. C’est la négation de la démocratie. C’est pourquoi nous sommes totalement opposés à cette indépendance des banques centrales qui dissimule, en fait, leur dépendance à l’égard des marchés financiers.
 
La forme prise par la construction européenne depuis plus d’un demi-siècle me semble devoir être revue de fond en comble. Elle doit être fondée sur la solidarité et non pas la concurrence, promouvoir les droits sociaux et écologiques et mettre l’économie et la finance à leur service. Cela impliquera, entre autres, de contrôler les mouvements de capitaux et les flux commerciaux pour empêcher le dumping social, fiscal et écologique.

L’Europe que nous souhaitons doit aussi être solidaire des pays du Sud par des accords préférentiels et une augmentation substantielle de l’aide publique au développement.

4 .- Comme professeur, directeur général du Monde diplomatique, et président d’honneur d’Attac, maintenant secrétaire général de Mémoire des luttes, vous avez guidé un mouvement de luttes. Quelles ont été vos motivations ? Les intellectuels sont muets, donc on dit qu’ils sont morts. Quel est le rôle véritable des intellectuels ?

Dans mes différentes activités professionnelles et associatives, j’ai toujours eu comme préoccupation prioritaire la recherche de la justice et de l’égalité, que ce soit entre les individus ou entre les peuples. Je n’ai pas d’autre motivation que d’être en accord avec ma conscience.

Les intellectuels ne sont pas muets, et encore moins morts. Le problème est que le système médiatique, acteur majeur de la globalisation néolibérale, donne seulement la parole à ceux qui s’inscrivent dans sa logique, ainsi qu’à quelques histrions qui lui servent d’alibi.

Le rôle des intellectuels est de décrire sans complaisance la réalité des sociétés, d’en analyser avec rigueur les ressorts profonds, en l’inscrivant toujours dans la profondeur historique, et de proposer des pistes pour la transformer. Pour les intellectuels progressistes (ce qui est loin d’être le cas de tous), il s’agit d’éveiller les consciences et d’élaborer des alternatives à l’hégémonie néolibérale.

Ces analyses et ces propositions sont autant d’outils mis à disposition des citoyens, des mouvements sociaux, des partis politiques et aussi des gouvernements.

5.- Vous avez critiqué le G-20. Par rapport à celui qui va se tenir à Séoul cette année, M. Lee Myung-bak, président de la Corée du Sud, dit que cet événement va renforcer la dignité nationale du pays. Qu’en pensez-vous ?

L’ONU compte 192 Etats. Cela signifie que 172 d’entre eux ne sont pas représentés au G-20. Cette instance est sans doute bien plus représentative que le G-8, mais sa légitimité démocratique est quand même fortement sujette à caution. La totalité des pays pauvres en est exclue. Le seul périmètre légitime pour la prise de décision au niveau mondial est l’ONU.

Je ne pense pas que la tenue du G-20 va ajouter ou retrancher quoi que ce soit à la dignité nationale de la Corée du Sud. Votre pays n’a pas besoin du G-20 pour être connu et respecté. Je dirais même que si des manifestations sont organisées contre cette réunion et si des violences sont exercées contre les manifestants, cela nuira à l’image du pays.

6.- En Corée du Sud, le gouvernement de M. Lee Myungbak, est accusé d’être fasciste en raison de son style autoritaire et néoliberal. Par rapport à celui des années 1930, pensez vous que le fascisme existe dans la société moderne ?

Je pense qu’il faut être très prudent dans l’utilisation de mots, comme le mot fascisme, historiquement connotés. Je ne connais pas bien la politique intérieure de la Corée du Sud, mais le simple fait que vous puissiez publier cette interview et que l’opposition puisse tant bien que mal s’exprimer dans votre pays montre que vous n’êtes pas dans un régime fasciste. Il faut adapter le lexique politique à la réalité et non pas l’inverse. Que votre gouvernement soit autoritaire et néolibéral vous donne suffisamment d’arguments pour le combattre.

 

Paris, le 28 mars 2010

 



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