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Make Neoliberalism Great Again

Ou Emmanuel Macron, le pouvoir des apparences et l’apparence du pouvoir

mardi 13 juin 2017   |   Christophe Ventura
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Ce premier tour des élections législatives confirme l’approfondissement de la crise du système partisan dans notre pays. Il révèle l’existence d’une crise de régime chaque jour plus prégnante. Les institutions et les classes politiques jusque là investies d’un minimum de légitimité ont perdu cette dernière à mesure qu’elles ont fermé toute possibilité aux demandes sociales et démocratiques de la population (notamment des classes populaires) de transiter – pour être prises en compte – par les canaux de l’Etat et des pouvoirs institutionnels et politiques.

La société se déconnecte de plus en plus, et de plus en plus souvent, de la « société politique constituée ». Elle le fait de plusieurs manières, fluctuantes et imprévisibles. Ici en votant pour des forces de la « périphérie » défiants celles du centre du système établi, ici en proclamant son indépendance vis-à-vis de la société politique constituée : c’est la désaffiliation électorale.

Le phénomène touche particulièrement les classes populaires tandis que les bien intégrés, au contraire, se mobilisent dans la vie politique. Cela fait partie de leur « style de vie ».

Cette élection législative exacerbe (par le biais du quinquennat qui nourrit traditionnellement l’abstention lors de ce scrutin) cette tendance à l’oeuvre.
Ce type de situation – l’expression d’un mouvement destituant qui gagne peu à peu l’ensemble de la société et qui donne le coup d’envoi d’un processus qui aboutira, tôt ou tard et dans des formes indéterminées, à la construction d’un nouvel équilibre dans l’ordre politique – est propice à l’émergence de nouvelles offres politiques.
En Marche ou La France insoumise sont le produit français du phénomène. France insoumise pour remobiliser et renouveler la gauche, En Marche pour purifier – en éliminant les acteurs jusque là en place si nécessaire – l’encadrement d’un système en danger qui perd le consentement des grandes majorités.

Dans ce contexte, ce premier tour des élections révèle plusieurs enseignements :

- En Marche et Emmanuel Macron réalisent une « performance » au sens anglais du terme. Ils réalisent une opération virtuose – une technique de conquête du pourvoir disponible – qui leur permet, dans le cadre de la décomposition de l’ordre politique en cours, de le stabiliser temporairement en s’adjugeant un maximum de pouvoirs pour, comme le rappelle Angela Merkel lorsqu’elle félicite publiquement sur tweeter Emmanuel Macron, « réaliser les réformes ». Toutefois, cette « performance » est comme toutes les « performances », éphémère. Emmanuel Macron ne dispose que d’une faible – bien que dynamique dans les rapports sociaux et de production – base sociale et politique dans le pays. Elu par défaut et dans des circonstances atypiques (dont il a su excellemment tirer profit), il dispose du gouvernement et disposera de l’assemblée à sa main avec l’adhésion d’à peine 15 à 20 % des français. La mécanique de la Ve République hypertrophie le poids réel du vainqueur. Mais Emmanuel Macron a une force. Il incarne une forme de rêve économique et social pour une partie des français : faire de la France une sorte de nouveau Silicon Valley du libéralisme modernisé, à la dignité retrouvée. « Make neoliberalism great again » en quelques sortes.

Jusque là, le nouveau président est servi par le fait que la France qui vote est clairement conservatrice et libérale.

Mais demain ? Lorsque le moment électoral sera terminé, que le nouvel Auguste européen (l’empereur romain chargé de stabiliser en le modernisant l’Empire romain en crise structurelle – 27 av JC/14 ap JC –) aura passé ses ordonnances pour « ajuster » le modèle d’organisation du travail aux exigences nouvelles de l’économie mondiale et de ses chaînes de valeur toujours plus « insécurisantes » et asservissantes pour ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre pour vivre ?

Que les Français auront goûté leur nouveau personnel politique issu pour l’essentiel d’un recrutement opéré au sein de la France des dentistes, des notaires et autres métiers de défense de la propriété et de ses intérêts, des cadres et gestionnaires d’entreprises et des ONG ?

Que la solidarité disciplinée des troupes macronistes se lézardera à mesure que l’attelage Modem/Républicains/Socialistes/Marcheurs fera face aux vents contraires et à ses contradictions internes ?

Alors, Emmanuel Macron, le nouveau monarque temporaire, verra peut être face à lui « la rue », cette potentielle majorité sociale mobilisée. Il faut l’espérer car si de telles dynamiques collectives et revendicatives ne se forment pas, des configurations de violences sociales et politiques sporadiques et désespérées viendront. Face à elles, la répression et le durcissement du régime s’auto-légitimeront (servi par l’état d’urgence consigné dans la loi antiterroriste du gouvernement), le FN prospèrera.

Mais alors, dans ce contexte, quid du rôle de la gauche pour accompagner cette possible majorité sociale et lui offrir l’éventualité de se convertir en majorité politique ? La gauche ? Emietté, désuni jusqu’à décourager car divisé sur des questions de fond qui ne sauront être mises de côté (la question européenne pour commencer, réglée pour personne), inextricablement coincé entre volontés de survie bureaucratique sans perspectives et de renouveau qui buttent sur – ou heurtent – la résilience des organisations, la diversité des traditions, des pratiques et des cultures organisationnelles, ce courant aujourd’hui minoritaire composé de forces soutenues par des secteurs des classes moyennes rétives à l’option « Uber/Macron », aux nouvelles formes de marchandisation de tous les rapports sociaux mais désarmées devant l’accélération des liens entre nouvelles technologies et nouvelle économie, n’est pas aujourd’hui en mesure de prendre la main.

Emmanuel Macron est une apparence, celle des pouvoirs économiques, financiers et médiatiques qui souhaitent moderniser leur système en se délestant des partis honnis qui les ont servi si longtemps.

Emmanuel Macron a toutes les apparences du pouvoir, mais il lui manque l’essentiel : le soutien populaire.

Construire ce peuple mobilisé pour l’égalité, la justice et la souveraineté reste notre tâche prioritaire, inlassablement.





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