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Chronique - septembre 2008

Reconstruire la politique agricole commune

mercredi 10 septembre 2008   |   Bernard Cassen
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Des trois crises [1] qui se combinent désormais à l’échelle planétaire – énergétique, financière et alimentaire -, la plus immédiatement vitale, la crise alimentaire – si l’on entend par là la pénurie d’aliments et la possibilité pour chacun d’y avoir accès -, est paradoxalement celle qui serait la moins difficile à surmonter. La Terre peut en effet nourrir les 9 milliards d’habitants qui la peupleront en 2050, mais cela implique une remise en question radicale des politiques agricoles menées au niveau mondial, et en particulier au niveau européen avec la Politique agricole commune (PAC).

Ce n’est pas sur cette voie que s’engagent la Commission européenne et la majorité des Etats membres de l’Union européenne (UE). On le constatera lors de la réunion des ministres de l’agriculture des Vingt-Sept organisée en France à Annecy (Haute-Savoie) du 21 au 23 septembre. A l’ordre du jour figureront le « bilan de santé » de la PAC établi par la Commission, et les conclusions qu’elle en a tirées dans ses propositions législatives du 20 mai dernier. On peut dire d’emblée que ces propositions, préconisant une déréglementation et une libéralisation accrues, témoignent d’une inquiétante myopie politique.

L’aveuglement de la Commission est de nature idéologique : pour elle, aucun secteur d’activité, pas plus l’agriculture que les autres, ne doit échapper aux lois du marché et de la concurrence. C’est là ignorer des données relevant du simple bon sens. On en citera trois :

  • on ne peut pas confier à la « main invisible » du marché (et de la spéculation) le soin de veiller à la survie physique de milliards d’individus ;
  • l’agriculture n’offre pas les conditions d’un véritable marché : l’offre est caractérisée par sa volatilité (notamment en raison des facteurs climatiques), alors que la demande est relativement rigide et prévisible ;
  • dans le système actuel, encadré par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les prix dits « mondiaux » sont fondés non pas sur la base de l’ensemble de la production mondiale, mais, de manière absurde, sur la fraction de cette production (environ 10 %) qui fait l’objet d’échanges commerciaux. De surcroît, même ce système est complètement faussé par l’instabilité monétaire.

En 1962, lorsque la PAC fut mise en place, ces constats ne pouvaient pas encore être faits. Pourtant, les impératifs auxquels elle répondait à l’époque demeurent d’une brûlante actualité non seulement au niveau européen, mais aussi en les transposant au niveau mondial : la sécurité alimentaire (donc le maximum d’auto-suffisance), la préférence communautaire et la régulation des prix et des marchés (pour garantir des revenus stables aux paysans). Au fil des années, la PAC a connu de multiples dérives, en particulier par le mécanisme pervers des subventions aux exportations (d’ailleurs également pratiquées par les autres pays agro-exportateurs) qui ont encouragé le productivisme – donc la pollution – et dévasté les agricultures paysannes du Sud.

Sur la base d’un retour à ces « fondamentaux » d’origine et de la prise en compte des exigences écologiques, une nouvelle PAC est à reconstruire, qui serve de référence à une politique agricole mondiale. Cela implique, entre autres mesures, la protection aux frontières pour tous les pays ou ensembles de pays, et donc l’exclusion de l’agriculture des règles de l’OMC. Il ne faut pas plus de marché, mais plus de régulation nationale, régionale et internationale.

 




[1Lire Ignacio Ramonet, « Las tres crises », Le Monde diplomatique en espanol, julio 2008 et « Les trois crises » sur le site de Mémoire des luttes



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