Chroniques du mois

Une révision déchirante pour l’UE ?

jeudi 2 juillet 2020   |   Bernard Cassen
Lecture .

On comprend que de nombreux dirigeants politiques des deux rives de l’Atlantique, tout particulièrement ceux d’Europe, soient encore nostalgiques de la guerre froide une trentaine d’années après la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique.

Pendant des décennies, ils avaient utilisé une grille d’analyse de la situation internationale du moment, qui leur était fournie clés en main par la Maison Blanche : d’un côté, et à grands traits, l’Occident (incluant le Japon) avec l’Otan comme bras armé ; d’un autre côté, l’Union soviétique et ses satellites (l’Empire du Mal selon Ronald Reagan). Au milieu, le Mouvement des non-alignés, ensemble hétéroclite d’États dont les deux superpuissances de l’époque se disputaient les faveurs. Grâce à la doctrine de la « destruction mutuelle assurée » (MAD) en cas de frappe nucléaire déclenchée par Moscou ou Washington, cette configuration constituait paradoxalement un facteur de stabilité et de limitation de l’intensité des affrontements entre États clients des deux blocs.

Même s’il est très différent de celui d’hier, l’actuel paysage politique international lui emprunte sa matrice : une forme de guerre froide, cette fois – accessoirement – entre les Etats-Unis et la Russie, mais principalement entre les Etats-Unis et la Chine. Cette nouvelle structuration des relations internationales ne rend évidemment pas compte de la totalité des situations et des conflits (pas seulement armés) en cours, entre autres, au Proche Orient et en Asie orientale. Elle ignore également la dimension planétaire de l’urgence écologique et des risques sanitaires dont la pandémie foudroyante du Covid-19 donne un petit aperçu.

Il ne faut pas compter sur Donald Trump, sur Vladimir Poutine ou sur Xi Jinping pour prendre des initiatives d’envergure dans ces domaines. En revanche, on pourrait attendre de l’Union européenne (UE) qu’elle occupe l’espace ainsi laissé vacant pour se faire la championne d’un mode de développement compatible avec ce que bon nombre de scientifiques ne craignent pas de qualifier de survie de la planète.

L’UE revient de loin. Citadelle du néolibéralisme, elle a dû, ces derniers temps, intégrer à son lexique, sinon à ses politiques, des concepts aussi sulfureux pour elle que nation, autonomie stratégique, État, souveraineté et même protectionnisme. Au fur et à mesure que ces concepts entraient de plein droit dans un débat public européen jusqu’ici cadenassé par l’idéologie néolibérale, d’autres piliers de la construction communautaire opéraient des virages à 180 degrés en prenant des mesures à l’opposé de celles qu’ils avaient eu pour mission de mener. La crainte panique (et justifiée) de l’effondrement de l’économie européenne sous les assauts de la pandémie a balayé tous les obstacles politiques et juridiques à une injection massive de financements en provenance des gouvernements et des institutions de l’UE : Commission, Banque centrale européenne (BCE), Banque européenne de financement, Mécanisme européen de stabilité. Ont ainsi été mis au placard le plafonnement à 3 % des déficits publics nationaux, l’interdiction des subventions aux entreprises au nom de la concurrence « libre et non faussée », le financement indirect des États par la BCE.

L’UE est placée devant un choix historique : soit elle utilise les considérables moyens qu’elle s’est donnés pour simplement sauver provisoirement un système qui va de crise en crise, en verdissant au passage ses politiques actuelles ; soit elle se donne des ambitions à la hauteur du défi écologique et s’engage dans une remise en question radicale de ce système. Il faut beaucoup d’optimisme pour croire à une telle révision déchirante…





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