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2001-2008 : sept ans de réflexion !

Altermondialisme et
post-altermondialisme

mercredi 9 avril 2008   |   Bernard Cassen
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À en croire le film de Billy Wilder The Seven Year Itch, traduit en français par Sept ans de réflexion (1955), et dont l’inoubliable Marilyn Monroe était la principale interprète féminine, les hommes mariés connaissent une « démangeaison de la septième année » (traduction littérale du titre anglais…). Pour celles et ceux qui pourraient être offusqués par une référence frivole (et sexiste ?) à ce nombre sept dans un texte de présentation des interventions d’un colloque, on rappellera que, dans les récits des origines et les mythologies, il renvoie symboliquement à ce qui est achevé, et il indique qu’une action a été menée à son terme.

Maints indices donnent à penser que ce tournant de la septième année s’applique aux Forums sociaux mondiaux (FSM) dont la première session eut lieu à Porto Alegre en janvier 2001, et la dernière en date, décentralisée, en janvier 2008. Dans la plupart des organisations se réclamant de l’altermondialisme, peu nombreux aujourd’hui sont ceux qui trouvent encore politiquement incorrect d’évoquer le sujet. Il n’en allait pas de même il y a deux ou trois ans, lorsque certains militants commençaient à dresser le bilan – certes positif, mais aussi critique - d’un processus inédit dans l’histoire de la contestation du néolibéralisme. Pour eux, il ne s’agissait pas d’une démangeaison, d’une affaire d’épiderme, mais bien d’une question de fond : dans quelle mesure l’outil Forum était-il désormais producteur de transformations politiques et sociales en profondeur ?

Leur tâche était ardue car le format « Forum », codifié dans la Charte de principe de Porto Alegre de 2002, était devenu une sorte de vache sacrée, donc présumée indépassable. D’autant qu’il s’était largement internationalisé, avec des succès divers, grâce à la tenue de Forums sociaux continentaux (Europe, Afrique, Amériques, Asie), thématiques, nationaux et locaux. Les voix qui s’interrogeaient sur le mode de préparation et sur l’impact réel de certains Forums (ceux qui sont organisés en Europe en premier lieu) se voyaient reprocher, entre autres turpitudes, de « diviser le mouvement social ». Celles qui, à partir de la masse éparpillée des centaines de propositions des Forums, voulaient en retenir les plus saillantes et les présenter dans un ensemble cohérent faisant à la fois sens et projet global, étaient accusées de s’autoproclamer « guides » du « mouvement social » (encore lui !) planétaire, de vouloir constituer une nouvelle Internationale, etc.

C’est ainsi que le Manifeste de Porto Alegre, signé à titre strictement individuel en 2005 par 19 militants des quatre continents (dont deux Prix Nobel) avait été davantage vilipendé que véritablement lu par nombre de catéchumènes de l’orthodoxie « forum », alors qu’il s’inscrivait explicitement dans le respect des principes de la Charte. Un sort identique avait ultérieurement été réservé, par les mêmes, à l’Appel de Bamako rédigé à l’issue d’une rencontre organisée par le Forum mondial des alternatives (FMA) qui avait rassemblé 200 délégués de mouvements sociaux, dont une majorité du Sud, à la veille du FSM décentralisé tenu dans la capitale du Mali en janvier 2006.

Le principe de réalité a cependant fini par reprendre ses droits. D’une part, on a constaté une usure indiscutable de la formule des Forums, beaucoup de militants qui en avaient déjà « fait » plusieurs s’interrogeant sur le type de passage à l’acte politique auquel ils pouvaient donner lieu pour permettre l’avènement d’un « autre monde possible ». D’autre part, on a vu arriver au pouvoir, en Amérique latine, des gouvernements issus de mouvements populaires, mettant concrètement en oeuvre, avec évidemment des hauts et des bas, des politiques de rupture avec le néolibéralisme, telles que celles avancées dans les Forums. Pour les catégories les plus démunies, ces politiques posaient les fondements d’un autre monde possible, à commencer par l’accès de tous à l’éducation et à la santé.

Dans diverses composantes du mouvement altermondialiste, pour lesquelles tout « pouvoir » est fatalement suspect et doit donc être tenu à distance, la question de la posture à adopter vis-à-vis de ces gouvernements a été et reste une source d’embarras. Pour l’association Mémoire des luttes (dont les responsables ont, dès 2000, compté parmi les concepteurs du premier FSM, et ont participé activement à chacun d’eux) et pour la revue Utopie critique, il était grand temps d’inciter les uns et les autres à sortir la tête du sable et à regarder le nouveau contexte international en face.

Pour cette nouvelle étape de la lutte mondiale contre le néolibéralisme, et dans la perspective de l’élaboration d’un Manifeste pour un socialisme du XXIe siècle, les deux structures ont organisé, le 26 janvier 2008 à Paris, un colloque intitulé « Altermondialisme et post-altermondialisme Le « et » de ce titre est important. C’est bien un « et », et pas un « ou ». Il signifie que le post-altermondialisme – caractérisé par la recherche de nouveaux espaces et de nouvelles formes d’articulation entre mouvements sociaux, forces politiques et gouvernements progressistes - ne se substitue pas à l’altermondialisme, qui est loin d’avoir épuisé ses virtualités. Simplement, il en constitue un essaimage possible et même indispensable.

Les Forums conservent toute leur importance comme espaces et processus soumis aux règles de la Charte. Paradoxalement, c’est leur succès initial qui a permis l’accumulation de forces aspirant à des configurations plus « performantes ». Sans doute seront-elles plus restreintes dans un premier temps, mais davantage en prise sur les processus de transformation sociale en cours. Des configurations, répétons-le, qui se mettent en place à côté des Forums, mais certainement pas contre eux.

La lecture des communications prononcées au colloque, y compris de celles qui ne partagent pas les analyses de Mémoire des luttes et d’Utopie critique, permettra, on l’espère, de mieux comprendre ce que, demain, pourra être le post-altermondialisme.

Bernard Cassen, Mémoire des luttes.





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