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Chronique - septembre 2009

Le coup de semonce de Karlsruhe

mardi 1er septembre 2009   |   Bernard Cassen
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Tout juste trois semaines après les élections européennes, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand qui siège à Karlsruhe (Bade-Wurtenberg) rendait, le 30 juin dernier, un arrêt de 150 pages statuant notamment que « le Parlement européen n’est pas l’organe de représentation d’un peuple européen dont les députés seraient les représentants ». Ce n’est pas seulement l’existence d’un « peuple européen » qui était ainsi mise en cause, mais également « le déficit structurel de démocratie » de l’Union européenne (UE). Le Tribunal, qui veille à l’application de la Loi fondamentale (Constitution) de la République fédérale d’Allemagne, avait été saisi par un député de la CSU (branche bavaroise du parti chrétien-démocrate d’Angela Merkel, la CDU) qui estimait très insuffisante la loi d’accompagnement du traité de Lisbonne (ratifié par la voie parlementaire le 23 mai 2008) définissant les droits des deux Chambres du Parlement (Bundestag et Bundesrat) en matière d’affaires européennes.

Les juges ont tranché : ce texte viole effectivement deux articles de la Loi fondamentale et il n’accorde pas assez de pouvoirs aux deux Chambres dans les processus d’élaboration et d’adoption des actes législatifs européens. Il faut donc une nouvelle loi fondée sur l’affirmation que les peuples des Etats membres constituent l’unique source de souveraineté dans l’UE. Dans ces conditions, leurs élus nationaux doivent être pleinement associés aux décisions communautaires.

Ce coup de semonce vaut aussi bien pour le Parlement européen que pour le Conseil. En particulier, est sévèrement critiquée une disposition du traité de Lisbonne - celle dite des « clauses passerelles » - qui, dans certains domaines, permet au Conseil statuant à l’unanimité, et après consultation du Parlement européen (mais pas des Parlements nationaux), de décider le remplacement du vote à l’unanimité prévu par le traité de Lisbonne (donc le droit de veto d’un Etat) par le vote à la majorité qualifiée. Ce qui équivaut à la possibilité de modifier les traités sans passer par les procédures de ratification ordinaires. Non sans raison, le Tribunal y voit une négation de la souveraineté des peuples et une dérive vers un fédéralisme supplémentaire sans fondement démocratique.

Evidemment, le gouvernement et le Parlement allemands vont se plier sans difficulté aux injonctions de Karlsruhe : une nouvelle loi sera votée le 8 septembre au Bundestag et le 18 septembre au Bundesrat, soit quelques jours avant les élections législatives du 27 septembre. Mais l’arrêt du 30 juin a une portée qui dépasse largement les frontières de l’Allemagne. En rappelant la « centralité du Parlement national » et le fait que « la majorité du Parlement européen ne représente pas automatiquement la majorité des peuples d’Europe », il devrait encourager les élus des autres pays à exercer également leurs prérogatives sur des décisions qui concernent leurs électeurs.

On sait en effet que les trois quarts des actes législatifs nationaux sont seulement la transposition dans le droit de chaque Etat de mesures déjà adoptées au niveau européen. Sauf dans quelques pays – notamment le Danemark et la Finlande –, les Parlements n’ont pratiquement pas leur mot à dire avant les décisions que prennent les gouvernements réunis en Conseil, et ils n’ont pas d’autre choix que de les ratifier une fois prises. En injectant une dose de démocratie parlementaire nationale dans les mécanismes de décision européens, le Tribunal de Karlsruhe pourrait contribuer à endiguer un euro-scepticisme qui s’est spectaculairement manifesté par le taux d’abstention sans précédent (56,9 %) aux élections de juin dernier.





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