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Chronique - août 2010

Tous ensemble, comme les moutons de Panurge !

samedi 31 juillet 2010   |   Bernard Cassen
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Quand il s’agit de porter un jugement sur les politiques économiques du Vieux Continent, et en particulier sur la monnaie unique européenne, les réactions en provenance des Etats-Unis sont considérées comme a priori suspectes. Pour autant, quand Barack Obama s’inquiète des conséquences négatives des politiques restrictives mises en œuvre partout en Europe, il n’a pas nécessairement tort parce qu’il est président des Etats-Unis !

Comme lui, n’importe quelle personne dotée d’un minimum de bon sens aura en effet du mal à comprendre comment, à l’intérieur d’un ensemble économique aussi intégré que l’est l’Union européenne (UE), une juxtaposition de plans nationaux d’austérité visant à diminuer la dette publique pourrait conduire à une croissance de l’ensemble des pays concernés. Un tel exemple de pensée magique témoigne du désarroi, voire de la panique de gouvernements européens : ils ont perdu tous leurs repères et oublié les leçons de la Grande Dépression des années 1930 [1]. Ne maîtrisant plus rien, et la plupart d’entre eux ne disposant plus de la confiance de leurs concitoyens, ils capitulent devant le plus puissant, celui de Berlin, qui s’est auto-proclamé modèle à suivre et leur a imposé ses vues.

Le problème est que ce modèle allemand n’est pas transposable chez ses voisins, sauf à s’auto-détruire. Il est en effet fondé sur la déflation salariale – donc sur la stagnation de la consommation, notamment de produits importés - et sur les excédents commerciaux, dont plus de la moitié se réalisent aux dépens de ses partenaires européens. Par définition, les excédents des uns sont les déficits des autres, tout particulièrement au sein de l’UE où plus des deux tiers des échanges s’effectuent intra-zone euro.

Il faudrait donc, pour stimuler la croissance par les exportations, regarder au-delà de l’Allemagne. Mais où ? Vers les Etats-Unis, où le chômage, qui battait déjà tous les records, a recommencé à monter et où la croissance est très inférieure aux prévisions ? Vers la Chine, qui revoit à la baisse sa production manufacturière, ce qui conduit les multinationales présentes dans le pays à revoir à la baisse leurs espérances de profit ? On revient ainsi au point de départ : c’est à l’Europe de trouver en elle-même les moteurs de son redressement, non seulement en s’affranchissant de la dictature des agences de notation et des marchés financiers, mais aussi en prenant le contre-pied de la politique allemande.

Pour le prix Nobel d’économie américain Paul Krugman, le comportement du gouvernement d’Angela Merkel défie toute rationalité économique : « Cela n’a rien à voir avec du réalisme. Il s’agit d’une posture moralisatrice : les Allemands ont tendance à penser que les déficits sont moralement mauvais et que des budgets en équilibre, eux, sont vertueux, et cela indépendamment des circonstances ou de la logique économique » [2]. A la décharge de Berlin, il faut reconnaître que le comportement des autres gouvernements européens est tout aussi aberrant. Il rappelle celui des moutons de Panurge, personnage du Quart Livre de François Rabelais. A bord d’un bateau transportant un troupeau de ces ruminants, Panurge en achète un à son propriétaire, et le jette à la mer. Attirés par ses bêlements, les autres suivent son exemple et meurent noyés. Ce que l’on oublie parfois, et qu’il faut rappeler à Mme Merkel, c’est que, à la fin, Panurge est lui-même entraîné dans les flots par le dernier mouton…

 




[2Paul Krugman, « That ‘30s feeling », International Herald Tribune, 19-20 juin 2010.



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