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La fabrication de l’ennemi : ou Comment tuer avec sa conscience pour soi

Un livre de Pierre Conesa

mercredi 21 septembre 2011
Lecture .

Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi !", avait prédit en 1989 Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev. L’ennemi soviétique avait toutes les qualités d’un "bon" ennemi : solide, constant, cohérent. Sa disparition a en effet entamé la cohésion de l’Occident et rendu plus vaine sa puissance.

Pour contrer le chômage technique qui a suivi la chute du Mur, les Etats (démocratiques ou pas), les think tanks stratégiques, les services de renseignements et autres faiseurs d’opinion ont consciencieusement "fabriqué de l’ennemi" et décrit un monde principalement constitué de menaces, de risques et de défis. L’ennemi est-il une nécessité ? Il est très utile en tout cas pour souder une nation, asseoir sa puissance et occuper son secteur militaro-industriel. On peut dresser une typologie des ennemis de ces vingt dernières années : ennemi proche (conflits frontaliers : Inde-Pakistan, Grèce-Turquie, Pérou-Equateur), rival planétaire (Chine), ennemi intime (guerres civiles : Yougoslavie, Rwanda), ennemi caché (théorie du complot : juifs, communistes), Mal absolu (extrémisme religieux), ennemi conceptuel, médiatique... Comment advient ce moment "anormal" où l’homme tue en toute bonne conscience ? Avec une finesse d’analyse et une force de conviction peu communes, Pierre Conesa explique de quelle manière se crée le rapport d’hostilité, comment la belligérance trouve ses racines dans des réalités, mais aussi dans des constructions idéologiques, des perceptions ou des incompréhensions. Car si certains ennemis sont bien réels, d’autres, analysés avec le recul du temps, se révèlent étonnamment artificiels. Quelle conséquence tirer de tout cela ? Si l’ennemi est une construction, pour le vaincre, il faut non pas le battre, mais le déconstruire. Il s’agit moins au final d’une affaire militaire que d’une cause politique. Moins d’une affaire de calibre que d’une question d’hommes.

 

Pierre Conesa, agrégé d’histoire et ancien élève de l’ENA, fut membre du Comité de réflexion stratégique du ministère de la Défense. Enseignant à Sciences-Po, il écrit régulièrement dans le Monde diplomatique et diverses revues de relations internationales. Il est notamment l’auteur de Guide du Paradis : publicité comparée des au-delà (L’Aube, 2004 et 2006) et des Mécaniques du chaos : bushisme, prolifération et terrorisme (L’Aube, 2007).

 

La fabrication de l’ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi, par Pierre Conesa, aux éditions Robert Lafont, septembre 2011, 364 pages, 21 euros.