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Malgré la répression et une loi matraque

Les étudiants du Québec défendent le droit à l’éducation

jeudi 24 mai 2012   |   Claude Vaillancourt
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Le Québec traverse une crise sociale majeure. Depuis trois mois, les étudiants se sont lancés dans une grève qui divise profondément la société. Le gouvernement du Québec, dirigé par les libéraux de Jean Charest et appuyé par les médias de droite, considère que les étudiants doivent payer leur « juste part » et donner davantage pour étudier, dans un contexte de sous-financement des universités. Les étudiants, appuyés par les enseignants, les centrales syndicales et de nombreux citoyens, considèrent qu’il s’agit là d’une vision étroite et comptable pour aborder la question de l’éducation.

En fait, la grève étudiante a ouvert un débat public nettement plus large que celui portant sur la seule hausse des droits de scolarité. Cette hausse, passée de 75 % à 82 % au cours du conflit, et étalée sur sept années, va à contresens de l’engagement du Québec à tendre vers la gratuité scolaire, en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dans un souci d’équité, et préoccupés par l’accessibilité à l’éducation, les étudiants se sont clairement opposés à la hausse. Au plus fort du mouvement, 300 000 étudiants étaient en grève.

Le gouvernement libéral a choisi d’imposer une loi d’exception pour que les étudiants retournent dans les salles de cours. Cette loi est une atteinte directe à la liberté d’expression et d’association, au point que de nombreux juristes ont émis de sérieuses réserves. Elle empêche tout manifestant de bloquer l’accès à une institution d’enseignement et pénalise, par des amendes très élevées, toute infraction. Les pénalités sont encore plus disproportionnées pour les associations étudiantes et syndicats dont les membres contreviendraient à la loi. Ce texte donne à une institution d’enseignement le pouvoir de détruire une association étudiante en lui enlevant unilatéralement le droit de percevoir des cotisations étudiantes. Très floue et arbitraire, elle permet à la police de l’interpréter à sa guise et risque d’entraîner de nombreux abus.

Cette loi inique, improvisée, mal conçue, a été dénoncée le jour même de son adoption, entre autres, par les centrales syndicales, par le barreau du Québec et par plus de 100 000 signataires d’une pétition demandant son abrogation. Plutôt que de calmer les esprits, elle risque de multiplier les actions radicales contre un gouvernement incapable d’écouter sa population.

Depuis le début de la grève, le gouvernement de Jean Charest n’a su que jeter de l’huile sur le feu. Pendant deux mois, et malgré une manifestation de plus de 200 000 personnes le 22 mars (ce qui est considérable à l’échelle du Québec), il a refusé de négocier avec les représentants des associations étudiantes. Jean Charest lui-même, premier ministre, mais aussi ministre de la jeunesse, n’a jamais rencontré les étudiants !

Pendant ce temps, ses élus entretiennent d’excellents rapports avec les lobbyistes des grandes entreprises. Les libéraux sont empêtrés dans des scandales de collusion avec la mafia et avec les firmes de génie-conseil, au point qu’une commission a été créée pour faire la lumière sur ces affaires. Pendant la grève étudiante, les journaux ont même révélé que la ministre de l’éducation ( démissionnaire depuis) qui refusait de négocier avec les étudiants, a rencontré un membre important du crime organisé lors d’un dîner de financement de son parti !

La situation s’est rapidement compliquée lorsque des étudiants ont eu recours à des tribunaux pour obliger les institutions à leur dispenser les cours auxquels ils auraient droit. Ces injonctions ont mis le feu aux poudres. Dans certaines universités et cégeps (des écoles qui regrouperaient, en France, les étudiants en terminale et en première année d’université), les étudiants en grève ont bloqué les entrées, ce qui a justifié des interventions policières brutales, de même que beaucoup de colère et de frustration. C’est, entre autres, pour assurer ce « cdroit à l’éducation », rejetant les décisions collectives et démocratiques des associations étudiantes, que le gouvernement a adopté sa loi massue.

Contre la marchandisation de l’éducation

La grève étudiante a le mérite de provoquer une importante réflexion sur l’éducation et la recherche scientifique, et en même temps, sur la façon de collecter et dépenser l’argent public. Les étudiants ont mené le débat avec une force de conviction appuyée par une argumentation particulièrement solide qui en a surpris beaucoup. Ils dénoncent de façon nette la marchandisation de l’éducation. Plusieurs ont souligné, à juste titre, la convergence de leurs revendications avec celles des Indignés et du mouvement altermondialiste.

Résumons leur approche à cinq principes qui ont orienté leurs revendications :

1er principe : pour financer un service public, l’impôt progressif vaut mieux que la tarification. C’est à l’ensemble de la société, qui profite d’une population instruite, de veiller au financement de l’éducation, chacun contribuant selon ses revenus.

2éme principe : l’université doit gérer de façon responsable l’argent public. Les salaires de plus en plus importants des hauts cadres, les primes de départ élevées, la publicité des universités mises en concurrence, le maraudage entre universités, les développements immobiliers chers et inappropriés, la recherche au service de l’entreprise privée, tout cela n’a pas à être payé ni par les étudiants, ni par les Québécois et Québécoises. Ce type de dépense a d’ailleurs beaucoup plus à voir avec le fonctionnement d’une entreprise privée que d’une institution d’enseignement.

3ème principe : l’université doit se consacrer aux missions qui lui sont propres. Surtout l’enseignement, qui semble le grand négligé dans la situation actuelle. L’université doit former des esprits libres et critiques, et non pas de jeunes qui investissent dans leur carrière, comme le souhaitent les recteurs et le gouvernement libéral.

4éme principe : l’éducation a la valeur et le coût que l’on choisit collectivement de lui donner. Le gouvernement a essayé de convaincre la population québécoise qu’il fallait ajuster les frais de scolarité à ceux des autres provinces. Comme s’il s’agissait bêtement de suivre la loi de l’offre et de la demande !

5éme principe : il faut mettre fin à la spirale de l’endettement. Lier les jeunes en début de carrière à des institutions financières peut être ruineux pour une société. L’endettement est déjà un problème majeur pour les étudiants. Ce n’est pas aux banques riches et prospères auxquelles il faut venir en aide. Mais bien aux jeunes qui commencent dans la vie. Il est aussi fondamental que leur savoir soit varié – donc qu’il ne soit pas seulement lié aux professions payantes qui leur permettront de rembourser.

Émeutes, violence policière et résistance

Aux demandes légitimes des étudiants, soutenues par un important mouvement social, le gouvernement de Jean Charest n’a répondu que par le silence, le mépris, et une loi autoritaire et liberticide. La grève a été ponctuée d’événements violents et d’émeutes, de réactions excessivement brutales de la police. Mais aussi de manifestations enthousiastes et acharnées, souvent plusieurs par jour. Tous les soirs, une marche s’organise dans le centre de Montréal.

Deux émeutes ont soulevé l’attention, la première lors d’un salon du Plan Nord, alors que le premier ministre se moquait des étudiants devant des gens d’affaires complices, prêts à profiter de l’exploitation sauvage et sans contrôle du grand nord québécois ; la seconde à un conseil général du Parti libéral, où Jean Charest était présent une fois de plus. A ces deux occasions, et d’autres encore, la police a chargé brutalement, a gazé, poivré, matraqué, tiré des balles en plastique sur les manifestants sans discernement. Les arrestations arbitraires se sont multipliées. Des manifestants pacifiques ont été gravement blessés. Depuis l’adoption de la loi, ce sombre cérémonial se répète lors des marches nocturnes à Montréal : violence policière, arrestations, affrontements avec les manifestants. Certains croient que le gouvernement de Jean Charest profite de cette violence qui favoriserait sa réélection auprès d’électeurs inquiets devant ce désordre.

Le gouvernement a toujours refusé de parler de « grève étudiante ». Il préfère le terme « boycott », flagrante illustration de l’approche consumériste souhaitée par les libéraux et rejetée par les étudiants. Son attitude suit celle de nombreux gouvernements dans d’autres pays qui, par le processus de Bologne, l’assurance qualité et autres trouvailles du même type, visent à faire de l’éducation un produit achetable et exportable. C’est pourquoi la lutte des étudiants du Québec, qui s’inscrit dans d’autres luttes similaires, comme celle de leurs camarades chiliens, est exemplaire. Elle rejoint celle des gens de tout âge, partout dans le monde, qui défendent un réel accès à une éducation égalitaire, libérée des diktats des élites financières.





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