L’Union européenne (UE) persiste et signe. Elle se fera contre les peuples. Et, désormais, sa stratégie à moyen terme est fixée. Si le traité « n’entrera pas en vigueur au 1er janvier 2009 », Nicolas Sarkozy [1] a néanmoins dévoilé, vendredi 20 juin, les réponses de l’UE au « non » irlandais. Non-renégociation, contre l’avis écrasant des électeurs du « non » en Irlande, du traité – « une renégociation du traité est exclue. On ne va pas refaire un traité simplifié bis […]. Le traité de Lisbonne existe » – et poursuite du processus de ratification dans tous les États membres dans le cadre du calendrier initial (avant juin 2009). Voici le Premier ministre Brian Cowen briefé. Il pourra préparer l’organisation d’un nouveau vote sous pression dans quelques mois. C’est dans ce cadre, juridiquement irrégulier et politiquement sourd à toute intrusion réelle de la voix des peuples dans la construction européenne, que Nicolas Sarkozy a affirmé, les yeux dans les yeux, que « le “non” irlandais est une réalité politique qu’il faut respecter ». La voix des élites a parlé. Le président du Conseil européen se rendra le 11 juillet à Dublin afin de promouvoir les décisions de l’UE, et organisera un dîner à Paris le 12 juillet avec Mirek Topolánek, Premier ministre tchèque, et son homologue suédois, Fredrik Reinfeldt. L’art de la communication et de la mise en scène se confondra avec celui de la politique.
Dans un contexte où toutes les études de sciences sociales et politiques, et autres enquêtes d’opinion dévoilent que les peuples européens – en particulier leurs classes populaires – « acceptent » la construction européenne plus qu’ils n’y « adhèrent », le vote irlandais du 12 juin indique, malgré plusieurs facteurs spécifiques, un tronc commun avec le « non » français et néerlandais de 2005. On peut au moins identifier deux éléments partagés. Tout d’abord, l’Union européenne est assimilée à une machine infernale dont la fonction est la destruction des modèles sociaux nationaux et leur mise en concurrence. Peut-être plus que la conscience d’un engagement contre un modèle – le néolibéralisme en tant que tel –, les votes indiquent une aspiration à défendre des droits dans des situations vécues et concrètes. D’autre part, ce phénomène se conjugue à l’attachement à l’appartenance nationale, ce qui explique, dans le champ politique, le poids, dans les secteurs progressistes et conservateurs (y compris nationalistes), des formations et des courants qui défendent, à travers des conceptions très opposées, les principes de souveraineté. Comment, dans ces conditions, et sur la base d’une recherche de construction d’alliances avec les peuples, faire de l’Europe un véritable « partenariat entre les États et les peuples » [2], dont la vie démocratique se déroule, encore, dans le cadre stato-national ? Comment soumettre l’Union européenne, avant de la démettre, si sa remise à plat s’avère impossible ?
C’est aujourd’hui cette question qu’il nous faut poser et formuler – dans son intégralité – dans le débat public avec lucidité et responsabilité. Un nouveau débat émerge au sein des fronts qui ont constitué, en France comme ailleurs, les coalitions du « non » aux traités de cette Union européenne antidémocratique et antisociale. Processus constituant au niveau des 27 avec élection d’une assemblée européenne spécifique – ou mandat donné au Parlement européen en 2009 – et référendum dans tous les pays ? Organisation par l’ensemble des Parlements nationaux de grands débats nationaux sur un nouveau texte fondateur ? Solutions combinées ?
Quels objectifs ? Construction d’une Europe sociale et démocratique dans le cadre des « libertés fondamentales » (c’est-à-dire néolibérales) des traités et du marché unique européen ? Construction de nouveaux espaces de coopération entre pays, travaillant à leur unité, dans une Europe à géométrie variable et sans suprématie des règles du marché unique ? Que ce débat soit mené sans restrictions, dans les associations, syndicats et partis. Ces derniers affronteront de nouveau les électeurs en 2009, puis en 2012. Mère de toutes les batailles, la question européenne continuera désormais de surplomber toutes les autres. Ainsi, le nécessaire développement de mobilisations sociales à l’échelle nationale et européenne doit nourrir la construction, dans nos cadres nationaux, d’une gauche radicale de gouvernement [3] capable d’assumer le dépassement de l’Europe réellement existante. Qu’il soit permis à l’auteur d’indiquer une intuition. Une autre Europe possible ne pourra se construire dans le cadre juridique et politique de l’Union européenne. C’est à une Confédération des États d’Europe qu’il faut s’atteler avec le maximum de politiques communes, le cas échéant dans des configurations à géométrie variable.