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En finir avec le libre-échange : un projet politique pour la gauche. Chiche ?

samedi 8 novembre 2008   |   Christophe Ventura
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Christophe Ventura, co-auteur de En finir avec l’eurolibéralisme, Editions des 1001 Nuits, Paris, 2008.

 

« Il me faut un repas chaud. Vite. Ca ne peut plus aller comme ca. » Pierre, travailleur pauvre informel, Quai de la gare, ligne 6, Paris, France.

L’agonie du néolibéralisme, de ses politiques monétaristes et de sa logique de financiarisation de l’économie va déboucher sur la plus profonde crise sociale, économique et politique que l’Europe et l’Amérique du Nord aient connue depuis des décennies. Pour leur part, les pays de Sud, notamment les plus insérés dans le système financier et commercial international, vont subir les conséquences les plus graves de la faillite de notre modèle économique.

Nous sommes dans un contexte où la concentration des richesses entre les mains de minorités n’a jamais été aussi importante, et où nos sociétés, structurées par 30 ans de gestion néolibérale, subissent misère, pandémies et ravages écologiques au Sud, et déflation salariale, forte poussée du chômage, de paupérisation et des inégalités au Nord. Il faut donc s’attendre, avec la crise systémique du capitalisme en cours, à une déflagration sociale dont personne ne peut encore mesurer le souffle. Il n’y a bien que José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, pour assurer que "le monde est sur la bonne voie pour réduire de moitié la pauvreté d’ici 2015" [1].

Cette crise systémique a déjà commencé, comme en témoigne la multiplication des annonces de plans sociaux, de suppressions d’emplois dans les pays industrialisés, ou l’admission, par le FMI, de l’évidence de la récession et du grippage de l’économie mondiale. Comme le reconnaît Dominique Strauss-Kahn, directeur général de l’institution, « en 2009, nous prévoyons une croissance (de) 0% pour les économies avancées et de 6 % à 7 % pour les pays émergents  » [2] (contre plus de 10 % en moyenne ces dernières années). Ainsi affectée, la croissance de ces derniers ne suffira pas à soutenir les économies des pays développés.

 En France, comme dans le reste de l’Europe, tous les partis de gouvernement se réclamant de la « gauche » (en particulier ceux issus de la social-démocratie), comme ceux de droite, sont co-responsables, depuis 30 ans, des ravages du libéralisme que les populations s’apprêtent à payer comptant. Peut-il naître, dans ces conditions, quelque chose de nouveau de cette calamité ? Oui, à condition qu’une gauche radicale de gouvernement émerge et qu’elle affirme de nouvelles ambitions idéologiques et politiques. Cela en s’attaquant, dans une perspective de reconstruction d’une solidarité internationaliste, à la racine du mal : les diverses facettes du libre-échange, c’est-à-dire sur l’absence de freins institutionnels à la circulation des biens, des services et des capitaux pour accroître l’enrichissement des capitalistes et leur permettre d’imposer leurs intérêts à l’ensemble de la planète.

De plus en plus de voix s’élèvent à juste titre pour rappeler que la crise actuelle n’est pas simplement « financière », mais directement liée au régime d’accumulation capitaliste. Ce dernier est caractérisé par «  une capture presque totale des gains de productivité par les profits au détriment des salaires (…) Pour aboutir à ce résultat, il fallait (…) pouvoir créer une véritable déflation salariale. L’ouverture progressive et la mise en place d’un cadre généralisé de libre-échange a été l’instrument principal de cette déflation salariale » [3]. Ce système a, en effet, permis la compression des salaires et le démantèlement des protections sociales par l’organisation, via la mise en concurrence des travailleurs entre pays industrialisés et pays à bas salaires, d’une déconnexion entre la progression des salaires et des gains de productivité dans le partage de la valeur ajoutée.

Au-delà de la nécessaire limitation du pouvoir de la finance et du contrôle des flux financiers réclamés par tous - droite conservatrice et libérale comme gauche libérale et progressiste -, défaire le libre-échange doit devenir, pour une gauche radicale de gouvernement, la ligne directrice d’un projet économique mondial cohérent et écologique.

Les pistes existent :

  • la réorientation de l’économie mondiale vers des modèles de développement tournés vers la satisfaction des besoins locaux plutôt que vers des modèles de croissance extravertie, socialement et écologiquement néfastes ;
  • la mise en place, dans le cadre de la construction de blocs économiques et politiques régionaux, de mécanismes de « protectionnisme altruiste » [4] qui, sans devenir de nouvelles formes absolues, doivent permettre de reconstruire un rapport de forces capable d’inverser les tendances actuelles du commerce mondial ; 
  • l’utilisation de l’outil étatique dans l’économie : contrôle monétaire, contrôle des changes, nouvelles formes de nationalisations pour les secteurs clés de l’économie et de services à la population, élargissement de l’économie non marchande, etc. ;

 

De nombreuses propositions inédites et internationalistes, laissées à l’abandon par la « gauche » dans le placard de sa honte [5], existent pour construire un monde multipolaire dans lequel l’action politique prévaudra sur les intérêts des acteurs économiques.

Dans ce cadre, quid de l’Europe, notre échelon continental ? La Commission européenne vient d’annoncer la préparation d’un « plan de relance » qui sera présenté le 26 novembre. Si son contenu précis n’est pas encore connu, son cadre référentiel et ses grandes lignes confirment l’ancrage de l’Union européenne (UE) dans sa plus traditionnelle orthodoxie économique et financière au service de la protection…du libre-échange. Comme le confirme, en effet, la communication de la Commission du 29 octobre, ce plan s’abritera « sous le parapluie de la Stratégie de Lisbonne  » et doit permettre, grâce aux fonds publics, « de restructurer le secteur bancaire (pour permettre) le retour des banques au secteur privé  », de « libéraliser les affaires », de développer « la promotion de la flexsécurité » pour l’emploi, etc. [6] 

Pour sa part, Joaquin Almunia, commissaire aux affaires économiques et monétaires, a clairement rappelé le cadre du projet : le pacte de stabilité et de croissance qu’il ne s’agira en aucun cas de remettre en cause. Ainsi, la Commission veillera à ne pas laisser les Etats franchir les « lignes rouges » [7] des 3% du PIB de déficit public annuel autorisé par le texte.

Est-il encore nécessaire de rappeler qu’œuvrer à la rupture avec les traités de l’UE et au dépassement de son cadre institutionnel [8] constitue, pour une gauche radicale de gouvernement, une priorité tant l’Europe réellement existante est un obstacle majeur à la réalisation de politiques économiques, sociales et environnementales dignes ?

Existerait-il, pour une telle force, d’autres points d’appui dans le monde ? Oui, mais cependant moins aux Etats-Unis, même dirigés par Barak Obama, qu’en Amérique latine. C’est en effet actuellement la seule région du monde où des politiques de rupture avec le libre-échange, au profit d’actions gouvernementales basées sur la solidarité, la coopération et la complémentarité, sont déjà expérimentées chez les pays membres de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba) [9] et même au-delà, notamment dans le cadre de l’accord énergétique Petrocaribe. Ces pays voudront sans doute faire entendre une autre voix que celle du G 20 prévu le 15 novembre.

Et nous ?




Retrouvez cet article en "version courte" sur le site de Rue89 :
http://eco.rue89.com/2008/11/07/un-projet-politique-pour-la-gauche-en-finir-avec-le-libre-echange.


[1Conférence de presse à New York du 22 septembre 2008. (http://ec.europa.eu/commission_barroso/president/press/statements/index_fr.htm)

[2 Le Monde, 31 octobre 2008

[3Lire Jacques Sapir, « Le monde qui vient. » (http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/10/25/850-le-monde-qui-vient).

[4Lire Bernard Cassen, « Inventer ensemble un « protectionnisme altruiste » », Le Monde diplomatique, février 2000.

[5De ce point de vue, il est significatif d’observer, en France, qu’au sein du parti socialiste, seule la motion portée par les sensibilités représentées par Benoît Hamon abordait la question de la nécessaire limitation du libre-échange dans son programme soumis au vote des adhérents le 6 novembre. Le résultat de la consultation indique, comme on pouvait s’y attendre et malgré un bon score de cette motion, que l’orientation de la nouvelle majorité du parti ne sera pas celle-ci.

[6La Tribune.fr, 29 octobre 2008.

[8Lire En finir avec l’eurolibéralisme, Editions des 1001 Nuits, Paris, 2008.

[9Pour plus d’informations, voir le site de l’association Mémoire des luttes (www.medelu.org)



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