Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n°447, 15 avril 2017

La politique étrangère de Donald Trump : incohérente ou imprévisible ?

vendredi 5 mai 2017   |   Immanuel Wallerstein
Lecture .

Le président Trump semble avoir une politique étrangère qui change constamment. Bon nombre de ceux qui l’analysent ont montré comment il dit une chose sur son compte twitter et dit ou fait autre chose quelques heures plus tard.

Cette incertitude répétée sur ce qu’il pense ou entend faire a été profondément déconcertante pour presque tout le monde. Aux Etats-Unis, les principaux responsables qu’il a lui-même nommés au sein de son administration semblent prendre des positions qui diffèrent des siennes. En tout cas, ils sont rarement avertis des changements en cours. Même certains de ses plus fidèles soutiens parmi les plus connus trouvent ces changements déroutants (bien qu’ils ne voient pas là nécessairement une raison de cesser de le soutenir).

A l’extérieur des Etats-Unis, les présidents, les premiers ministres et les diplomates semblent troublés par le caractère imprévisible ou le manque de clarté des positions de Donald Trump. Ce qu’ils expriment souvent de la façon suivante : Nous connaissons X, mais il s’agit là d’une position tactique. Mais quelle est la vision à long terme de Trump, ou en a-t-il seulement une ?

Si on se met dans la peau de Trump, le tableau prend un éclairage très différent. Tout d’abord, si moi, Trump, je suis imprévisible, je renforce d’autant ma position, car les autres vont sans doute essayer de s’adapter à l’avance à ce qu’ils pensent être ma position.

Qui plus est, l’incohérence de ma position est une manière de jauger quelle est la position qui servira le mieux mon intérêt, lequel est d’accroître mon pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des Etats-Unis. Consolider ma position personnelle et secondairement celle des Etats-Unis est mon but premier. Je n’ai pas et ne veux pas avoir une « vision » ou un engagement à long terme. Je ne suis pas un idéologue mais quelqu’un qui cherche à avoir une position de domination.

Examinons maintenant comment la majorité de la population mondiale, qui ne soutient pas Trump, voit la chose. Bien évidemment, la majorité craint « l’incohérence » de Trump du fait que, de par son statut de président des Etats-Unis, il contrôle l’armée américaine et son redoutable arsenal militaire. Nous, la majorité, nous craignons qu’il ne se contrôle pas lui-même. Nous craignons qu’il soit égocentrique et psychologiquement instable, et qu’il puisse lancer des actions irréversibles sur un coup de tête.

C’est pourquoi nous serions relativement rassurés s’il avait une vision des choses à long terme et donc s’il était capable de s’engager dans certains domaines d’activité en dépassant ses impulsions du moment. En bref, nous voulons qu’il soit cohérent. Nous voulons qu’il prenne des engagements dans un domaine ou un autre, que ce soit celui des droits humains ou du contrôle de l’immigration. Nous voulons plus de certitude.

Voilà qui est dit. Presque tout le monde déteste l’absence de vision à long-terme. Presque tout le monde est d’avis qu’il vaudrait mieux qu’il est en ait une. Presque tout le monde souhaite qu’il soit un idéologue. Le principal opposant à ce souhait, c’est Trump lui-même.

Personnellement, je pense que c’est là une façon de voir les choses à l’envers. Je pense que ce serait pire, et non pas mieux, si Donald Trump avait un point de vue, une vision, une idéologie. Je m’explique. Ce que je cherche à faire, c’est minimiser les dommages que Trump peut causer aux Etats-Unis et au monde avec le double pouvoir qu’il détient 1) de dirigeant incontesté d’un mouvement social mondial et 2) de président élu des Etats-Unis et chef du Parti républicain.

Je cherche à voir ce que nous pouvons tous faire pour peser sur les décisions qu’il prend. Des campagnes de résistance se sont actuellement organisées aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde. Et de grandes puissances mondiales (je pense en particulier à la Chine, à la Russie et à l’Iran) s’efforcent de l’amener à modifier ses positions.

A ce que je peux observer, les campagnes de résistance conjuguées aux efforts des autres grandes puissances mondiales ont eu un effet réel, et l’ont conduit sur diverses questions à modifier sa position. Je pense qu’ils peuvent arriver à empêcher les Etats-Unis de s’engager trop loin dans le bourbier du Moyen-Orient. Trop loin ne veut pas dire pas du tout. Mais réduire cet engagement est déjà mieux que rien.

La raison de ces efforts pour le contraindre à changer sa position repose précisément sur le fait qu’il n’a pas d’engagement ferme sur quoi que ce soit. Son imprévisibilité est la seule arme qu’il nous reste contre Trump le guerrier. Essayer de le rendre moins imprévisible voudrait dire le rendre moins ouvert au changement. Dans un sens, ce serait sceller notre perte.

Nous devons, dans les mois qui viennent, rester particulièrement attentifs aux négociations avec la Chine. La récente rencontre entre le président chinois Xi Jinping et Donald Trump [1]> constitue un bon début et corrobore le point de vue que j’ai exprimé il n’y a pas longtemps, à savoir que les deux pays vont se rapprocher, et non s’éloigner, l’un de l’autre. Nous devons surveiller attentivement si quelque chose de conséquent sera entrepris pour « punir » la Russie ou casser les relations [2] qui se sont améliorées avec l’Iran.

Je crois que Trump va s’avérer en fait être le grand « non décideur ». A l’évidence, cela affaiblira sa position. Mais tout ce que nous ferons d’autre affaiblira sa position encore plus.

Vive l’imprévisibilité !

 

Traduction : Mireille Azzoug

Illustration : IoSonoUnaFotoCamera

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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.




[1NDT. L’entrevue a eu lieu le 6 avril à Mar-a-Lago en Floride, la résidence privée de Donald Trump. A l’issue, le président américain a déclaré : « La relation que nous avons développée, le président Xi et moi-même, est exceptionnelle. Je suis convaincu que des problèmes potentiellement très graves s’évanouiront. »

[2Trump a menacé à plusieurs reprises de casser l’accord sur le nucléaire signé à Vienne le 14 juillet 2015 entre les Etats-Unis et l’Iran.



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