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Le Venezuela au cœur de blocages politiques

mercredi 12 juillet 2017   |   Christophe Ventura
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Après trois mois de manifestations, quelle est la situation politique du Venezuela ?

Durant cette période, la polarisation et la radicalisation n’ont eu de cesse de s’accroître tragiquement – en plus des morts et blessés des deux côtés, de nombreux édifices publics et d’institutions sont quotidiennement attaqués –, sans que le pays n’ait trouvé le moindre chemin d’une résolution politique au conflit qui oppose le gouvernement chaviste et son opposition. Ce cycle de trois mois, qu’il faut mettre en perspective avec les précédentes vagues de contestation radicale lancées par l’opposition depuis 2014 – quelques mois après que cette dernière n’ait pas reconnue la victoire de Nicolás Maduro contre Henrique Capriles lors des présidentielles d’avril 2013 – a une singularité. Sur fond d’approfondissement de la crise économique et sociale, il a fait entrer le Venezuela dans une sorte de combustion politique. Une « guerre institutionnelle » est déclarée entre le chavisme et l’opposition, tandis que la rue – pour l’essentiel dans certains quartiers urbains, notamment dans l’Est de Caracas où vivent les classes moyennes supérieures et la bourgeoisie – est devenue le terrain d’une bataille rangée entre manifestants radicalisés et forces de l’ordre. Dans le même temps, le gros de la population vénézuélienne, en particulier à l’intérieur du pays rural, semble observer cette confrontation sans en être directement partie prenante.

Dans ce contexte si singulier, aucun des protagonistes n’a vraiment pris l’ascendant sur l’autre. Les classes populaires – qui forment la grande majorité de la population – sont mécontentes du gouvernement, notamment du fait de la situation économique. Elles peuvent sporadiquement organiser des jacqueries locales mais elles n’ont pas rejoint l’opposition. La jonction politique et sociologique n’a pas eu lieu.

Progressivement, l’opposition est entrée dans une stratégie insurrectionnelle, refusant toute négociation politique avec un gouvernement qu’elle qualifie de « dictature ». En son sein – l’opposition étant une coalition de forces très diverses –, les secteurs les plus radicaux ont pris le leadership de l’action. De son côté, l’unité du chavisme s’est fissurée. Des dissidences sont apparues sur sa gauche – opposition aux décisions électorales du gouvernement, notamment la non organisation du référendum révocatoire, à la décision du Tribunal suprême de justice (TSJ) d’avril et à la proposition d’Assemblée constituante – et sur sa droite. Ainsi, une aile dure considère désormais qu’il faut être bien plus ferme vis-à-vis d’une opposition considérée violente, extra-légale, séditieuse et liée aux intérêts de Washington. Le président Maduro, fort du soutien des forces armées, doit gérer ces paramètres et leurs évolutions.

C’est dans ce contexte d’affrontement majeur qu’est intervenue le 8 juillet la sortie inattendue de prison de l’un des principaux opposants appartenant à la ligne dure, Leopoldo Lopez. Il avait été condamné en 2015 à 14 ans de prison par la procureure générale de la République Luisa Ortega pour avoir incité les violences de 2014 (43 morts). Le dirigeant emblématique du parti Volonté populaire est désormais assigné à résidence. Par ce geste, le gouvernement veut montrer que les institutions vénézuéliennes fonctionnent et cherche à ce que l’opposition les reconnaisse, ce qu’elle ne fait pas actuellement. Le TSJ qui assouplit la peine de Leopoldo Lopez est le même qui a suspendu temporairement les pouvoirs de l’Assemblée en avril (début de la nouvelle crise) – avant de revenir en arrière – pour que soit notamment appliquée la loi sur les hydrocarbures permettant au gouvernement de signer divers contrats commerciaux internationaux d’exploitation vitaux dans la période. C’est aussi ce même tribunal qui a exigé la comparution de la procureure Luisa Ortega – désormais opposée au gouvernement – pour une audience.

Le gouvernement tente de faire baisser la pression et de montrer qu’il souhaite le dialogue avec l’opposition, aujourd’hui totalement rompu. Il cherche à la ramener sur le terrain de la négociation politique à quelques encablures d’une séquence à haut risque. Le 16 juillet, l’opposition organise en effet une consultation nationale – sans valeur juridique - qui poursuit un double objectif. Trois questions seront posées : rejetez-vous la Constituante ? Souhaitez-vous que les forces armées soutiennent l’Assemblée (contrôlée par l’opposition) ? Souhaitez-vous l’organisation d’élections, la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et la rénovation des pouvoirs publics ? Le premier objectif est de mobiliser plus de gens que ce que le gouvernement arrivera à faire le 30 juillet pour la Constituante (l’opposition boycottera l’échéance et la participation chaviste reste incertaine). Le second est que le résultat de cette consultation soit un plébiscite des positions de l’opposition. Du point de vue du gouvernement, un tel résultat équivaudrait à un pas de plus effectué vers la sédition de l’opposition et la possible légitimation, par ses secteurs les plus radicaux, de la mise en place de pouvoirs parallèles dans le pays.

Avec la sortie de prison de Leopoldo Lopez, il s’agit peut-être d’éviter une escalade supplémentaire vers la radicalisation dans les deux camps ; radicalisation qui pourrait devenir difficile – voire impossible – à contrôler par la suite.

 

Qu’en est-il de la situation économique du pays ?

Elle est toujours très mauvaise et reste la toile de fond de la crise politique depuis 2013. Le Venezuela s’enfonce dans une crise dont il ne parvient pas à sortir car l’économie du pays dépend inextricablement des marchés internationaux et du pétrole ; or, compte-tenu du contexte actuel, il est quasiment impossible de modifier les politiques macro-économiques.

Le pays doit donc gérer une situation de pénurie pour beaucoup de produits d’importation, dont les plus problématiques sont les médicaments. La récession et l’hyperinflation ne jouent clairement pas en faveur du gouvernement. Toutefois, par comparaison à l’année précédente, le gouvernement arrive peu ou prou à assurer l’approvisionnement minimal des produits de première nécessité pour les milieux populaires.

 

Quelle est la réaction des autres pays d’Amérique latine ?

Le Venezuela est devenu le point de cristallisation des conflits liés aux nouveaux rapports de force entre la droite revenant au pouvoir en Amérique latine et ce qui reste des gouvernements progressistes. Une alliance anti-Venezuela très offensive est constituée par l’Argentine, le Brésil et le Pérou, soutenue par les Etats-Unis. Le Mexique aussi, mais sa position géographique nord-américaine le rend plus périphérique dans le dossier. Ces pays essaient de mettre le Venezuela au ban et l’acte I fut la suspension de Caracas du Mercosur fin 2016. Ces pays tentent également régulièrement d’activer au sein de l’Organisation des États américains la charte démocratique pour ouvrir la possibilité de sanctions internationales, en statuant sur le fait que le Venezuela ne répond pas aux normes démocratiques de l’Organisation. Cependant, cette coalition des droites latino-américaines n’arrive à rien du fait d’une absence de consensus au sein de l’OEA sur le cas vénézuélien. En effet, la Bolivie, l’Equateur et le Nicaragua soutiennent la souveraineté du gouvernement vénézuélien, dénoncent les agissements de l’opposition et sont opposés à toute forme d’ingérence. D’autres pays essaient de ne pas prendre un parti trop tranché dans ces débats.

Il y a donc un blocage régional autour du Venezuela puisqu’aucune coalition n’est en mesure de s’imposer. Ce blocage paralyse les institutions d’intégration régionale sud-américaines. Par exemple, l’Union des nations sud-américaines avait essayé de faciliter la mise en place d’un dialogue qui a échoué faute de participation de l’opposition vénézuélienne. À cause de leurs divergences internes, les organisations sud-américaines sont donc dans l’incapacité d’agir.

 

Source : http://www.iris-france.org/97031-le-venezuela-au-coeur-de-blocages-politiques/





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