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Liberté pour Julian Assange !

vendredi 26 août 2016   |   Ignacio Ramonet
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Cela fait plus de quatre ans, depuis le 19 juin 2012, que Julian Assange, cyberactiviste australien, champion de la lutte pour une information libre, est privé de liberté, réfugié dans les locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres. Ce petit pays latino-américain a eu le courage d’accorder l’asile diplomatique au fondateur de WikiLeaks persécuté et harcelé par les autorités des Etats-Unis et de deux de leurs alliés (Royaume-Uni, Suède).

La justice suédoise exigeait que Julian Assange aille témoigner personnellement à Stockholm. On sait qu’une plainte (une seule ; la seconde accusation est devenue caduque avec le temps) y a été déposée contre lui pour viol. Cependant, il est important de préciser qu’aucune charge judiciaire ne pèse contre Assange. La justice suédoise souhaite seulement procéder à un « interrogatoire d’investigation ». Il ne s’agit donc pas d’une inculpation après présentation de charges. La Suède a d’ailleurs admis devant la Cour suprême du Royaume-Uni que Julian Assange avait quitté ce pays scandinave avec l’autorisation du ministère public. Récemment d’ailleurs, Quito a annoncé avoir signé un accord avec Stockholm pour permettre effectivement à la justice suédoise d’entendre Julian Assange dans les locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres.

Le fondateur de WikiLeaks refusait en effet de se rendre en Suède, à moins que la justice de ce pays lui garantisse qu’il ne serait pas extradé vers les Etats-Unis, où il risquait d’être traduit devant un tribunal qui pourrait, selon ses avocats, l’accuser « d’espionnage » et, en vertu d’une loi de 1917, le condamner à la peine capitale.

En réalité, le seul crime de Julian Assange est d’avoir fondé WikiLeaks. Cela a suscité partout des débats passionnés pour déterminer si cette plateforme faisait avancer la liberté de la presse, si elle était bonne ou mauvaise pour la démocratie, s’il fallait la censurer ou pas. Ce qui est certain c’est que le rôle joué par WikiLeaks dans la diffusion d’un demi-million de rapports secrets relatifs aux abus commis par des militaires en Afghanistan et en Irak, et des quelque 250 000 rapports envoyés par les ambassades des Etats-Unis au Département d’Etat constitue « un fait qui fera date dans l’histoire du journalisme ».

WikiLeaks a été créée en 2006 par un groupe d’internautes anonymes, dont Julian Assange était le porte-parole, qui s’est donné pour mission de recevoir et de diffuser les filtrations d’informations (leaks) en garantissant l’anonymat des sources.

Rappelons les trois raisons qui, selon Julian Assange, sont à l’origine de la création de cette plateforme. « La première, c’est la mort de la société civile à l’échelle mondiale. La circulation rapide des flux financiers que les transferts électroniques de fonds rendent bien plus rapides que la sanction politique ou morale ont détruit la société civile partout dans le monde. […] Un nombre important de gens sait que la société civile est donc morte, qu’elle n’existe vraiment plus, et ils en profitent pour accumuler richesse et pouvoir. La deuxième raison […], c’est l’existence d’un énorme Etat sécuritaire occulte, qui se développe partout dans le monde, principalement aux Etats-Unis […]. La troisième, c’est que les médias internationaux sont un désastre […], l’environnement des médias internationaux est si mauvais et déformateur que nous serions en bien meilleure situation s’il n’existait aucun média. Aucun. »

Assange a une vision radicalement critique du journalisme. Dans un entretien, il a même affirmé que, « considérant l’état d’impuissance du journalisme, je me sentirais offensé si l’on m’appelait journaliste. […] L’abus le plus flagrant a eu lieu pendant la guerre [d’Irak et d’Afghanistan] racontée par les journalistes. Des journalistes qui ont participé à la création de conflits par leur manque de questionnement, leur manque d’intégrité et leur attitude lâche face à la communication gouvernementale. »

La philosophie de WikiLeaks s’appui sur un principe fondamental : les secrets existent pour être dévoilés. Toute information occulte a vocation à être révélée et mise à la disposition des citoyens. Les démocraties ne doivent rien cacher et les dirigeants politiques non plus. Si l’action publique de ces derniers n’était pas incompatible avec leur conduite publique ou privée, les démocraties ne devraient nullement craindre la diffusion « d’informations filtrées ». Mais pourquoi les journalistes, en démocratie, devraient se taire quand un responsable politique affirme une chose en public et dit ou fait le contraire en privé ?

WikiLeaks offre aux internautes la possibilité de diffuser des enregistrements, des vidéos ou des textes confidentiels, en vérifiant son authenticité mais sans chercher à savoir comment ils ont été obtenus. WikiLeaks vit grâce aux donations des internautes et des fondations, et n’accepte aucune aide publique. De nombreuses instances internationales ont reconnu l’utilité de son travail. En 2008, WikiLeaks a reçu l’« Index on Censorship Award » attribué par l’hebdomadaire britannique The Economist, et en 2009, Amnesty International lui a octroyé le prix du meilleur « nouveau média » pour avoir publié, en novembre 2008, un document censuré relatif à un cas de malversation des fonds effectué par l’entourage de l’ancien président du Kenya, Daniel Arap Moi.

Depuis sa création, WikiLeaks a été en permanence un festin de secrets, une véritable usine à scoops. Il a diffusé plus de révélations que l’ensemble des journaux les plus prestigieux depuis des décennies… Parmi les grands scandales révélés on peut souligner : les documents dénonçant les techniques utilisées par la banque suisse Julius Baer pour faciliter l’évasion fiscale ; le manuel de procédure pénale de l’armée américaine à Guantanamo ; la liste des noms, les professions et les coordonnées des membres du Parti National Britannique (BNP, d’extrême droite) où l’on trouvait des membres de la police ; la liste détaillée des courriers électroniques échangés avec l’extérieur par les victimes des attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001 ; les documents prouvant le caractère frauduleux du dépôt de bilan de la banque islandaise The New Kaupthing ; les protocoles secrets de l’Eglise de Scientologie ; l’historique des courriers personnels envoyés par Sarah Palin, candidate républicaine à la vice-présidence des Etats-Unis, a John Mc Cain, depuis son ordinateur professionnel pendant la campagne électorale (ce qui est interdit par la législation américaine) ; les rapports secrets du procès de l’assassin Marc Dutroux, y compris le listing avec les numéros de téléphone, les numéros de comptes bancaires et les adresses de toutes les personnes impliquées dans cette fameuse affaire de pédophilie ; sans oublier les récents emails polémiques d’Hillary Clinton.

Comme Edward Snowden et Chelsea Manning, Julian Assange fait partie d’un nouveau groupe de dissidents politiques qui se battent pour une nouvelle forme d’émancipation et qui sont persécutés et harcelés non pas par des régimes autoritaires mais par des Etats qui prétendent être des « démocraties exemplaires »…

En février dernier, le Groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations unies, qui dépend du Comité des droits de l’Homme, a déclaré que Julian Assange était en état de « détention arbitraire » en raison de l’attitude du Royaume-Uni et de la Suède. Des experts internationaux ont également signalé que les autorités britanniques et suédoises devraient « mettre fin à sa détention » et « respecter son droit à obtenir une juste compensation ». D’après ce jury international, Julian Assange a été soumis à différentes formes de privation de liberté : « détention initiale à la prison de Wandsworth de Londres », régime d’isolement, « suivi de détention domiciliaire et ensuite de confinement à l’ambassade de l’Equateur ». Même si cette décision du Groupe d’experts internationaux des Nations unies n’est pas contraignante, elle suppose une grande victoire morale pour Julian Assange. Elle lui donne raison dans sa longue lutte contre les décisions arbitraires des autorités suédoises et britanniques.

Sur ce point, le président équatorien Rafael Correa a déclaré que son gouvernement accorde asile et protection au fondateur de WikiLeaks parce qu’« Assange n’a aucune garantie de respect de ses droits humains et de ses droits en matière de justice ». Le ministre équatorien des affaires étrangères, Guillaume Long, a déclaré pour sa part que l’Equateur « reste légitimement préoccupé par les droits humains d’Assange » et que Quito considère qu’ils existe une sorte de « persécution politique » contre lui qui justifie que l’Equateur lui accorde l’asile.

Pour réclamer la liberté de Julian Assange, ses amis à travers le monde ont organisé, entre le 19 et le 24 juin dernier, dans diverses capitales (Athènes, Belgrade, Berlin, Bruxelles, Buenos Aires, Madrid, Milan, Montevideo, Naples, New York, Quito, Paris, Sarajevo) une série de réunions et conférences auxquelles ont participé d’importantes personnalités (Noam Chomsky, Edgar Morin, Slavo Zizek, Arundhati Roy, Ken Loach, Yanis Varoufakis, Baltasar Garzón, Amy Goodman, Ignacio Escolar, Emir Sader, Eva Golinger, Evgeny Morozov, etc.).

A Quito (Equateur), le Symposium était organisé par le Centre international d’études supérieures pour l’Amérique latine (Ciespal) et Julian Assange y a fait lui même une intervention en visioconférence. Le professeur Francisco Sierra, directeur du Ciespal, a déclaré : « Nous pensons que le problème de Julian Assange est en réalité celui de la liberté d’information. Si la liberté d‘informer, de se déplacer et de se réunir n’existe pas, il n’y a pas de droits humains. Pourtant, le premier droit est celui de communiquer. Le cas Assange est une atteinte inacceptable au droit de communication. »

Les participants ont lancé un vaste mouvement d’opinion à l’échelle mondiale pour proposer la candidature de Julian Assange au Prix Nobel de la Paix.

Tous ces événements solidaires se sont fixés deux objectifs. En premier lieu : revendiquer les droits que l’on refuse à Julian Assange, tels que la présomption d’innocence et la liberté de mouvement. Et en second lieu : rappeler ce que représente WikiLeaks  : le défi de préserver la liberté d’information et de communication dans un monde sous surveillance permanente.





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