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Mon ami, mon frère
Ramon Chao

Par Ignacio Ramonet

samedi 26 mai 2018   |   Ignacio Ramonet
Lecture .

Le 20 mai dernier, à l’âge de 82 ans et loin de son Villalba (Lugo) natal, s’est éteint mon ami, mon frère Ramon Chao, Galicien, rebelle, pianiste, écrivain, journaliste, séducteur, volubile, aventurier et, plus que tout, un homme d’une trempe peu commune.

Outre notre anti-franquisme, nous avions en commun la caractéristique d’être des « Galiciens de Paris », identité très singulière, et, en tant que journalistes, les seuls Espagnols qui ont dirigé de prestigieux médias français : Radio France internationale (RFI) pour lui et Le Monde diplomatique pour moi.

Ramon ne fut pas seulement un immense écrivain, infatigable et obsessionnel, qui remettait sa prose vingt fois sur le métier – lisez Le Lac de Côme –, mais aussi un journaliste exquis comme on n’en fait plus, et un intervieweur hors pair comme l’attestent ses livres exceptionnels avec deux monstres de la littérature : Juan Carlos Onetti et Alejo Carpentier. Il est inouï – et à la limite du crime éditorial – que son livre d’entretiens avec Jorge Luis Borges n’ait pas été publié.

En cinquante ans d’amitié et de complicité nous avons écrit plusieurs livres à quatre mains – parmi lesquels le Guide du Paris rebelle et l’Abécédaire partiel et partial de la mondialisation. Dans divers journaux, dont Triunfo et La Voz de Galicia, nous avons publié des chroniques entrelacées, c’est-à-dire des textes écrits par lui et signés de moi, ou vice versa. Au point que beaucoup de gens nous confondaient.

Un jour, au Mexique, je fus invité à donner une conférence. Ramon me remplaça et personne ne s’en aperçut. Une autre fois, à Bilbao, nous fîmes une conférence ensemble et, avant de commencer, les présentateurs attribuèrent ma biographie à Ramon, et la sienne à moi. Evidemment, nous ne fîmes pas de démenti… Cela nous fit rire. Un nombre incalculable de fois, j’ai été présenté comme « le père de Manu Chao » et Ramon comme « le directeur du Monde diplomatique  ». Notre règle était de ne jamais rectifier.

Alors que Ramon vient tout juste de nous quitter, une dame m’écrit pour me présenter ses condoléances pour « la mort de mon père, auteur de ce livre indispensable Fidel Castro, biographie à deux voix  ». Tout ceci me préoccupe. Par ce que j’ai en mémoire une célèbre nouvelle d’Edgar Poe, « William Wilson », dans laquelle deux amis se ressemblent tellement et s’identifient à ce point l’un à l’autre que le jour où l’un décède, celui qui reste se rend soudain compte que ce n’est pas l’autre qui est mort. C’est lui.





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