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Quand le gang des « has been » d’Amérique latine et d’Espagne se mobilise contre le Venezuela

mercredi 15 avril 2015   |   Maurice Lemoine

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Le 9 avril, en prélude au Sommet des Amériques, en compagnie des ex-chefs d’Etat Felipe Calderón (Mexique), Jorge Quiroga (Bolivie) et de l’ancien chef du gouvernement espagnol José María Aznar, l’ex-président colombien Andrés Pastrana a présenté en grandes pompes aux médias, dans les salons d’un luxueux hôtel, une « Déclaration de Panamá ». Egalement signé par d’autres ex-gouvernants latino-américains, ce texte dénonce « la grave altération démocratique et constitutionnelle dont souffre le Venezuela » et « exige l’immédiate remise en liberté des prisonniers politiques et le rétablissement des conditions nécessaires pour l’exercice des droits fondamentaux et des libertés publiques dans ce pays ». Bénéficiant d’une ample publicité, cette déclaration a été remise aux participants au Sommet, à l’Organisation des Etats américains (OEA) et à l’Organisation des Nations unies (ONU). « Nous faisons cela pour attirer l’attention de la communauté internationale sur ce qui se passe au Venezuela avec les droits de l’homme », a déclaré Andrés Pastrana.

On ne peut que se féliciter de voir d’aussi éminentes personnalités politiques – dont la liste figure ci-dessous – se préoccuper pour la démocratie et le respect des droits de l’homme à Caracas, tant les compétences et l’expérience de chacun sont dignes du plus grand respect. Qu’on en juge…

Andrés Pastrana. Président colombien de 1998 à 2002, période pendant laquelle, d’après la Commission des droits de l’homme de l’ONU, la situation des droits en question s’est considérablement aggravée, essentiellement du fait de la montée en puissance des groupes paramilitaires liés à l’armée et agissant en toute impunité dans l’ensemble du pays. La signature, avec Washington, du « plan Colombie » (sans que le Congrès national n’ait été consulté) a eu pour principale conséquence de prolonger et radicaliser le conflit armé interne.

Felipe Calderón. Personne n’aurait pu imaginer que son sexennat (2006-2012) conduirait le Mexique à une situation aussi épouvantable : sa désastreuse stratégie de militarisation de la lutte contre les narcotrafiquants a fait exploser l’usage de la torture par les forces armées, s’est soldée par 60 000 morts violentes auxquelles on rajoutera plus de 26 000 « disparitions », sans faire aucunement reculer le crime organisé. En revanche, le taux de la population vivant sous le seuil de pauvreté (moins de 100 dollars par mois) est passé de 43 % à 46 %.

Jorge Quiroga. N’a jamais été élu président de Bolivie ; vice-président, il n’a accédé brièvement à la fonction (du 7 août 2001 au 6 août 2002) que parce que le président Hugo Banzer, victime d’un cancer, a dû démissionner.

José María Aznar. Chef du gouvernement espagnol du 4 mai 1996 au 17 avril 2004 ; on lui doit la « position commune » de l’Union européenne (UE) adoptée en 1996 – sanctions limitant les échanges politiques, diplomatiques et culturels avec Cuba – au nom de l’alignement sur la politique étrangère des Etats-Unis. Dès le 12 avril 2002, au nom de l’UE dont il assurait la présidence en tant que président du gouvernement espagnol (mais dont il n’avait consulté aucun dirigeant), Aznar a reconnu, en compagnie de George W. Bush, le gouvernement putschiste du patron des patrons vénézuélien Pedro Carmona, qui avait participé la veille au coup d’Etat contre Hugo Chávez. Son expertise en matière de « droits de l’homme » lui a permis de devenir conseiller de Barrick Gold, numéro un mondial dans l’extraction minière de l’or, et d’intégrer le conseil d’administration de News Corporation, l’empire de Rupert Murdoch (The Times, Wall Street Journal, Fox News, etc.).

Eduardo Duhalde. Vice-président de l’ultralibéral Carlos Menem de 1989 à 1991, Duhalde n’a pas été élu, mais, en pleine crise de la dette, est devenu chef de l’Etat « intérimaire » de l’Argentine – nommé par l’Assemblée législative après la démission de Fernando de la Rúa – du 2 janvier 2002 au 25 mai 2003. Alors qu’il se trouvait à la Casa Rosada (la présidence), la police a réprimé brutalement les manifestants, notamment lors de ce qui est demeuré dans les mémoires sous le nom de « massacre de Avalleneda » (deux morts, trente-trois blessés par balles). Devant l’indignation populaire, il a dû organiser des élections anticipées.

Sebastián Piñera. Doté d’une fortune de 2,4 milliards de dollars, ce « Berlusconi chilien » (2010-2014), qui n’a pas hésité à faire entrer d’anciens collaborateurs du régime militaire du général Augusto Pinochet dans son gouvernement, a durement réprimé en 2011 les innombrables manifestations étudiantes – certaines d’entre elles se terminant par des centaines d’arrestations (870 le 4 août) – qui réclamaient une éducation publique, gratuite et de qualité. Contre les Mapuches – communautés autochtones qui protègent leurs terres ancestrales de l’expansion de projets d’exploitation forestière –, le pouvoir a appliqué la loi anti-terroriste héritée de la dictature de Pinochet. En vertu de l’article 269 de la loi Hinzpeter, ceux qui participaient aux « désordres de l’ordre public » ou tout autres actes de violence pouvaient être punis d’une peine de prison de 541 jours à trois ans de prison.

Álvaro Uribe. Proche du « narco » Pablo Escobar lorsqu’il était maire de Medellín (1982), principal promoteur et initiateur des Coopératives de sécurité rurale – les Convivir, ultérieurement ralliées aux paramilitaires – quand il a exercé la fonction de gouverneur de l’Antioquia (1995-1997). Ses deux mandats présidentiels (2002-2006 ; 2006-2010) ont été marqués par une succession de scandales sanglants. Dans celui dit « de la parapolitique », plus de soixante députés et sénateurs (dont son cousin Mario Uribe) appartenant à sa mouvance politique ont été mis en examen, en détention ou condamnés (trente-deux) pour leurs liens avec les narcoparamilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Dans le cadre des « chuzadas », le président de la Cour suprême, ainsi que de nombreux magistrats, journalistes et opposants ont été espionnés par la police politique (Département administratif de sécurité ; DAS). La pratique des « faux positifs » a vu des membres de l’armée colombienne assassiner des civils innocents – 2 700 d’après le parquet général (en septembre 2011) – afin de les faire passer pour des guérilleros morts en combat. Chef de la sécurité et homme de confiance d’Uribe au Palacio de Nariño (le palais présidentiel), le général Mauricio Santoyo, a été condamné en décembre 2012, aux Etats-Unis, à treize ans d’incarcération pour ses liens avec le narcotrafic.

Belisario Betancur. Sous sa présidence, le 6 novembre 1985, un commando du M-19 a investi le Palais de justice de Bogotá, où siégeait la Cour suprême, retenant en otage plus de 300 personnes. Alors que les guérilleros exigeaient de négocier avec le président, celui-ci refusa et l’assaut donné par l’armée se transforma en boucherie : une centaine de morts, guérilleros pour la plupart, onze juges de la Cour suprême et des employés du palais, auxquels s’ajoutent onze disparus.

Miguel Ángel Rodríguez. Président du Costa Rica de 1998 à 2002, brièvement (un mois !) secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) en 2004, il a été condamné le 27 avril 2011 à cinq ans de prison pour corruption aggravée (un pot-de-vin de 819 000 dollars pour l’adjudication d’un contrat de téléphonie mobile à Alcatel), avant d’être acquitté en appel. Contestant cette décision, la Cour suprême l’a remis en examen en novembre 2014.

Rafael Ángel Calderón. Président du Costa Rica de 1990 à 1994. Accusé d’avoir perçu des commissions sur l’achat de matériel médical effectué en 2002 pour le compte de la sécurité sociale, il a été condamné à cinq ans de prison, pour corruption, en octobre 2009, et n’a pu prendre part, comme il le souhaitait, à l’élection présidentielle de février 2010.

Laura Chinchilla. Lorsqu’elle a quitté la présidence du Costa Rica, le 8 mai 2014, une grève générale des enseignants inondait les rues de manifestants dénonçant des retards de salaires. Il restera de son mandat le scandale qui a éclaté lorsque a été révélé que, en mars et mai 2013, à cause de l’incurie de son ministre de la Communication et du chef des services de renseignements (qui ont dû démissionner), elle a utilisé, pour un déplacement officiel, puis un voyage privé au Pérou, un jet mis à sa disposition par Gabriel Morales Fallon, un homme d’affaires colombien soupçonné dans son pays d’être lié à des trafiquants de drogue.

Óscar Arias. Lui aussi ex-président du Costa Rica, il a reçu le prix Nobel de la paix en 1987 pour son rôle dans les processus de paix en Amérique centrale (Salvador, Nicaragua, Guatemala) – bien qu’il ait en permanence tenté de marginaliser le Nicaragua sandiniste. Pour éviter que l’OEA (dominée par des gouvernements de gauche et de centre gauche) ne gère la crise née au Honduras après le renversement, en juin 2009, du président Manuel Zelaya, il s’est vu confier le rôle de « médiateur » grâce aux manœuvres de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Jouant la montre, il a permis aux putschistes de consolider leurs positions tout en empêchant le retour de Zelaya dans son pays avant l’organisation d’élections sous contrôle (le 29 novembre 2009) permettant de « laver » le « golpe ».

Luis Alberto Monge. Elu président du Costa Rica en 1982. Bien que déclarant son pays neutre, il a fermé les yeux sur les activités des groupes antisandinistes en échange d’une importante aide économique des Etats-Unis de Ronald Reagan. C’est durant son mandat que l’ambassadeur américain Lewis Tamb et la CIA, avec l’appui des forces de sécurité costariciennes, ont ouvert une piste d’atterrissage utilisée pour approvisionner le Front sud de la « contra » en armes – financées par le trafic de cocaïne organisé en lien avec le cartel de Medellín par la CIA.

Osvaldo Hurtado. Vice-président équatorien, arrivé au pouvoir sans être élu, après la mort, en 1981, dans un accident d’avion, du chef de l’Etat progressiste Jaime Roldós. Candidat à trois reprises à la magistrature suprême, il a chaque fois été battu ; lors de sa dernière tentative, en 2002, il a rassemblé… moins de 1 % des voix.

Lucio Gutiérrez. Président équatorien destitué par le Parlement le 20 avril 2005, au terme d’un soulèvement populaire, il a été impliqué dans la tentative de coup d’Etat fomenté le 30 septembre 2010 par des policiers mutins contre le président Rafael Correa.

Alfredo Cristiani. Au pouvoir au Salvador de 1989 à 1994, il a été élu sous les couleurs de l’Alliance républicaine nationaliste (Arena), parti associé aux escadrons de la mort d’extrême droite fondés par le major Roberto D’Aubuisson pour étouffer toute opposition. Sous son mandat, au prétexte de lutter contre la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), l’armée a assassiné six prêtres jésuites, dont le recteur de l’Université Centraméricaine (UCA), Ignacio Ellacuria, très impliqué dans la recherche de la paix. Pour apaiser l’indignation de la communauté internationale, Cristiani a promis que les responsables seraient jugés. La plupart seront acquittés par un jury en 1991, avant que Cristiani ne décrète une amnistie en avril 1993... quelques jours avant la publication d’un rapport d’enquête des Nations Unies démontrant la compromission des plus hautes autorités de l’armée (et des Etats-Unis). Lorsque, à New York, le 31 décembre 1992, un accord de paix a été signé avec le FMLN, Cristiani n’a pas paraphé personnellement le document.

Armando Calderón Sol. Successeur d’Alfredo Cristiani à la présidence du Salvador (1994-1999) pour le compte, lui aussi, de l’Arena dont il est l’un des fondateurs. Son gouvernement s’est essentiellement distingué par l’ampleur des « réformes » et des privatisations.

Vicente Fox. Président de Coca-Cola pour le Mexique et l’Amérique latine, il a été élu pour six ans chef de l’Etat du Mexique le 2 juillet 2000, pour le compte du Parti d’action nationale (PAN). Dans son zèle néolibéral, il a multiplié les privatisations (eau, électricité, parcs naturels, sites archéologiques, etc.), dans le contexte des méga-projets continentaux prévus par le Plan Puebla - Panama (PPP), lui-même conçu en vue de la concrétisation de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), chère aux Etats-Unis. Ces projets se heurtant à une vive résistance, la répression s’est déchaînée à travers la militarisation et l’émergence de groupes paramilitaires, en particulier dans les États (Chiapas, Guerrero, Michoacán, Oaxaca) où survit 80% de la population indigène.

Alejandro Toledo. A la tête du Pérou de 2001 à 2006, ennemi des entreprises publiques et continuateur des politiques néolibérales du dictateur Alberto Fujimori, qui a fui le pays, il s’est montré particulièrement complaisant avec le capital étranger. Il a terminé son mandat très impopulaire, les Péruviens lui reprochant de ne pas avoir bénéficié des fruits de la croissance alors que l’économie était au mieux depuis cinq ans. Se représentant à la présidentielle d’avril 2011 (remportée par Ollanta Humala), il n’a obtenu que 16 % des voix.

Luis Alberto Lacalle. Représentant l’aile droite du parti Blanco, partisan déclaré des politiques économiques néolibérales, il a été président de l’Uruguay de 1990 à 1995. Le 13 décembre 1992, un référendum d’initiative populaire a annulé (avec près de 75 % des voix) cinq des trente-deux articles de sa loi générale sur les privatisations, laborieusement approuvée après seize mois de débat. Le 28 août 1994, ce peuple décidément insoumis, rejettera (63 % des voix) une réforme constitutionnelle confuse prévoyant, entre autres, une réforme du système électoral et des prestations sociales.

Nicolás Ardito Barletta. Technocrate panaméen, vice-président de la Banque mondiale pour l’Amérique latine et les Caraïbes (1978-1984), vainqueur de l’élection présidentielle de mai 1984, il a été poussé à la démission le 28 septembre 1985 par le général Manuel Antonio Noriega.

Mireya Moscoso. A gouverné le Panama de 1999 à 2004 et a défrayé la chronique du fait de son goût pour les vêtements de luxe et les bijoux payés sur le budget de l’Etat. Un temps inquiétée pour l’usage irrégulier, par une fondation que dirigeaient des proches, d’un don de 45 millions de dollars effectué par Taiwan, elle a réussi à se sortir de ce mauvais pas. Proche alliée des Etats-Unis, elle a, sur demande pressante de Washington, le 26 août 2004, dernier jour de son mandat, amnistié « pour raisons humanitaires » le terroriste anticastriste Luis Posada Carriles. Arrêté alors qu’il préparait un attentat à la bombe contre Fidel Castro en visite au Panamá en novembre 2000, il avait été condamné à huit années d’incarcération. Agent de la CIA, auteur intellectuel de l’attentat contre un DC-8 de la Cubana de Aviación qui fit soixante-treize victimes, à La Barbade, en 1976, Posada Carriles vit actuellement, en toute impunité, à Miami (où réside également Mireya Moscoso).

A tous ces signataires de la « Déclaration de Panamá », regroupés au sein de l’Initiative démocratique d’Espagne et des Amériques (IDEA), s’est joint le « socialiste » Felipe González. Au sein de cette belle brochette, il ne dépare pas. Le 26 septembre 1983, alors chef du gouvernement espagnol, il a décoré l’amiral Rubén Franco, l’un des chefs de la dictature argentine (depuis condamné pour « vol de bébés »), de la Grande Croix de l’Ordre du Mérite Aéronautique. Le contre-amiral Ciro García, collaborateur du dictateur Jorge Videla, lié aux services de renseignements, recevra également de ses mains la même distinction. C’est également sous le gouvernement de González que, de 1983 à 1986, émanation du pouvoir, l’escadron de la mort des Groupes antiterroristes de libération (GAL) ont assassiné dix-sept séparatistes basques sur le sol français.

« Bien que [leur ] prise de position soit purement symbolique, a commenté le politologue Daniel Lansberg-Rodriguez dans la revue américaine Foreign Policy (reprise sans une once de réflexion par Courrier International), elle contribue à démonter le récit officiel de la solidarité entre pays latino-américains face à l’impérialisme américain » Ce qui s’appelle prendre ses désirs pour des réalités. En effet, cette bande de « has been » dépourvus de légitimité pour donner des leçons à qui que ce soit a été clairement désavouée par les chefs d’Etat en exercice. Face au décret du président Barack Obama qualifiant le Venezuela de « menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis », tant l’Union des nations sud-américaine (Unasur) que la Communauté des Etats latino-américains et caraïbes (Celac) ont manifesté un rejet unanime et, déclarant que l’ingérence des Etats-Unis dans la région « crée une très forte tension », ont réclamé son abrogation [1]. Par ailleurs, lors du Sommet des Amériques que la machine à simplifier médiatique a résumé à « l’historique poignée de main entre Raúl Castro et Obama », les pressions et interventions américaines ont été vigoureusement dénoncées par les chefs d’Etat de la Bolivie (Evo Morales), de l’Equateur (Rafael Correa), du Venezuela (Nicolás Maduro) et de l’Argentine (Cristina Kirchner), avec l’assentiment de leurs homologues continentaux et insulaires – la Communauté des Caraïbes (Caricom ; treize Etats) se distinguant dans sa solidarité avec Caracas. Enfin, et après qu’Obama ait abandonné l’assemblée plénière pour éviter d’entendre les critiques adressées aux Etats-Unis, aucune « déclaration finale » n’a été signée, faute de consensus entre « yankees » et « latinos ».

Maurice Lemoine : auteur de Les enfants cachés du général Pinochet. Précis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de déstabilisation, Don Quichotte, Paris, 2015.

Illustration : José María Aznar et Álvaro Uribe (Photo d’archive)




[1Lire Christophe Ventura, « La faute de Barack Obama en Amérique latine », Mémoire des luttes.



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