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Relation au pouvoir : ne pas imposer une vision unique

vendredi 4 avril 2008   |   Sven Giegold
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Beaucoup de choses ont été dites, c’est pourquoi j’aimerais faire quelques commentaires relatifs aux interventions qui ont été faites. Tout d’abord, si nous réfléchissons à la situation du mouvement, il est essentiel à mon avis de voir qu’il n’y a pas vraiment une situation et un mouvement. Il y a des différences très grandes, c’est pourquoi il n’est pas évident de construire un discours sur un post-altermondialisme si l’on n’a pas réussi à construire un altermondialisme.

Nous avons plutôt un processus avec beaucoup de contradictions et de différences dans les forces, avec leur vision de la mondialisation des alternatives. Il y a quelques points communs, dont François Houtart a aussi parlé : nous avons réussi à trouver quelques points de convergence, mais nous retrouvons au bout du compte des différences. Nous avons vu aussi ces différences ici, par exemple entre la vision de certains intervenants et la mienne, qui est probablement très bourgeoise.

Il n’y a pas consensus dans le mouvement sur les alternatives. Si l’on voit les résultats politiques du mouvement, on peut dire qu’il a eu beaucoup de succès dans la délégitimation des grandes organisations mondiales. Là, le mouvement était capable de concentrer ses forces, par exemple contre l’OMC, l’ALCA. Mais il s’agissait de « campagnes négatives », là où nous avons eu des attaques de nos adversaires. Le mouvement a été capable de se concentrer et de gagner, même pour les alternatives pour lesquelles le mouvement était plus ou moins d’accord : par exemple, la taxe Tobin, la régulation du commerce, avec beaucoup d’autres choses - les alternatives sont listées dans la déclaration de Porto Alegre. Là, nous n’avons pas eu de succès, et c’est à mon avis notamment parce que nous ne sommes pas capables, de par la diversité des acteurs, de concentrer les forces sur des alternatives spécifiques. Nous ne sommes pas capables de dire par exemple que l’on fera une grande campagne en 2008 pour la taxe Tobin ou pour la situation actuelle des paradis fiscaux, parce que toutes les composantes du mouvement ont leur priorité. Les écologistes vont continuer avec leurs alternatives écologiques, les syndicats autour du monde du travail et les féministes autour des questions de genre. Sur les alternatives économiques, nous sommes incapables de nous rassembler.

C’est probablement aussi le cas à propos de la façon dont nombre d’altermondialistes ont abordé la question du pouvoir. Nous avons là aussi des divergences assez importantes dans les mouvements. On parle beaucoup de l’Amérique Latine, et nous constatons là aussi des différences énormes dans la façon dont les pays ont fonctionné et la façon dont on a gagné des élections, avec un discours néolibéral. Il y a aussi, dans d’autres pays, des mouvements ayant des rapports avec les forces politiques, et il est intéressant de réfléchir sur ce point.

En Europe, le cas le plus intéressant est la Norvège. En Norvège, le mouvement altermondialiste, notamment Attac avec les ONG et les syndicats, a réussi à changer plus ou moins brutalement le gouvernement et ses priorités, à créer une nouvelle majorité, à imposer un certain nombre de revendications altermondialistes et à arrêter totalement le processus de privatisation. Avec un ensemble de revendications clés, ils ont en effet gagné ensemble avec les syndicats, les ONG et Attac. La pression était très forte. Dans ce cas, le mouvement comme les syndicats n’ont pas développé une relation spécifique avec un parti, mais sont restés neutres. Ils ont quand même réussi à utiliser les élections pour imposer leurs revendications clés.
En Allemagne, l’altermondialisme a aussi un peu changé le monde politique. L’altermondialisme en tant que réaction à la politique néolibérale du gouvernement Schröder a créé une des bases sociales pour un nouveau parti de gauche. Avec celui-ci, tous les autres partis étaient forcés de bouger vers la gauche. Il y a en ce moment en Allemagne une atmosphère politique totalement nouvelle depuis la guerre, qui est une atmosphère de gauche. Dans les sondages, 70 % des gens disent qu’ils sont à gauche, ou plutôt à gauche. Il règne dans les réunions-débats d’Attac une atmosphère anticapitaliste qui n’était pas là au début d’Attac. Il y a un changement énorme. Mais, en même temps, Attac en tant que mouvement altermondialiste a gardé ses distances avec Die Linke, le nouveau parti. Nous avons des relations amicales avec eux, mais nous savons très bien qu’ils sont au pouvoir à Berlin et qu’ils font aussi de la politique néolibérale. Ce qu’ils font n’est pas altermondialiste.

C’est pourquoi il est important pour le mouvement d’avoir des relations plurielles avec les partis politiques, et ne pas se limiter à un parti ou à un autre, ou à une famille de partis politiques. Nous lier trop avec un parti politique serait pour nous, en Allemagne, la fin du projet altermondialiste. C’est pourquoi à mon avis l’altermondialisme ne doit pas se lier avec des gouvernements et des partis politiques spécifiques, mais plutôt trouver des alliances plurielles. Il faut essayer d’analyser la situation dans les pays spécifiques, et cela nous donne des réponses correspondantes. Je peux très bien comprendre que ce qui s’est passé au Venezuela ou en Bolivie s’est fait avec le mouvement social et des partis. Cela se passe autrement en Norvège, en Allemagne ou en France.

Chez nous, c’est très clair : nous avons des adhérents dans quatre partis sur les six qui sont au Bundestag. Cela nous donne la possibilité d’avoir un pied dans la majorité des partis et nous a aidés dans notre action pour arrêter le processus de privatisation des chemins de fer, qui était une grande campagne. Cette campagne s’est aussi appuyée sur l’influence dans le monde social-démocrate.

Tout cela me conduit à une première conclusion. Il n’y a pas une situation unique du mouvement altermondialiste, mais des mouvements qui sont dans un processus de convergence et qui ont développé des réponses plurielles à la question du pouvoir. Il faut se lier aux partis et avoir des possibilités d’influencer les partis politiques, mais il n’y a pas une réponse unique à la question de la façon de se lier. Dans beaucoup de pays, il est nécessaire que le mouvement garde une certaine réserve dans sa liaison avec les partis politiques.

La question principale pour le mouvement est aujourd’hui la suivante : comment peut-on garder la capacité d’agir pour les alternatives positives ? On a la capacité d’agir contre les attaques négatives mais on continue à chercher comment lutter pour des alternatives positives.

On peut essayer de créer des organisations, des réseaux internationaux qui seront plus dans le positif. En Europe, par exemple, le réseau des Attac est le cheval de bataille pour des alternatives au niveau européen. Au niveau mondial, en ce moment, il faut aussi un acteur capable de coordonner une grande force avec les organisations altermondialistes. Il est nécessaire à mon avis de le développer, mais il n’aura pas une vision unique sur la façon de se lier au pouvoir.

Pour conclure, je me méfie fortement de mots comme « post-altermondialisme ». À mon avis, dans la majorité des discours, ajouter les mots « néo » et « post » n’a pas éclairé les choses. Nous avons un processus avec beaucoup de contradictions et non un développement linéaire avec une vision des alternatives. Il ne faut donc pas ajouter un « post ». Nous sommes dans un processus d’altermondialisme qui est selon moi un processus historique. Il ne faut pas confondre ce processus avec le mot « post », qui signifierait en fait une vision unique de la façon de se lier au pouvoir.





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