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Vers la mise en place du Conseil des mouvements sociaux de l’ALBA

dimanche 27 décembre 2009   |   Douglas Estevam
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L’Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique-Traité de commerce des peuples (ALBA-TCP), créée en 2004 à l’initiative de Cuba et du Venezuela, et qui rassemble actuellement 9 Etats des Caraïbes et d’Amérique centrale et du Sud, est une construction intergouvernementale originale. Elle prévoit en effet, dans ses structures, un Conseil des mouvements sociaux, ouvert à des mouvements de pays non membres de l’Alliance. La nécessité de créer un tel Conseil avait été soulignée par Hugo Chavez lors de sa rencontre avec les mouvements sociaux lors du Forum social mondial de janvier 2006 à Caracas.

Le président vénézuélien ne faisait que prendre acte d’une réalité, celle du fort développement de ces mouvements en Amérique latine, en réaction à la violence avec laquelle s’y est imposé le modèle néolibéral dans les années 1980. Dans plusieurs pays, et notamment en Bolivie, en Equateur et au Paraguay, ces mouvements ont joué un rôle significatif dans l’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes.

Ces dernières années, les thèmes fédérateurs des résistances populaires ont été la lutte victorieuse contre le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA en espagnol) et contre le paiement d’une dette déjà remboursée plusieurs fois. Ces campagnes ont permis le renforcement ou la constitution d’organisations et de réseaux au niveau continental, ainsi que la naissance de nouveaux acteurs collectifs au niveau international : la Coordination latino-américaine des organisations paysannes (CLOC)/Via Campesina s’est, par exemple, beaucoup développée à travers ces mobilisations, tout comme l’Alliance sociale continentale (Alianza Social Continental) ou la campagne Jubilé Sud (Jubileu Sur). On pourrait aussi signaler la campagne Résistance des 500 ans ( Resistencia de los 500 anos), en référence à l’anniversaire du début de la colonisation de l’Amériques et des Caraïbes ; et le Cri des exclus (Grito de los Excluidos).

En 2006 a eu lieu au Pérou une réunion préparatoire au Sommet Enlazando Alternativas (rassemblant mouvements sociaux européens et latino-américains) qui s’est tenu en Autriche parallèlement au Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne et de l’Amérique latine et des Caraïbes. Quelques mois après, a été organisé en Bolivie le Sommet social pour l’intégration des peuples (Cumbre Social por la Integración de los Pueblos). Dans ces deux rencontres a été envisagée la possibilité d’une intégration des mouvements sociaux au processus de construction de l’ALBA. 

C’est ainsi qu’en 2007, pendant le cinquième Sommet de l’Alliance, ces mouvements ont adopté la Déclaration de Tintorero (petite ville de l’Etat de Lara au Venezuela) qui ratifiait le principe de la création du Conseil de mouvements sociaux. Le Sommet invitait chaque pays membre à créer son propre comité national et, dans ce cadre, demandait aux mouvements sociaux de réfléchir à la forme et à la méthodologie de fonctionnement du Conseil. Le texte les conviait également à discuter des mécanismes d’intégration au Conseil de mouvements sociaux issus de pays non membres.

C’est en 2008, lors de la tenue du sixième Sommet de l’ALBA au Venezuela, que ces propositions ont été examinées, débattues, et qu’ont été identifiés les réseaux latino-américains susceptibles d’élargir la base sociale du Conseil. Dans cette perspective, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil (MST) et les organisations de la Via Campesina Brésil ont organisé, en juillet 2008, un séminaire auquel ont participé des représentants d’organisations et de mouvements sociaux de plusieurs pays. L’objectif était de travailler sur la question des mécanismes de leur intégration à la structure intergouvernementale qu’est l’ALBA.

Les travaux ont été menés à partir d’échanges sur ce que les uns et les autres attendaient de cette structure, et à partir d’une analyse des méthodologies de construction des mouvements et des organisations. Et ce, à partir de la réalité de chaque pays. Ce séminaire a débouché sur la formulation de propositions et la rédaction de la première version de la Charte des mouvements sociaux de l’ALBA. Celle-ci a ensuite été exposée lors du 3ème Forum social des Amériques au Guatemala en octobre 2008. La version définitive de ce document de référence a été présentée lors de l’Assemblée des mouvements sociaux tenue en janvier 2009 au Forum social mondial de Belem. 

Cette Charte des mouvements sociaux des Amériques [1] fixe comme priorité, pour cette première phase d’intégration populaire, la multiplication des mobilisations de masse contre le capital transnational et les gouvernements qui en sont complices. Elle promeut l’élévation du niveau culturel et d’éducation comme objectif politique, propose une campagne continentale en faveur de la réforme agraire et un programme de formation politique pour les mouvements sociaux.

Ces mouvements réaffirment que leur participation au processus d’intégration latino-américaine repose sur un principe d’autonomie vis-à-vis des gouvernements. S’ils reconnaissent qu’il n’est pas possible de faire face aux politiques du capital transnational en ordre dispersé, ils considèrent qu’il n’est pas non plus envisageable de déléguer le processus d’intégration régionale exclusivement aux gouvernements, même si ceux-ci ont une responsabilité indiscutable dans sa promotion. 

En septembre 2009, un nouveau séminaire, organisé à l’Ecole nationale Florestan Fernandes du MST, a permis de préparer la réunion de Cochabamba (16-18 octobre) où avait lieu le septième Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’ALBA. Ce Sommet a été marqué par plusieurs avancées.

Tout d’abord, a été prévue la mise en place, au début 2010, d’un mécanisme permettant de faciliter la coopération et la compensation des asymétries monétaires et financières entre les pays membres, en se libérant du dollar [2] : le Système unitaire de compensation régionale de paiements (SUCRE). Parallèlement, la question de la participation active des peuples et, dans ce cadre, celle des mouvements sociaux et des organisations populaires, a été particulièrement discutée. De ce point de vue, le Sommet de Cochabamba a marqué un tournant significatif puisqu’il a permis la tenue du premier Sommet de mouvements sociaux de l’ALBA. Des délégations issues d’une vingtaine de pays latino-américains, du Canada et des Etats-Unis, soit environ 500 participants, étaient présentes à l’invitation de la Plateforme bolivienne des mouvements sociaux.

Un ensemble de propositions élaborées dans sept groupes de travail a été présenté aux gouvernements lors d’une rencontre de dialogue qui a réuni plus de 20 000 personnes au stade Félix Capriles de Cochabamba : économie communautaire ; droits de la Madre Tierra (Terre-Mère) et des peuples indigènes face aux défis du changement climatique ; souveraineté alimentaire ; crise de civilisation ; développement de la participation des mouvements populaires dans les projets gouvernementaux, etc.

Le principal défi auquel sont confrontés les mouvements sociaux participant au Conseil concerne la forme et la construction de ce dernier. La méthodologie utilisée pour sa mise en place ne peut pas faire abstraction de la situation réelle dans laquelle se trouvent aujourd’hui ces mouvements. Jusqu’à présent, seuls le Venezuela, Cuba et la Bolivie ont réellement réussi à mettre sur pied leur comité national. Les prochaines étapes du processus seront l’organisation de réunions nationales pour l’élaboration d’agendas de travail entre mouvements nationaux ; la définition d’actions communes ; la mobilisation de syndicats et d’organisations indigènes et des peuples originaires. Un nouveau Sommet continental des mouvements sociaux se tiendra en mai 2010 au Brésil pour faire le point




[2Lire « Un peu de SUCRE dans un monde d’amertumes », http://www.medelu.org/spip.php?article285



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