Initiatives

Manifeste de Porto Alegre : Douze propositions pour un autre monde possible

Porto Alegre, le 29 janvier 2005

mardi 8 avril 2008
Lecture .

par Tariq Ali (Pakistan), Samir Amin (Egypte), Walden Bello (Philippines), Frei Betto (Brésil), Atilio Boron (Argentine), Bernard Cassen (France), Eduardo Galeano (Uruguay), François Houtart (Belgique), Armand Mattelart (Belgique), Adolfo Pérez Esquivel (Argentine), Riccardo Petrella (Italie), Ignacio Ramonet (Espagne), Samuel Ruiz Garcia (Mexique), Emir Sader (Brésil), José Saramago (Portugal), Roberto Savio (Italie), Boaventura de Sousa Santos (Portugal), Aminata Traoré (Mali), Immanuel Wallerstein (Etats-Unis).

Forum social mondial, Porto Alegre, 2005

Depuis le premier Forum social mondial tenu à Porto Alegre en janvier 2001, le phénomène des Forums sociaux s’est étendu à tous les continents, et jusqu’aux niveaux national et local. Il a fait émerger un espace public planétaire de la citoyenneté et des luttes. Il a permis d’élaborer des propositions de politiques alternatives à la tyrannie de la mondialisation néolibérale impulsée par les marchés financiers et les transnationales, et dont le pouvoir impérial des Etats-Unis constitue le bras armé. Par sa diversité et par la solidarité entre les acteurs et les mouvements sociaux qui le composent, le mouvement altermondialiste est désormais une force qui compte au niveau mondial. Dans le foisonnement des propositions issues des Forums, il en est un grand nombre qui semblent recueillir un très large accord au sein des mouvements sociaux. Parmi celles-ci, les signataires du Manifeste de Porto Alegre, qui s’expriment à titre strictement personnel et qui ne prétendent aucunement parler au nom du Forum, en ont identifié douze qui, réunies, font à la fois sens et projet pour la construction d’un autre monde possible. Si elles étaient appliquées, elles permettraient enfin aux citoyens de commencer à se réapproprier ensemble leur avenir.

Ce socle minimal est soumis à l’appréciation des acteurs et mouvements sociaux de tous les pays. C’est à eux qu’il appartiendra, à tous les niveaux - mondial, continental, national et local -, de mener les combats nécessaires pour qu’elles deviennent réalité. Nous ne nous faisons en effet aucune illusion sur la volonté réelle des gouvernements et des institutions internationales de mettre en oeuvre spontanément ces propositions, même quand, par pur opportunisme, ils en empruntent le vocabulaire.

I- Un autre monde possible doit respecter le droit à la vie pour tous les êtres humains grâce à de nouvelles règles de l’économie. Il faut donc :

1.- Annuler la dette publique des pays du Sud, qui a déjà été payée plusieurs fois, et qui constitue, pour les Etats créanciers, les établissements financiers et les institutions financières internationales, le moyen privilégié de mettre la majeure partie de l’humanité sous leur tutelle et d’y entretenir la misère. Cette mesure doit s’accompagner de la restitution aux peuples des sommes gigantesques qui leur ont été dérobées par leurs dirigeants corrompus.

2.- Mettre en place des taxes internationales sur les transactions financières (en particulier la taxe Tobin sur la spéculation sur les devises), sur les investissements directs à l’étranger, sur les bénéfices consolidés des transnationales, sur les ventes d’armes et sur les activités à fortes émissions de gaz à effet de serre. S’ajoutant à une aide publique au développement qui doit impérativement atteindre 0,7 % du produit intérieur brut des pays riches, les ressources ainsi dégagées doivent être utilisées pour lutter contre les grandes pandémies (dont le sida) et pour assurer l’accès de la totalité de l’humanité à l’eau potable, au logement, à l’énergie, à la santé, aux soins et aux médicaments, à l’éducation et aux services sociaux.

3.- Démanteler progressivement toutes les formes de paradis fiscaux, judiciaires et bancaires qui sont autant de repaires de la criminalité organisée, de la corruption, des trafics en tout genre, de la fraude et de l’évasion fiscales, des opérations délictueuses des grandes entreprises, voire des gouvernements. Ces paradis fiscaux ne se réduisent pas à certains Etats constitués en zones de non droit ; ils comprennent aussi les législations de certains pays développés. Dans un premier temps, il convient de taxer fortement les flux de capitaux qui entrent dans ces « paradis » ou qui en sortent, ainsi que les établissements et acteurs, financiers et autres, qui rendent possibles ces malversations de grande envergure.

4.- Faire du droit de chaque habitant de la planète à un emploi, à la protection sociale et à la retraite, et dans le respect de l’égalité hommes-femmes, un impératif des politiques publiques, tant nationales qu’internationales.

5.- Promouvoir toutes les formes de commerce équitable en refusant les règles libre-échangistes de l’OMC et en mettant en place des mécanismes qui permettent, dans les processus de production des biens et services, d’aller progressivement vers un alignement par le haut des normes sociales ( telles que consignées dans les conventions de l’OIT) et environnementales. Exclure totalement l’éducation, la santé, les services sociaux et la culture du champ d’application de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC. La convention sur la diversité culturelle actuellement en négociation à l’UNESCO doit faire explicitement prévaloir le droit à la culture et aux politiques publiques de soutien à la culture sur le droit du commerce.

6.- Garantir le droit à la souveraineté et à la sécurité alimentaires de chaque pays ou regroupement de pays par la promotion de l’agriculture paysanne. Cela doit entraîner la suppression totale des subventions à l’exportation des produits agricoles, en premier lieu par les Etats-Unis et l’Union européenne, et la possibilité de taxer les importations afin d’empêcher les pratiques de dumping. De la même manière, chaque pays ou regroupement de pays doit pouvoir décider souverainement d’interdire la production et l’importation d’organismes génétiquement modifiés destinés à l’alimentation.

7.- Interdire toute forme de brevetage des connaissances et du vivant (aussi bien humain, animal que végétal), ainsi que toute privatisation des biens communs de l’humanité, l’eau en particulier.

II.- Un autre monde possible doit promouvoir le « vivre ensemble » dans la paix et la justice à l’échelle de l’humanité. Il faut donc :

8.- Lutter, en premier lieu par les différentes politiques publiques, contre toutes les formes de discrimination, de sexisme, de xénophobie, de racisme et d’antisémitisme. Reconnaître pleinement les droits politiques, culturels et économiques (y compris la maîtrise de leurs ressources naturelles) des peuples indigènes.

9.- Prendre des mesures urgentes pour mettre fin au saccage de l’environnement et à la menace de changements climatiques majeurs dus à l’effet de serre et résultant en premier lieu de la prolifération des transports et du gaspillage des énergies non renouvelables. Exiger l’application des accords, conventions et traités existants, même s’ils sont insuffisants. Commencer à mettre en œuvre un autre mode de développement fondé sur la sobriété énergétique et sur la maîtrise démocratique des ressources naturelles, en particulier l’eau potable, à l’échelle de la planète.

10.- Exiger le démantèlement des bases militaires des pays qui en disposent hors de leurs frontières, et le retrait de toutes les troupes étrangères, sauf mandat exprès de l’ONU. Cela vaut en premier lieu pour l’Irak et la Palestine.

III.- Un autre monde possible doit promouvoir la démocratie du local au global. Il faut donc :

11.- Garantir le droit à l’information et le droit d’informer des citoyens par des législations :
mettant fin à la concentration des médias dans des groupes de communication géants ;
garantissant l’autonomie des journalistes par rapport aux actionnaires ;
et favorisant la presse sans but lucratif, notamment les médias alternatifs et communautaires. Le respect de ces droits implique la mise en place de contre-pouvoirs citoyens, en particulier sous la forme d’observatoires nationaux et internationaux des médias.

12.- Réformer et démocratiser en profondeur les organisations internationales et y faire prévaloir les droits humains, économiques, sociaux et culturels, dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette primauté implique l’incorporation de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC dans le système et les mécanismes de décision des Nations unies. En cas de persistance des violations de la légalité internationale par les Etats-Unis, il faudra transférer le siège des Nations unies hors de New-York dans un autre pays, de préférence du Sud.





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