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Commentaire n° 495, 15 avril 2019

Dilemmes ontologiques

mercredi 25 septembre 2019   |   Immanuel Wallerstein
Lecture .

L’épistémologie, et plus particulièrement la statistique, est l’étude de la façon dont on mesure les choses et des moyens de savoir si les mesures effectuées sont correctes. L’ontologie étudie l’existence ou l’inexistence des choses que l’on mesure.

Il y a bien longtemps, à une période qui débute au XVIe siècle, les penseurs s’intéressaient principalement à des sujets d’ordre méthodologique. Mais au cours du siècle écoulé, ils se sont tournés de plus en plus nombreux vers les questions ontologiques.

Cette évolution s’explique par le sentiment, chez un nombre croissant d’entre eux, que les études méthodologiques monopolisaient l’essentiel des moyens. Ceux-là s’orientèrent alors vers les questions ontologiques pour contrer la domination exercée par quelques-uns sur l’activité de pensée.

Ce que vous étudiez n’existe pas, disaient-ils ; quand on étudie ce qui existe, on s’aperçoit que les fruits de l’activité collective bénéficient à une pluralité de groupes. Ils affirmaient aussi qu’il existe des groupes définis par des appartenances spécifiques, telles que le genre ou la race.

De plus en plus, une majorité de chercheurs s’est tournée vers l’étude de ce type de groupes, tels qu’ils sont définis par l’ontologie.

Puis, au cours des dernières années, les représentants de la méthodologie se sont attachés à rétablir la primauté de leur approche. Ainsi se poursuit la dispute entre possibilités de pensée.

Le passage de la méthodologie à l’ontologie n’est pas allé sans ses difficultés propres ; on le voit lorsque l’on tente d’utiliser l’ontologie pour obtenir des résultats acceptables.

Prenons des exemples. Supposons que nous disions : « Rien n’existe. » L’énoncé « rien n’existe » existe-t-il ?

Et maintenant, un second exemple. Si rien n’existe, les deux manières de former des groupes sont-elles également valides ? L’énoncé « les deux manières de former des groupes sont également valides » est-il cohérent avec les prémisses de l’ontologie ?

Ce nous voyons alors est un schéma marqué par l’alternance successive des analyses, entre celles relevant du primat de la méthodologie et celles relevant du primat de l’ontologie. Ces mouvements d’alternance se produisent lentement, sur de longues périodes.

Or, depuis une cinquantaine d’années, les alternances se font plus fréquentes. D’où cela peut-il venir ? La raison de cette accélération se trouve peut-être dans les changements structurels qui affectent le système-monde moderne. Pour autant que tous ces changements s’inscrivent dans les limites de la normalité du système-monde moderne, les alternances restent lentes et rares.

Mais quand le système-monde moderne entre en crise structurelle, tout s’accélère et devient chaotique, et les passages de l’accent mis sur la méthodologie à l’accent mis sur l’ontologie perdent leur caractère exceptionnel.

Et ainsi, nous ajoutons un troisième niveau à notre compréhension de l’activité de pensée. Il y a l’accent mis sur la méthodologie, l’accent mis sur l’ontologie, et puis la structure du système-monde moderne. Qu’est-ce qui existe ? Cela n’est pas un problème soluble. On peut parler plutôt de dilemmes ontologiques.

Traduction : Christophe Rendu





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