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En Amérique Latine, une nouvelle culture des droits de l’homme, de la paix et de la justice sociale

mercredi 1er juillet 2009   |   Ignacio Ramonet
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UNESCO
Table-ronde internationale

« Droits de l’homme et justice sociale »

Paris, 30 juin 2009

 

Victime d’un coup d’Etat militaire dimanche dernier, 28 juin ; séquestré et expulsé de son pays, le président légitime du Honduras, Manuel Zelaya , a expliqué ainsi les raisons de l’odieux coup de force contre lui : « Je me suis aperçus, dans l’exercice du pouvoir, que si l’on veut vraiment transformer la société et en finir avec les injustices sociales, il faut donner du pouvoir aux pauvres. Mais cela, les riches - les bénéficiaires des injustices et des inégalités - ne l’acceptent pas. Ils ont une peur panique des pauvres qui auraient plus de pouvoir. C’est pourquoi j’ai eu à affronter une sainte alliance constituée par les élites voraces : le pouvoir économique, la réaction politique, le pouvoir médiatique, les forces armées et l’Eglise catholique. »

C’est pourquoi devant ce coup d’Etat d’un autre âge - « troglodite  » a dit le Président Chavez -, les organisations sociales, le mouvement populaire, les associations communautaires indigènes ainsi que des milliers de Honduriens des classes populaires se sont lancés dans les rues pour s’opposer au coup d’Etat, dénoncer les violations aux droits de l’homme et réclamer le retour de leur président légitime. Leur lutte se poursuit en cet instant même.

De plus en plus, à travers la planète, des citoyens trop longtemps dépossédés de leur parole et de leurs choix, disent : “ Assez ! ”. Assez d’accepter les injustices sociales comme une fatalité. Assez de voir le pouvoir économique décider à la place des élus. Assez de voir le monde transformé en marchandise. Assez de subir, de se résigner, de se soumettre.

Un embryon de société civile internationale est en train de se mettre en place qui rassemble des dizaines d’organisations non-gouvernementales (ONG), des collectifs d’associations, de mouvements sociaux, de syndicats et de réseaux de citoyens de multiples pays.

Les gens n’acceptent plus que les vrais maîtres du monde soient ceux qui contrôlent les marchés financiers, les banques, les groupes médiatiques planétaires, les autoroutes de la communication et les industries informatiques.

Sous la supervision de ces maîtres de la planète s’est mis en place la globalisation économique qui est une sorte de gouvernement réel du monde dont les quatre acteurs principaux sont : le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La très grave crise financière et économique qui a éclaté à l’automne dernier a révélé la fragilité, la nocivité et la dangerosité de ce système.

Alors que la production mondiale de produits alimentaires de base représente plus de 110 % des besoins de la population de la planète, plus de 30 millions de personnes continuent de mourir de faim chaque année, et un milliard demeure sous-alimentée. En 1960, les 20 % les plus riches de la population du monde disposaient d’un revenu 30 fois plus élevé que celui des 20 % les plus pauvres. Aujourd’hui, le revenu des riches est 82 fois plus élevé ! Sur les 6 milliards d’habitants de la planète, à peine 500 millions vivent dans l’aisance, tandis que plus de trois milliards demeurent dans le besoin. Pour s’habiller, se loger, se transporter, se soigner, et s’alimenter, plus de 1,2 milliard de personnes, soit presque le quart de l’humanité, disposent de moins de 1 euro par jour... Le monde marche sur la tête.

Est-il étonnant que la demande de justice et d’égalité - qui telle une lame de fond traverse l’histoire longue de l’humanité - ressurgisse avec force ces temps-ci ?

Il est désormais inconcevable que les peuples ne soient pas mieux associés aux prochaines grandes négociations internationales où seraient discutés des problèmes liés à la crise économique, à la paix, à l’environnement, à la santé, à la suprématie financière, à l’humanitaire, à la diversité culturelle, aux migrations, etc.

Indifférents au débat démocratique et non soumis au suffrage universel, les pouvoirs informels qui dominent le monde veulent piloter la Terre et décider souverainement du destin de ses habitants. Sans que nul contre-pouvoir vienne repousser leurs décisions. Car souvent les contre-pouvoirs traditionnels - Parlements, partis, syndicats, médias - sont, soient trop locaux, soit très complices. Aussi, pour faire contrepoids à cet exécutif planétaire, chacun sent confusément le besoin de mettre sur pied un contre-pouvoir mondial.

Et c’est précisément en Amérique Latine que cette nouvelle résistance est en train de s’organiser. Depuis la victoire historique du président Hugo Chavez au Venezuela, il y a dix ans, qui a ouvert le chemin, et malgré les incessantes campagnes de terreur médiatique, plus d’une dizaine de Président(e)s progressistes y ont été démocratiquement élu(e)s ces dernières années sur la base de programmes promettant une culture de paix, la fin des injustices sociales, des transformations sociales de grande envergure, une redistribution plus juste de la richesse et l’intégration politique des secteurs sociaux jusqu’alors marginalisés ou victimes d’exclusion.

Alors que dans le reste du monde, et plus particulièrement en Europe, la plupart des partis de gauche s’éloignaient des classes populaires, adhéraient au modèle néolibéral responsable de la crise économique actuelle et paraissaient dépourvus d’idées, en Amérique du Sud, les nouveaux socialismes du XXIe siècle, stimulés par la puissante énergie du mouvement social, débordent de créativité politique et d’inventivité sociale. Nous assistons à une renaissance, une véritable refondation de ce continent et à l’acte final de son émancipation, entreprise il y a deux siècles par Simon Bolivar et les Libertadors.

Bien que de nombreux Européens (même de gauche) continuent de l’ignorer – en raison de la colossale muraille de mensonges que les grands médias dominants ont dressé pour l’occulter -, l’Amérique Latine est devenue l’aire la plus progressiste de la planète. La région où les plus importants changements se produisent en faveur des classes populaires et où le plus grand nombre de réformes structurelles sont adoptées pour sortir de la dépendance et du sous-développement, et mettre fin aux inégalités.

À partir de l’expérience de la révolution bolivarienne du Venezuela, et avec l’impulsion apportée par les présidents Evo Morales de Bolivie et Rafael Correa d’Équateur, il s’est produit un véritable réveil des peuples indigènes. Ces trois Etats se sont dotés de surcroît, par voie de referendum, de nouvelles Constitutions.

Bouleversée jusque dans ses fondations par des tempêtes d’espoir, l’Amérique du Sud a également relancé le grand rêve d’intégration des peuples, et pas seulement des marchés. En plus du Mercosur que regroupe déjà les 260 millions d’habitants du Brésil, de l’Argentine, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela, la réalisation la plus innovante pour favoriser l’unification sud-américaine est l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA). Les Etats adhérents ont réussi à préserver une stabilité économique qui leur a permis de combattre avec efficacité les injustices sociales, la pauvreté, la misère, la marginalité et l’analphabétisme pour garantir à tous les citoyens l’accès à l’éducation, à la santé, à l’habitat et à un emploi digne. Bref, une vraie défense des droits de l’homme.
Grâce au projet Petrosur, ces États ont également pu parvenir à une plus grande cohésion énergétique. Ils ont aussi augmenté de manière significative leur production agricole, non pas pour l’exportation mais pour avancer vers leur souveraineté alimentaire. La création de la Banque du Sud et celle d’une Zone Monétaire Commune permettent d’envisager la mise sur pied d’une monnaie commune dont le nom pourrait être : le SUCRE.

Plusieurs gouvernements sud-américains, ont franchi le 9 mars dernier une nouvelle étape dans la voie de la coopération régionale : ils ont décidé de constituer le Conseil de défense sud-américain (CDS), une organisation d’échanges d’informations militaires, dans le cadre de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), fondée à Brasilia en mai 2008.
Ces nouveaux pays progressistes d’Amérique Latine estiment désormais que, pour changer le monde, il faut songer à construire un futur différent. Ils veulent refonder une nouvelle économie, plus solidaire, basée sur le principe du développement durable et placer l’être humain au cœur des préoccupations.

Pour démanteler la sphère financière, ils exigent une taxation significative des revenus du capital et particulièrement des transactions spéculatives sur les marchés des changes (taxe Tobin). Ils réclament également de boycotter et de supprimer les paradis fiscaux, zones où règne le secret bancaire et qui servent à dissimuler les délits de la criminalité financière.

Ces nouveaux gouvernements progressistes latino-américains proposent une nouvelle distribution du travail et des revenus dans une économie plurielle dans laquelle le marché et le secteur privé occupera seulement une partie de la place, avec un secteur solidaire et un temps libéré de plus en plus important.

Certains envisagent même, dans un avenir prochain, d’établir un revenu de base inconditionnel pour tous, octroyé à tout individu, dès sa naissance, sans aucune condition de statut familial ou professionnel. Le principe, révolutionnaire, étant que l’on aurait droit à ce revenu d’existence parce qu’on existe, et non pour exister. L’instauration de ce revenu repose sur l’idée que la capacité productive d’une société est le résultat de tout le savoir scientifique et technique accumulé par les générations passées. Aussi, les fruits de ce patrimoine commun doivent-ils profiter à l’ensemble des individus, sous la forme d’un revenu de base inconditionnel. Lequel pourrait s’étendre à toute l’humanité, car d’ores et déjà, le produit mondial équitablement réparti suffirait à assurer une vie confortable à l’ensemble des habitants de la planète.

Dans cette perspective, ces pays progressistes d’Amérique Latine réclament que tous les pays du Sud aient toute leur place dans le concert international, et que soit mis fin aux politiques d’ajustement structurel ; que soit annulée leur dette publique ; que soit augmentée l’aide au développement et que celui-ci n’adopte pas le modèle du Nord, écologiquement insoutenable. Ils proposent de promouvoir des économies autocentrées ; défendent les échanges équitables ; investissent massivement dans les écoles, les logements et la santé ; favorisent l’accès à l’eau potable des personnes qui en sont privées.

Il ne peut y avoir de respect des droits de l’homme, de culture de paix et de combat contre les injustices sociales sans que ces mesures de base soient adoptées.

A ce programme pour changer le monde, il ajoutent d’autres urgences : une Cour pénale internationale à caractère vraiment universel, l’émancipation de la femme à l’échelle planétaire, le principe de précaution en matière d’environnement, etc.

Utopies, diront certains. Ils se trompent, car il s’agit déjà de réalisations concrètes des socialismes du XXIe siècle pour fonder enfin un monde plus juste, plus démocratique et plus solidaire.





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