Le président Rafael Correa a été l´objet de critiques permanentes de la part de la droite, mais plus récemment de la part de certains secteurs de la gauche. Comment caractérisez-vous ces tendances ?
Deux récents projets de loi mirent le feu aux poudres. Deux projets qui reprenaient des thèmes chers à Marx : l´héritage et la spéculation. Les lois en question proposaient de réformer l´impôt afin de combattre les inégalités sociales en Equateur. Il ne faut pas oublier que l´Amérique latine reste le continent le plus inégal de la planète.
Ces projets affectaient seulement les secteurs les plus privilégiés de la société. La première loi faisait passer les droits de succession des plus riches de 35% à 47,5%, dans le même temps où elle les réduisait pour les plus pauvres. De plus, la loi empêchait la prolifération des fidéicommis dans les paradis fiscaux étrangers. Incroyablement, plusieurs membres de l’oligarchie équatorienne, dont le maire de la ville la plus grande de l´Equateur, Guayaquil, ont leurs propriétés enregistrées dans des paradis fiscaux étrangers.
Le second projet de loi, relatif à la spéculation foncière, cherchait à imposer les immenses profits liés à la plus-value sur la vente de terres et de propriétés. Il ne s´agissait en aucun cas d´imposer une plus-value raisonnable mais, au contraire, d’imposer les plus-values extraordinaires. La mesure, proche de celles en vigueur dans d´autres pays démocratiques, notamment européens, cherchait à freiner la spéculation foncière, phénomène malheureusement très courant en Equateur. Cela a fortement déplu à ceux qui ont un accès privilégié à l´information sur les futurs foyers de développement urbain.
La vieille élite politique s´est insurgée contre ces propositions. D´intenses campagnes de propagande, bénéficiant de grandes ressources financières, ont désinformé la population, en lui faisant croire que ces impôts allaient affecter la majorité des citoyens, particulièrement les couches moyennes de la société. En juin, plusieurs manifestations exigèrent du gouvernement qu´il retire ces projets de loi, et la droite en profita pour affaiblir le processus politique.
Plusieurs politiciens de droite, parmi les plus puissants du pays, jouèrent un rôle clé. Le banquier ultralibéral Guillermo Lasso, ministre de l´économie sous le gouvernement néolibéral de Jamil Mahuad, et candidat présidentiel, fut un des auteurs principaux de l´appel à descendre dans la rue partout dans le pays. De même, Jaime Nebot, maire de Guayaquil, joua un rôle important. Nebot fut un des collaborateurs de premier plan du régime répressif de León Febres Cordero. De sérieuses accusations l’impliquent dans des violations des droits de l´homme et même à des cas de torture. Le nouveau maire de Quito, le conservateur Mauricio Rodas, a lui aussi participé à ces manifestations.
Le slogan martelé dans la rue et sur les réseaux sociaux était clairement antidémocratique : « Dégage, Correa, dégage », et en porte-à-faux avec le fait que le président avait été élu, à peine deux ans plus tôt, et dès le premier tour, avec 57% des voix, et près de 35 points d´avance sur son adversaire immédiat. Il n’y a aucun doute que, pour certains, l´objectif principal était de renverser le gouvernement, même si, bien sûr, ceci fut toujours nié officiellement.
Le 15 juin, afin de réduire les tensions sociales, le président Correa retira temporairement de l’Assemblée nationale les deux projets de loi, et appela à un grand dialogue national pour débattre de ces mesures et d´autres propositions pour combattre l´inégalité dans le pays. Cet appel au dialogue est, on le remarquera, peu compatible avec cetteage d´autoritarisme que l´opposition cherche à installer dans les médias internationaux, et avec des résultats tout à fait surprenants.
Les motivations des manifestants – à savoir l´opposition à des mesures de redistribution de la richesse qui, normalement, sont revendiquées par la gauche, mais aussi la forme à travers laquelle les mesures furent présentées à la population – manipulations et propagande de la part des grands groupes médiatiques - sont un bon indicateur du courant idéologique qui a inspiré ces manifestations. Il ne s´agit en aucun cas d´une initiative révolutionnaire ou de gauche.
Au delà des forces de droite, la marche indigène et la grève nationale convoquée le 13 août 2015 contre Correa et Alianza PAIS ont prétendu représenter un soulèvement populaire contre un Etat autoritaire. Qu´en pensez-vous ?
Il faut préciser d´emblé une chose importante : certains groupes minoritaires de la soi-disant ultragauche ont convoqué une grève générale qui n´a pas du tout été suivie. Il n´y a pas eu de grève au sens où l´entendent les francophones. Les lieux de travail, tant privés que publics, n´ont absolument pas été affectés.
Le 13 août il y eut tout simplement une manifestation de plusieurs milliers de personnes contre le gouvernement. Cette manifestation eut le soutien d’une partie du mouvement indigène. Cependant, elle n’eut rien à voir avec les gigantesques soulèvements indigènes des années 1990 qui ont contribué à la chute de plusieurs présidents néolibéraux.
Peut être à cause de la faiblesse de cette mobilisation et de la frustration qu´elle a engendrée, la manifestation fut marquée néanmoins par un grande violence. Plus de cent policiers furent blessés.
C´est pourquoi je suis surpris par les récents articles publiés dans Jacobin et dans plusieurs médias d´Europe et des Etats-Unis qui se veulent progressistes. On dirait tout d’un coup que certains groupes d´intellectuels de gauche se focalisent sur l´idée que l´Equateur n´est plus digne d´admiration et que l´on serait au bord d´un soulèvement populaire.
Souvent, les auteurs ont une connaissance assez pauvre de la réalité équatorienne et ils sombrent dans des confusions inexcusables. Mais parfois ce genre de posture révèle davantage une tendance idéologique intimement liée à la critique postmoderne des processus de construction de l´Etat-nation. En résumé, ce discours pourrait être caractérisé comme anti-pouvoir, anti-leadership et fondamentalement libéral, même si la mode sémantique le définit plutôt comme « libertaire ».
Ce récit tend à faire l´éloge des acteurs non étatiques, les ONG, et d’une « société civile » diffuse, qui ne représentent personne et que personne n´a élus, mais qui sont toujours présentés comme les forces du bien. Tandis que les gouvernements qui tentent de pallier le vide laissé par l´absence de l´Etat néolibéral sont accusés d´être autoritaires et font l´objet de résistances. Derrière la rhétorique radicale, ce discours consolide l´agenda politique conservateur et n´échappe pas au piège néolibéral qui prétend que l´Etat détient l´exclusivité du pouvoir, alors qu’il y a beaucoup d´autres formes de pouvoir en Amérique latine : les pouvoirs étrangers, les multinationales, les oligarchies locales ou les corporations médiatiques, par exemple.
Qui était dans les rues le 13 août 2015 ? Quelle était la composition de classe de l´opposition et quels étaient ses objectifs politiques ?
La plupart des gens qui ont participé à la manifestation du 13 août provenaient des couches moyennes et des élites. Cependant, ils furent accompagnés par des groupes qui s´auto-définissent de gauche, comme la Conaie, l’Unité Populaire et un groupe de dirigeants syndicaux qui, depuis des décennies, sont liés à des réseaux clientélistes.
Certaines personnes ont voulu faire croire que ces groupes de “gauche” furent les acteurs prédominants des événements. Pour ce faire, elles ont complètement passé sous silence le pouvoir de l´oligarchie et oublié de mentionner que cette manifestation trouve son origine dans les revendications des secteurs les plus riches et les plus puissants de la population contre la hausse des impôts. Cette dynamique ne peut être gommée car elle a créé le contexte dans lequel les acteurs politiques ont conflué - ou non – avec les protestations contre le gouvernement.
Il ne faut pas oublier non plus que la Conaie et l’Unité populaire ont fait plusieurs déclarations contre cette hausse de l´impôt, ce qui est assez étrange pour des groupes se disant de gauche. De nombreux indigènes et des forces progressistes ont condamné la Conaie pour s´être alignée sur la stratégie de la droite.
Non seulement les élites de droite ont soutenu les dernières actions de la Conaie en se prononçant en faveur de la grève et des manifestations, mais en plus Guillermo Lasso a appelé ses partisans à participer à ces manifestations. Cela ne doit pas nous surprendre. La droite voulait absolument produire la sensation que les manifestations contre le gouvernement venaient de plusieurs secteurs de la société.
De plus, une des revendications principales de la Conaie et de ses alliés est l’opposition à l´amendement constitutionnel qui permettrait au président Correa de postuler de nouveau à la présidence. Or c´est là une des priorités politiques de l´élite équatorienne pour éviter la continuité de la Révolution citoyenne et orchestrer son retour à la tête de l’Etat.
Une autre erreur fréquente est de présenter les conflits entre le gouvernement et les groupes qui s’auto-définissent comme de gauche, comme un divorce récent, fruit d’un sorte de virage à droite du président Correa, alors que ces groupes sont dans l´opposition depuis très longtemps. Pachakutik, le bras politique de la Conaie, a refusé de présenter un colistier de Rafael Correa lors de l’élection présidentielle de 2006, préférant présenter son propre candidat. Pachakutik a totalisé, à l’époque, seulement 2,1% des voix. De la même façon, le candidat de la prétendue ultragauche à l’élection de 2013 n´a obtenu que 3,2% des suffrages, ce qui démontre qu´il n´existe pas d´alternative démocratique de gauche au président Correa, et que la véritable et menaçante alternative se situe à droite.
Par ce qu’elle est radicale, souveraine, engagée dans la redistribution des richesses et ancrée dans les secteurs populaires, la Révolution citoyenne a bénéficié jusqu’à présent du soutien de la majorité des forces de la gauche équatorienne : Alianza PAIS, le Parti communiste équatorien, le Parti socialiste, plusieurs syndicats, trois des quatre fédérations indigènes-paysannes les plus importantes du pays (même si la Conaie reste encore la plus forte) et même une section de Pachakutik de la province de Chimborazo qui compte le plus fort pourcentage de population indigène en Equateur.
Au niveau international, tous les gouvernements de gauche de la région, dont les membre de l´Alba comme Cuba, le Venezuela et la Bolivie, ont condamné les manifestations et la tentative de déstabilisation du gouvernement démocratiquement élu de la Révolution citoyenne. Surtout, ils ont rompu toutes relations avec les partis et mouvements sociaux qui ont participé aux manifestations.
Parler d´un soulèvement de gauche, ou pire encore d’un soulèvement populaire, dans le contexte actuel de l´Equateur, c’est ne rien comprendre à ce qui se passe dans notre pays.
La Conaie et l’Unité populaire disent représenter une force critique autonome, tant de la droite que des secteurs de gauche qui ont été absorbés par le gouvernement. Que pensez-vous des critiques contre Rafael Correa au sujet de l’impact que les industries extractivistes peuvent avoir sur les peuples indigènes ?
Certains médias « progressistes » occidentaux ont projeté une image selon laquelle le principal conflit politique et social en Equateur se situerait entre l´Etat et les communautés indigènes. La réalité est beaucoup plus complexe. Cette position idéalise les peuples indigènes, et en fait l´essence même de la vertu et de l´innocence. Ce n´est malheureusement pas la première fois que l´on assiste à cette forme d´infantilisation qui, en réalité, se révèle assez raciste. On y retrouve l´idéologie qui justifia le "gouvernement indirect" pratiqué par l´Empire britannique dans ses colonies, ou encore le mythe du « bon sauvage » développé par Jean-Jacques Rousseau et les Lumières.
Selon ce récit, le prétendu conflit entre les communautés indigènes et le gouvernement s’expliquerait par l’exploitation minière ou l´extraction pétrolière. Tout d´abord, il n´existe en réalité aucune position homogène des peuples indigènes face à l´extraction du pétrole. Parlant souvent au nom des communautés indigènes, certains militants occidentaux ont la fâcheuse tendance de laisser entendre que les peuples premiers rejettent la modernité. Dans la pratique, les indigènes, tout comme le reste de l´humanité, ont très souvent des demandes très modernistes : accès à l´éducation, aux services de santé et à la protection sociale en général.
En deuxième lieu, il faut évaluer sérieusement s´il convient ou non d´arrêter brusquement l´exploitation pétrolière avant d´avoir jeté les bases d´une solution de rechange pour notre économie primaire-exportatrice. Outre l´effondrement de l´Etat équatorien, la conséquence serait le retour à l’économie de plantation (et en conséquence du planteur), ainsi qu´une réduction drastique des ressources pour combattre la pauvreté (celle-ci étant d´ailleurs une des principales causes de la dégradation de l´environnement, nous y reviendrons) et le tarissement des capitaux s’investissant dans la diversification de notre économie.
Ce n´est pas viable. Surtout si l´on considère que les plus grandes menaces contre notre biodiversité et les premières causes de la déforestation en Equateur sont précisément la pauvreté et l´avancée agressive de la frontière agricole. La pauvreté et le manque d´infrastructures sanitaires font que, entre autres, les déchets et les eaux usées de plusieurs villes et villages sont déversés directement dans les rivières amazoniennes.
Il ne fait aucun doute que nous devons sortir de la dépendance pétrolière. Les économies pétrolières se caractérisent par des cycles de grand essor suivis de dépressions. De plus, l´extraction pétrolière a été responsable dans le passé de bon nombre de cataclysmes sociaux, comme l´urbanisation chaotique, ou d’ethnocides. Toutefois, de nos jours, elle n´est pas la cause principale des problèmes environnementaux et sociaux qui affectent l´Amazonie. Jusqu’à ce que nous cessions d’être dépendants de l´exportation de matières premières, le pétrole restera notre principale source de revenus pour construire les infrastructures nécessaires à la lutte contre la pauvreté, source de dégradation environnementale
En exploitant leur force de travail, plusieurs pays d´Asie orientale ont réussi à accumuler les excédents nécessaires pour abandonner leurs modèles économiques primaire-exportateurs. Pour nous, il est hors de question que l´Equateur s´engage dans une telle voie. Ne pouvons-nous pas alors utiliser nos ressources naturelles afin de ne pas répéter cette tragédie ?
Nous avons beaucoup à apprendre des systèmes sociaux indigènes, de leurs connaissances ancestrales et de leur cosmovision. Chaque nationalité indigène - dans la Constitution équatorienne on parle effectivement de nationalités et non de tribus ou d’ethnies - est le porte-étendard d´un grand héritage culturel que nous devons respecter et comprendre. Mais, de la même façon que nous admirons la valeur intrinsèque de notre diversité, nous devons veiller à ne pas tomber dans l´idéalisation naïve de quelque société que ce soit.
Ce n´est pas une discussion nouvelle. Ces thèmes ont longtemps été en débat au sein même de la Conaie. D´un côté, les ethnicistes (ou essentialistes) ont toujours été sceptiques et méfiants à l’égard des interactions avec le monde métis. Ils ont été tentés par le retour nostalgique à un passé indigène exalté, notamment à l’âge d’or d’Etats précolombiens comme le Tahuantin Suyu, l´empire inca mythologisé.
D’un autre côté, une fraction de la Conaie, dont bon nombre de ses fondateurs, a toujours dénoncé les racines ethniques de l´exclusion et de la domination, et elle insiste sur l´importance de combattre ces facteurs structurels. Elle a recours à une analyse de classe pour dénoncer le libre marché, l´absence d´Etat, la domination étrangère, la propriété de la terre et les différentes difficultés de la paysannerie. Cette fraction de la Conaie a toujours articulé un discours qui ne niait pas complètement la modernité et demandait que celle-ci n’exclue pas les indigènes du contrat social.
Ces dernières années, la fraction essentialiste a, progressivement pris le contrôle de l´organisation. Mais, en l’absence de leadership, de la maturité et de la sophistication politique et idéologique des années précédentes, elle a affaibli et décrédibilisé la Conaie.
Aujourd´hui, plusieurs leaders historiques de la Conaie ont pris parti pour le gouvernement. Certains, même, y siègent. D´autres sont dans une optique plus critique face à la Révolution citoyenne, mais se refusent à soutenir les nouveaux dirigeants de la Conaie. Ils ont même dénoncé que ces derniers faisaient le jeu de l´oligarchie équatorienne traditionnelle, surtout au vu des récents événements.
En termes de résultats électoraux, plus de 60 % de la population indigène (qui ne représente que 7% des Equatoriens) a voté pour Rafael Correa lors de la dernière élection présidentielle de 2013.
Décrire la conjoncture actuelle comme un « affrontement » entre le gouvernement équatorien et les peuples indigènes est une erreur gravissime. La question indigène est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre une certaine gauche essentialiste.
De manière plus générale, quel est le programme du gouvernement équatorien, et dans quelle mesure peut-on dire qu’il a été appliqué avec succès ?
La grande popularité du président Correa - qui dépasse encore aujourd’hui les 60% après huit ans et demi d’exercice du pouvoir - est principalement due au programme de la Révolution citoyenne qui a permis, depuis 2007, la croissance économique du pays et le développement social grâce à l’investissement public.
De cette manière, nos avons mis en échec le dogme néolibéral, prédominant dans le monde, qui consiste à affirmer que seul le marché sans encombre peut faire avancer le développement économique. En moyenne, sur les huit dernières années, le taux annuel de croissance s’est élevé à 4,3%, bien que Rafael Correa soit arrivé au pouvoir en pleine récession globale et que l’Équateur n’ait pas de monnaie propre. La dollarisation forcée de notre économie est le résultat de la profonde crise politique, économique et sociale causée par les gouvernements néolibéraux en poste dans les années 1990.
La nouveauté est que la croissance économique a bénéficié à l’ensemble de la population. L’Équateur est un des pays de la région qui a le plus réduit son taux de pauvreté, et c’est aussi un des champions mondiaux de la réduction des indices d’inégalité sociale. Le salaire minimum actuel (354 dollars par mois) est le plus élevé de la région andine. La plupart de ceux qui le perçoivent, et qui bénéficient aujourd’hui de la Sécurité sociale, gagnaient seulement 70 dollars auparavant, et n’avaient ni couverture sociale, ni droit à la retraite.
Le taux de chômage (4,7%) est le plus bas de la région, même si nous avons évidemment conscience que l’ampleur du travail informel est encore un des principaux problèmes de l’Amérique latine.
L’accès aux services sociaux s’est amélioré de manière exponentielle. Le cas de l’éducation l’illustre parfaitement. L’Équateur a construit 88 « écoles du Millénaire » de grande échelle et dotées des dernières technologies. L’Etat fournit les uniformes scolaires, la totalité des manuels, ainsi qu’un petit déjeuner pour tous les élèves des établissements publics. Les zones rurales et les secteurs traditionnellement exclus sont les principaux bénéficiaires de ces politiques.
L’investissement dans l’enseignement supérieur, nécessaire pour transformer notre économie et nous éloigner de l’économie primaire dont nous parlions, atteint aujourd’hui 2,1% du PIB. Il s’agit du taux le plus élevé de la région, et un des plus élevés du monde puisque le taux moyen des pays membres de l’OCDE est seulement de 1,7%. Dorénavant, les services de santé publique sont gratuits et accessibles à tous les Equatoriens. L’État a construit 12 méga hôpitaux et une centaine de dispensaires pour répondre aux nécessités de la population. Cela démontre que même en période de crise, ou plus particulièrement quand la crise gronde, il existe des alternative au fatalisme des politiques d’austérité.
Ces politiques publiques et la popularité qu’elles ont value au gouvernement ont contribué à freiner l’instabilité politique des périodes antérieures. Entre 1996 et 2006, sept présidents ont été élus, et aucun n’a réussi à terminer son mandat. Le 30 septembre 2010, une émeute policière soutenue par un secteur de l’opposition chercha à orchestrer un coup d‘État contre le président Correa. La tentative échoua grâce aux citoyens qui, pour la première fois dans l’histoire récente de l’Equateur, descendirent la rue pour défendre leur nouvelle démocratie.
Nous avons restauré la souveraineté de notre État en matière de sécurité, de politique extérieure, économique, etc. En 2009, nous avons demandé aux Etats-Unis de quitter leur base militaire de Manta située sur notre territoire. L’idée ne les a pas enchantés et nous ne saurons sans doute jamais si une des principales causes de la mauvaise presse dont l’Equateur pâtit souvent à l’étranger n’est pas ce qui a souvent été décrit comme un affront à Washington.
Tout ces résultats ont été obtenus sans l’autoritarisme qui accompagne généralement les projets de changement radical : dix élections générales en huit ans, dont trois présidentielles (deux desquelles remportées par le président Correa au premier tour), plusieurs référendums et une large participation de la société à l’élaboration de la nouvelle Constitution et de notre nouveau contrat social.
Quelle est la perspective à long terme pour Alianza PAIS ? Vous nous avez expliqué votre hostilité à l’opposition actuelle, mais ne faut-il pas débattre du programme de Rafael Correa et de sa stratégie pour la consolidation du processus ?
Nous cherchons avant tout à créer une société plus égalitaire qui permette l’émancipation des Equatoriens et le plein exercice de leurs libertés individuelles. Pour quoi ? Eh bien pour qu’ils soient heureux. Le bonheur, cette chose si difficile à cerner, doit néanmoins être notre principale quête. Pour cela, il faut penser le développement en termes certes matérialistes - éradiquer au plus vite la pauvreté -, mais aussi en termes post-matérialistes : l’harmonie avec la nature est cruciale, ainsi que les biens relationnels, les loisirs, la créativité, la pensée critique, etc.
En ce qui concerne la nécessité d’un débat, non seulement nous sommes d’accord, mais nous revendiquons la possibilité d’un vrai débat. Nous avons besoin d’une vision critique de ce qui se fait et d’une analyse sérieuse de nos nombreuses lacunes. Il n’est pas facile de construire un Etat progressiste sur les ruines de l’anarchie néolibérale et de son effondrement institutionnel, surtout dans le contexte d’hostilité des acteurs hégémoniques de ce monde.
D’ailleurs, le gouvernement équatorien n’est pas exempt de débats en son sein. Il ne s’agit pas d’une entité homogène sans tensions internes ; aucun gouvernement ne l’est jamais. Certains de ses membres demandent davantage de radicalité, d’autres, au contraire, pensent que le président Correa va trop loin et trop vite. Toutefois, il est évident que sans une large plateforme politique il aurait été impossible que ce gouvernement étonnamment populaire arrive au pouvoir.
Après l’effondrement du bloc soviétique, nous semblions condamnés à rêver sans jamais pouvoir réaliser nos aspirations : une vraie gauche avec la maturité nécessaire pour ne pas succomber à la lutte armée d’un autre temps, la capacité de gagner des élections dans le cadre d’une démocratie libérale. Mais, en contrepartie, capable aussi de refuser les préceptes de l’hégémonie néolibérale, l’austérité et le statu quo d’une social-démocratie centriste et tiède.
Nous sommes décidés à construire un Etat-nation moderne, socialiste, mais fondé sur la diversité et donc profondément démocratique, loin des piège de l’Etat autoritaire latino-américain au service des grands propriétaires terriens. Nous cherchons à penser le développement en termes différents et, enfin, à faire la paix avec notre réalité plurinationale et interculturelle. Renoncer à ce projet entraînerait le retour à un Etat pratiquement en déliquescence avec les conséquences néfastes que cela signifierait pour notre population et pour notre planète.
Evidemment, je ne peux pas réfuter l’accusation de ne pas avoir encore mis à bas le capitalisme en Equateur. Mais est-ce vraiment la jauge avec laquelle nous devons mesurer notre processus politique ? Ne devrions-nous pas nous concentrer sur les progrès sociaux, les avancées démocratiques, l’affirmation de notre souveraineté et les courageuses tentatives pour changer notre avenir dans un contexte international hostile ?
Traduction : Romain Migus
Révision : Mémoire des luttes