LE DERNIER DES TREIZE
MERCEDES DEAMBROSIS
La Branche Editeur, Paris, 2013,
288 pages, 15.00 €
On comprend mal comment, avec son air de ne pas y toucher et sa mine innocente, Mercedes Deambrosis parvient avec tant de talent, dans chacun de ses livres, à si cruellement dénoncer les faux-semblants de nos sociétés. Il faut savoir qu’elle garde, de l’Espagne de ses origines, une bonne dose de cigüe puisée dans les textes de quelques uns des auteurs classiques les plus corrosifs : Antonio de Guevara, Gracián, Quevedo... Il est donc normal que, comme chez ses maîtres, les thèmes qu’affectionne Mercedes Deambrosis se réfèrent à la religion, à l’hypocrisie et aux compromissions... Faiblesses auxquelles tant de nos concitoyens succombent pour tenter de survivre à la noirceur du présent.
Pour aborder avec délectation un sujet qui tourne autour de la mort, Mercedes a sorti ici sa plume la plus venimeuse tel le pinceau de Valdès Leal, peintre de la putréfaction, que j’ai oublié de citer parmi ses maîtres.
Que nous raconte-elle dans ce nouveau roman ? Un jour de fête et de beuverie, treize adolescents jurent qu’ils resteront fidèles toute leur vie á leur idéaux du moment. Pour le garantir, ils recrutent un tueur à gages, disposé à occire le premier qui trahira le serment. Le temps passe, la société et les hommes changent. Par la force des choses, les garçons deviennent des hommes. Et, comme toujours, leur fidélité se fissure. Mais, inexorablement, ils se revoient aux enterrements...
A un rythme implacable, Mercedes Deambrosis déroule une intrigue saisissante où ses héros disparaissent un à un résignés. C’était drôle la vie, quand on regarde en arrière. Mais l’avenir les angoissait, malgré la désinvolture des survivants. Tôt ou tard, le tour de chacun viendra. C’est fatal, toutes les treize lunes, l’un de ceux qui restent est assassiné...
Certaines narrations fonctionnent comme des métaphores. Et l’histoire politique d’une époque infuse les existences privées, en un incessant va-et-vient. Sans forcer les liens entre le récit et son contexte historique, ici très riche ; il est donc facile, pour le lecteur, de comparer sans cesse les relations entre les gais lurons et les influences de notre temps de crise sur les mœurs. C’est ainsi que la machine destructrice établie une relation différente entre ces treize salariés et leur employeur, qui voit dans leur disparition l’occasion d’économiser sur les indemnités de départ et de les remplacer par des jeunes précaires dépourvus de droits, bien plus mal payés, exploités.
Le récit reste une histoire macabre, très souvent drôle, à la croisée de l’intime et du politique, la mise en scène d’un destin collectif, exemplaire et universel. Mercedes Deambrosis montre une maîtrise impressionnante de la narration, portée par un style acéré qui fait la part belle aux dialogues. Elle imprime un rythme soutenu, haletant qui conduit implacablement le lecteur à la fin énigmatique. Et nous laisse pantelants...