Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire No. 448, 1er mai 2017

France : tout sauf Le Pen ?

samedi 6 mai 2017   |   Immanuel Wallerstein
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La France s’apprête à tenir le second tour de son élection présidentielle. S’affronteront le candidat d’En marche !, Emmanuel Macron, et Marine Le Pen, la candidate du Front national, qui a fait un score légèrement inférieur à celui de son adversaire. Aujourd’hui, à une semaine des élections, c’est Emmanuel Macron qui semble devoir l’emporter, mais les leçons du passé nous ont montré que rien n’est plus aléatoire que les prédictions des sondages et des hommes politiques.

La campagne a été erratique et fluctuante, l’issue du premier tour semblant presque impossible à prévoir, du fait du pourcentage élevé d’électeurs qui ne savaient pas pour qui ils allaient voter. Ils étaient un certain nombre à ne pas savoir quel bulletin ils allaient mettre dans l’urne en entrant dans l’isoloir.

Passons en revue les fluctuations. Au démarrage de la campagne, beaucoup de commentateurs prévoyaient que les deux partis traditionnels de centre droit et de centre gauche, Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS), choisiraient respectivement Alain Juppé et Manuel Vall. Mais à la surprise générale, ils ont tous deux ont été éliminés lors des primaires de la droite et de la gauche.

Contrairement aux prévisions, LR ont choisi un candidat plus à droite, François Fillon, et le PS un candidat plus à gauche, Benoît Hamon. Les divisions au sein des deux partis traditionnels semblent avoir renforcé la position de la candidate d’extrême droite du Front national. Dans un premier temps, les sondages prédisaient un partage de l’électorat entre trois candidats, ce qui n’aidait pas à éclaircir la situation.

Macron est alors parti à la conquête des électeurs en se présentant comme un candidat ni de gauche ni de droite, ni même du centre. Il s’est présenté comme celui qui pouvait arrêter Le Pen, défendre l’Europe et promouvoir une politique multiculturelle. Son crédit a commencé à grandir de façon stable, mais celui de Fillon aussi. C’est le PS qui semblait le plus gravement affaibli.

Et puis brusquement, les scandales ont englouti Fillon, accusé de s’être personnellement enrichi de façon douteuse. Le Pen a aussi été accusée de s’être approprié frauduleusement des fonds pour financer son parti. Le soutien à Fillon a commencé à décliner de façon marquée. Le soutien à Le Pen a, lui, semblé rester stable.

Pendant ce temps, à gauche, c’est un scénario différent qui se jouait. Hamon, le candidat du PS, était en compétition avec Jean-Luc Mélenchon, le candidat du mouvement de la gauche radicale, La France insoumise, pour récolter les voix de gauche, si bien qu’ils pouvaient sérieusement défier Macron et Le Pen comme deux incarnations différentes de la droite. Mélenchon a commencé à gagner, éclipsant Hamon. Hamon s’est retrouvé simultanément affaibli par les désertions de la droite du PS en faveur de Macron, beaucoup plus proche de la vision de cette aile de l’électorat socialiste sur les questions de politique intérieure comme extérieure. 

Fillon a alors riposté. Il a admis avoir fait une faute et a fait valoir que les électeurs LR devaient malgré tout le soutenir s’ils ne voulaient pas se retrouver sans candidat. Il a réussi à regagner du soutien parmi ses partisans et du terrain. Avec le retour de Fillon et la montée de Mélenchon dans la semaine qui a précédé le premier tour des élections présidentielles, les sondages donnaient quatre candidats en tête : Macron, Le Pen, Fillon et Mélenchon.

Ils étaient tous les quatre crédités de pourcentages d’intentions de vote assez proches, ce qui rendait l’issue du scrutin hautement imprévisible. Voyons maintenant les autres candidats. Hamon restait en lice et était crédité de 5% des voix. Philippe Poutou du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) faisait environ 2%. Tous deux disaient apporter leur soutien à Mélenchon au second tour (mais pas au premier tour). Il y avait aussi un candidat de droite dure, Nicolas Dupont-Aignan, qui se présentait comme fortement opposé à Le Pen. Il disait qu’il s’opposait à elle en tant que gaulliste. Son parti Debout La France semblait devoir recueillir autour de 4 à 5 % des voix.

Dans la dernière semaine avant le premier tour, comme il était presque certain que Marine Le Pen serait présente au second, chacun des autres candidats s’est évertué à attaquer ses concurrents de façon à s’assurer la deuxième place et à rester en lice au second tour. Macron, qui a fait campagne en se présentant comme le candidat du vote utile, a remporté la mise et fait le plus fort pourcentage de voix au premier tour. Il a rassemblé les suffrages d’un électorat couvrant tout l’échiquier politique à l’exclusion du FN.

Les toutes premières estimations après le premier tour l’ont donné vainqueur au second avec 61% des voix. Ce qui laisse penser que Mélenchon aurait aussi pu gagner contre Le Pen, avec sans doute une marge plus faible. La question qui se pose maintenant est de savoir quels électeurs vont reporter leur voix sur quel candidat et lesquels vont simplement s’abstenir. 

L’électorat LR s’oriente largement vers Macron, encouragé par les dirigeants de toutes les tendances du parti. Les électeurs de Hamon et Poutou semblent aussi opter pour Macron, mais dans des pourcentages moindres. Ceux de Mélenchon ont été appelés à ne pas voter Le Pen, mais Mélenchon a refusé de choisir entre voter Macron et s’abstenir, ce qui fait que l’abstention sera probablement importante dans les rangs de la France insoumise. Ses électeurs sont en proie au même type de déception et de colère que ceux de Bernie Sanders lorsqu’ils se sont retrouvés à devoir choisir entre Hillary Clinton et Donald Trump.

Dans l’intervalle, Le Pen a soudainement consolidé sa position avec l’annonce du ralliement de Dupont-Aignan, auquel elle a promis le poste de premier ministre au cas où elle serait élue présidente. Une fois de plus, la quête du pouvoir politique l’emporte sur les convictions idéologiques.

Quel que soit le vainqueur du second tour, il comptera sans doute sur les nouvelles élections législatives pour renforcer son soutien au sein de l’Assemblée nationale. Ce qui signifie qu’il y aura des batailles électorales à l’échelle locale et régionale dans toute la France. Ceux qui disposent d’un parti dont les structures couvrent l’ensemble du territoire feront très probablement de meilleurs résultats. C’est là précisément la faiblesse de Macron. Il n’a pas de parti. Mais que ce soit Le Pen ou Macron qui l’emporte, la nouvelle Assemblée sera fragmentée et les compromis politiques seront à l’ordre du jour.

Si Le Pen gagne, jusqu’à quel point pourra-t-elle mettre en œuvre son programme ? Nous avons vu avec Trump l’écart entre ses discours et ses promesses de campagne et sa capacité à mettre en œuvre son programme. Étant donné les pouvoirs dont dispose le président français, Le Pen ferait sans doute mieux que Trump, mais jusqu’à quel point ?

Si Macron l’emporte, sa capacité à gouverner pourrait être encore plus faible. En particulier, jusqu’où pourra-t-il aller dans la réalisation de son programme d’austérité néolibérale ? Je crois qu’il ne pourra pas aller bien loin. Si « Resist » apparaît comme un mouvement fort aux Etats-Unis, attendez qu’un mouvement de résistance entre en action dans l’arène politique française, un pays qui a une longue tradition en matière de mouvements contestataires.

Suis-je en train de dire que, quel que soit celui qui gagnera le second tour, cela fera moins de différence qu’on s’évertue à nous le prédire ? Je pense certes que cela fera une différence, mais pas si grande que ça. Si Mélenchon ou même Hamon était arrivé au pouvoir, cela aurait marqué un véritable changement. En France comme aux Etats-Unis et dans beaucoup d’autres pays, un vrai changement est susceptible de se produire, mais il faudra encore des années de luttes pour en arriver là.

 

Traduction : Mireille Azzoug

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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.





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