Le 15 octobre, alors que plus de 18 millions de Vénézuéliens étaient invités à élire leurs gouverneurs, le Grand pôle patriotique Simón Bolivar (GPP), constitué autour du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), a triomphé dans 18 Etats sur 23, n’en abandonnant que 5 à la coalition de la Table d’unité démocratique (MUD ; opposition). Malgré ce résultat sans équivoque, on se gardera bien ici d’accabler le malheureux Paulo A. Paranagua, deskman Amérique latine au service international du quotidien du soir Fake News (ex-Le Monde) pour le titre de son article du 17 octobre : « Le pouvoir s’attribue la victoire aux régionales ». C’est bien sûr le Conseil national électoral (CNE) et non « le pouvoir » qui a annoncé le résultat des élections. Simplement, ayant écrit quelques jours auparavant (14 octobre) « tous les pronostics évoquent une progression de la MUD, qui pourrait l’emporter dans 12 à 18 Etats, au lieu de 3 actuellement », l’infortuné journaliste ne pouvait qu’invoquer « une fraude à l’échelle nationale », sous peine de passer pour une diseuse de bonne aventure de troisième catégorie.
De la même manière, on recommandera l’indulgence pour Anthony Bellanger, l’ex-directeur de l’information de Courrier international aujourd’hui chroniqueur éditorialiste aux Inrocks, à BFM TV et à France Inter. Devant courir de l’un à l’autre pour y disserter sur des pays dont il ne connaît strictement rien, il s’en tire avec talent en racontant n’importe quoi. Ayant constaté en parcourant rapidement les dépêches que, malgré « les fraudes », l’opposition avait fait élire deux gouverneurs de plus que lors de l’élection précédente, il a levé le mystère pour les auditeurs du « service public » le 16 octobre à 18h55 : « On n’est plus à l’époque soviétique où les dictateurs remportaient 99,8% des voix. On gagne les élections, il ne faut pas exagérer, mais on perd un peu de terrain, pour ne pas être ridicules. » Précaution franchement inutile : quiconque a déjà entendu Bellanger parler du Venezuela sait pertinemment que, fort heureusement pour lui, le ridicule ne tue pas.
Avec une participation de 61,4 %, certes « non soviétique », mais néanmoins supérieure à celles affichées dans des pays aussi hautement démocratiques que la Colombie, le Chili, l’Argentine, le Mexique, la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis, le chavisme s’est donc imposé (54 % des suffrages), infligeant un dur camouflet à ceux qui avaient fait de cette élection un référendum contre le chef de l’Etat Nicolás Maduro [1]. Ajoutant au poids des chiffres, il a reconquis deux juridictions hautement symboliques : l’Etat de Barinas, où se trouve Sabaneta, le village natal de feu Hugo Chávez, a élu l’un de ses frères, Argenis Chavéz ; l’Etat-clé de Miranda, qui inclue une partie du Grand Caracas, dirigé jusqu’ici par un des leaders de l’opposition, le multimillionnaire Henrique Capriles Radonsky, déclaré inéligible par la justice [2], a vu triompher l’un des jeunes espoirs de la révolution bolivarienne, Héctor Rodríguez.
Au lendemain de l’annonce des résultats, les dirigeants de l’opposition ont semblé complètement groggies. Puis, selon un scénario rôdé depuis presque deux décennies, le porte-parole Gerardo Blyde a annoncé que la MUD ne reconnaissait pas les résultats issus d’une « fraude sans précédent » alors que les prévisions lui annonçaient une « victoire gigantesque ». Avant d’ajouter : « Nous demandons aux candidats d’organiser des activités de rue pour soutenir notre accusation d’irrégularité. »
Pour l’instant, sans grand résultat, hormis celui qui voit les médias nationaux mais aussi internationaux, de la droite assumée à la gauche la plus décervelée, dérouler le tapis rouge à tous les poncifs : « pays à l’agonie », « dérive autocratique », « régime autoritaire », « installation d’une dictature »… Car, en matière de journalisme de basse intensité, Paranagua et Bellanger, épinglés ici non en vertu d’une haine personnelle mais en tant qu’archétypes du dévoiement partisan de l’information, ne constituent hélas en rien des exceptions.
L’œuvre en cours de formatage de l’opinion est devenue telle qu’il convient désormais de remettre systématiquement en mémoire les épisodes passés pour permettre un minimum de compréhension du présent. Ainsi…
Une crise sans précédent (récent) a mis à genou le Venezuela. Le « madurisme » serait « en train d’achever le chavisme » (Marianne, 1er août 2017). Qu’est-ce à dire ? Si le pouvoir de ce pays pétrolier ne commettait aucune erreur, cela se saurait ; il serait bien le seul au monde à rendre une copie parfaite. Mais, les ratés de sa gestion n’expliquent pas tout. Des pénuries organisées et de l’accaparement des aliments, médicaments et biens de première nécessité aux conséquences désastreuses du marché noir, en passant par une inflation démente sciemment provoquée, c’est bien, depuis l’arrivée de Maduro au pouvoir, une déstabilisation économique qui sème le chaos dans le pays [3]. Elle a, affectant, décourageant et provoquant un mal-être social, enfanté la victoire de l’opposition lors des législatives de décembre 2015. Majoritaire à l’Assemblée nationale, celle-ci, en faisant prêter serment à trois députés non élus car suspectés de fraude, s’est mis en janvier 2016 dans l’illégalité, amenant depuis le Tribunal suprême de justice (TSJ) à invalider toutes ses décisions. Confronté à un tel défi à l’ordre institutionnel, aucun Etat de droit ne procéderait autrement.
« Prisonnier politique » emblématique, le dirigeant de Volonté populaire (VP) Leopoldo López n’a pas été condamné pour ses « opinions », mais pour avoir déclenché une vague de violence destinée à renverser le chef de l’Etat – « La Salida » (la sortie) – qui, en 2014, a fait 43 morts et plus de 800 blessés. Président du gouvernement espagnol et membre de la noble « communauté internationale » qui, de Donald Trump à Emmanuel Macron, traite le Venezuela de dictature, Mariano Rajoy a appelé López le 12 juillet dernier et l’a « félicité pour son courage » avant d’exiger, pour la énième fois, sa libération « totale » (le « dissident » effectuant désormais sa peine à domicile) [4]. Sacré Rajoy ! Le 16 octobre, accusés d’être « les principaux promoteurs et directeurs » des incidents qui se sont produits en Catalogne le 20 septembre, sans faire aucune victime mortelle, les présidents de deux associations indépendantistes, Jordi Sanchez (Assemblée nationale catalane) et Jordi Cuixart (Omnium cultural), ont été mis en examen pour sédition et placés en détention préventive. L’Union européenne s’est contentée de « discrètes critiques », trop occupée qu’elle est à menacer Caracas de sanctions.
D’avril à juillet 2017, ce n’est pas, comme l’ont dit et répété les commentateurs disciplinés de nos radios et télés, « la répression des manifestations de l’opposition » mais « la vague de violence » qui a fait plus de 125 morts. Bavures policières, mais aussi assassinat de membres des forces de l’ordre, crimes de haine dans les rangs des manifestants, citoyens lambda victimes d’accidents dus aux barricades ou assassinées pour avoir voulu les contourner ou les déblayer, protestataires se faisant sauter avec leurs propres armes artisanales ou engins explosifs, etc., la camarde a frappé tous les camps, des opposants aux chavistes et aux indifférents.
Pourtant, le 1er septembre, dans Fake News (ex-Le Monde), l’inévitable Paranagua écrit encore : « Depuis cinq mois, les manifestations de l’opposition se déroulent selon le même scénario, rappelle Mme Tamara Taraciuk [analyste de Human Right Watch sur le Venezuela] ; les rassemblements et les cortèges commencent de manière pacifique ; les forces de l’ordre les dispersent de manière brutale ; des jeunes radicalisés s’interposent alors avec des boucliers improvisés et renvoient les grenades lacrymogènes sur les policiers ou ripostent avec des jets de pierres ou de cocktails Molotov. » Comme la représentante de l’organisation de défense des droits humains notoirement proche du Département d’Etat dont il rapporte les propos, Paranagua n’a soit jamais couvert, comme est censé le faire un journaliste, les démonstrations de l’opposition, soit ment délibérément.
« Jeunes radicalisés s’interposant alors que la Police réprime avec férocité les manifestants » (Fake News – ex-Le Monde).
Photos à l’appui, on constatera sur ce site que l’inversion des séquences qu’il opère dénature sciemment les événements [5] : Garde nationale et police bolivarienne ne répriment pas les manifestations pacifiques (ni ne les provoquent en les « encageant » comme l’ont fait les forces de l’ordre françaises, suivant des ordres ineptes de leur hiérarchie, lors des défilés contre la loi Loi El-Khomri). Elles n’interviennent que quand « les jeunes radicalisés » et surtout les groupes de choc fascisants équipés pour la guérilla urbaine, loin de s’interposer pour protéger les citoyens d’une répression qui alors n’existe pas, s’émancipent de la tête du cortège et entreprennent de provoquer les affrontements.
Violence insurrectionnelle, vandalisme, énormes dommages matériels, rupture de l’ordre démocratique, tragédie humaine, refus de l’opposition de s’asseoir pour dialoguer : pour sortir de ce piège mortel, Maduro se tourne vers le peuple et convoque l’élection d’une Assemblée nationale constituante (ANC), faculté que lui donne sans aucune équivoque l‘article 348 de la Constitution [6]. L’opposition qui, en 2014, réclamait une telle Constituante, la rejette en bloc et refuse de participer à la Commission présidentielle chargée d’en élaborer le fonctionnement et le mode d’élection. Celui-ci combinera finalement un vote par circonscriptions municipales (364 membres) et un vote sectoriel (176) permettant d’élire spécifiquement : 79 travailleurs ; 28 retraités ; 24 membres des conseils communaux ; 8 paysans et pêcheurs ; 8 indigènes (élus selon leurs us et coutumes) ; 5 chefs d’entreprise ; 5 handicapés ; 24 étudiants. Tandis que la Conférence épiscopale vénézuélienne encore plongée en pleine Guerre froide dénonce « l’inscription dans la Constitution d’une dictature militaire, socialiste, marxiste et communiste », les bourreaux en col blanc du pilori médiatique s’accordent peu ou prou sur le fait que la Constituante a été « désignée grâce à un scrutin sur mesure et contraire au suffrage universel et à la Constitution ».
Hormis le dernier point, parfaitement mensonger, cette polémique mérite qu’on s’y arrête un instant. Reposant sur l’égalité impliquée par le suffrage « direct et universel » – un individu, une voix – la démocratie s’opposerait par définition à tout mode de scrutin favorisant certaines catégories de citoyens, sauvegardant ainsi la volonté du bien général face aux intérêts corporatifs, sectoriels ou particuliers. Toutefois, il ne manque pas d’analystes, généralement progressistes, pour noter, voire dénoncer, le fossé qui sépare le « monde politique » de la société. La fracture entre les électeurs et leurs représentants « professionnalisés ». Ou le mode de reproduction des élites. Beaucoup se retrouvent dans le constat suivant : « Il ne faut pas minimiser les effets de l’appartenance sociale de ceux qui concentrent le pouvoir – fût-il local – sur le contenu même des politiques qu’ils mènent. On peut en outre douter de leur capacité à représenter d’autres catégories de population que la leur, ou que celles qui savent se faire entendre d’eux… et qui sont rarement éloignées de la leur [7]. » Qui contesterait qu’en France, par exemple, la majorité « macroniste » de l’Assemblée nationale est composée de chefs d’entreprises et de yuppies issus des start-up ? Combien d’ouvriers ? Combien de paysans ? Le constat valant peu ou prou pour l’ensemble des partis.
Quand bien même le Venezuela se voudrait une démocratie « participative » et « protagonique », ce phénomène sociologique y existe également. Dès lors, ne peut-on considérer que le type de représentativité partiellement choisi pour la Constituante s’inscrit dans l’histoire des mouvements d’émancipation, riches des combats menés pour impliquer les classes populaires ? Avec des arguments philosophiques également respectables, on peut être d’accord ou non. Mais, plutôt qu’une excommunication automatique, la question mériterait un vrai débat de « philosophie politique » – en particulier chez les « rebelles professionnels », prompts à s’enflammer dès qu’il s’agit du Tiers-état de la Révolution française ou de la Commune de Paris, mais particulièrement timorés et distants dès qu’il s’agit du Venezuela d’aujourd’hui [8]. D’autant que, dans le cas présent, les arguments avancés par l’opposition ne tiennent pas.
A la veille du scrutin, d’El Universal et El Nacional (Venezuela, 16 et 29 juillet), à Clarín (Argentine, 10 juillet), La Razón (Bolivie, 17 juillet), El Espectador (Colombie, 27 juillet et 10 octobre), El Universo (Equateur, 18 juillet), El Excelsior (Mexique, 16 juillet), CNN (Etats-Unis, 10 juillet), El Nuevo Herald (Miami, 11 juillet), El País (Espagne, 8 juillet), L’Obs (25 avril), Le Point (15 juillet) et La Croix (16 juillet), sans parler de Fake News (ex-LeMonde, quasiment un jour sur deux !), le club planétaire de la pensée conforme diffuse avec délectation ou inconséquence les chiffres de l’institut de sondage vénézuélien Datanalisis : « Près de 70 % des Vénézuéliens sont opposés à la Constituante et 80 % d’entre eux dénoncent la gestion du chef de l’Etat. »
Dans ces conditions, et avec un tel rapport de forces, comment imaginer un seul instant que même dans des collèges d’ouvriers, de paysans, de chefs d’entreprises, d’étudiants (fers de lance supposés des manifestations !), ou, sur le plan territorial, dans les plus modestes des « municipios » [9], l’opposition ne puisse obtenir des élus, voire même une majorité ? A moins, bien sûr, que les fameuses estimations reprises unanimement par la sélecte confrérie du bourrage de crâne ne relèvent de la plus extrême fantaisie… Ce qu’on n’ose imaginer.
En réalité, en refusant de participer au scrutin et de siéger dans la Constituante, l’opposition a commis la même erreur qu’en 2005 ou, en ne présentant aucun candidat aux législatives du 4 décembre, elle s’était exclue de la représentation à l’Assemblée nationale pour cinq années – ce que les plus lucides de ses dirigeants ont ensuite amèrement regretté et critiqué.
Le 30 juillet, jour de l’élection de l’ANC, non seulement la MUD boycotte le scrutin, mais ses dirigeants les plus radicaux appellent à le saboter. Dans le cadre d’une grève générale (non suivie !) de deux jours, Freddy Guevara, principal porte-parole du parti Volonté populaire, incite les Vénézuéliens à « rester à la maison ou à sortir uniquement pour ériger des barricades ». Dans les quartiers des classes aisées de Caracas, épicentres des violences d’avril à juillet, les électeurs potentiels sont menacés d’agressions physiques et même de mort s’ils vont voter. Le CNE devra ouvrir dans la capitale des « bureaux d’urgence » pour permettre la participation de milliers de citoyens empêchés de le faire dans leurs circonscriptions. Au cours de cette escalade de violence qui voit, en province, des bureaux de vote attaqués à la grenade ou à coups de fusils, près de 200 terminaux de vote électronique sont incendiés (dans les Etats de Mérida Táchira, Zulia et Trujillo), un sergent de la Garde nationale et un candidat chaviste sont assassinés, vingt-et-un fonctionnaires de police blessés par arme à feu, huit gardes nationaux brûlés par un engin explosif dans le quartier caraqueño d’Altamira.
Au moins quinze morts tombent au cours de ce week-end. En vain. A la surprise générale (forcément !), 8 089 320 Vénézuéliens se rendent aux urnes pour élire leurs Constituants, soit 41,5 % de l’électorat. Une claque pour ceux qui pensaient Maduro au bord d’une tombe sur laquelle ils rêvaient d’aller cracher.
Ces chiffres seront bien sûr contestés. D’abord, semant légitimement le doute, par Antonio Mugica président de la firme Smartmatic, qui fournit le software des machines à voter. « Nous estimons que la différence entre la participation réelle et celle annoncé par les autorités est d’au moins 1 million de voix », déclare-t-il, depuis… Londres, trois jours après le scrutin.
Une bien curieuse affaire… Sans jamais aucun incident, et défendant l’intégrité des résultats de douze élections successives, cette entreprise en encadre techniquement le déroulement depuis 2004 – le vote étant complètement automatisé. Dans le cas présent, non seulement Mugica sort précipitamment ses vingt employés du Venezuela et ferme ses bureaux « jusqu’à nouvel avis », mais il s’abstient de tout contact avec le CNE, son partenaire familier, avant de s’envoler pour la Grande-Bretagne, où il organise sa spectaculaire conférence de presse. Ensuite, il disparaît des radars, sans jamais avoir soumis à quiconque un quelconque rapport technique détaillé expliquant la supposée fraude « d’au moins 1 million de voix » (on admirera la précision), qui l’a réalisée et comment elle a été détectée.
Devant ce qui demeure un (relatif) mystère, on avancera une hypothèse. Dans un contexte d’agression permanente, les Etats-Unis viennent alors d’annoncer des sanctions contre, entre autres, la présidente du CNE Tibisay Lucena pour son rôle dans l’organisation de cette élection « illégale ». « Cette action du gouvernement américain affecte également d’autres fournisseurs de notre institution qui, nous en avons connaissance, ont vu bloquer leurs comptes à l’extérieur », révélera Lucena [10]. De là à en conclure que les entreprises travaillant avec le gouvernement vénézuélien risquent de se couper définitivement du marché américain, voire d’être condamné à de très fortes amendes par la justice de ce pays, il n’y a qu’un pas – que nous franchissons (en compagnie des dirigeants de Smarmatic, manifestement)…
Trouvant sans doute le président de Smartmatic un peu mollasson, Henry Ramos Allup, député d’Action démocratique (AD, membre de la MUD) n’estime lui la participation qu’à 12 %, soit à peine 2,4 millions de personnes. Inspiré par ces savantes « expertises », le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) Luis Almagro, la bave aux lèvres, s’empresse de tweeter : « On confirme la plus grande fraude de l’histoire latino-américaine en pourcentage et millions de votants ».Par la voix de la chef de sa diplomatie Federica Mogherini, l’Union européenne déclare qu’elle refuse de reconnaître cette ANC et annonce qu’elle est prête à « accentuer graduellement » les pressions sur Maduro. Parmi ses membres, c’est l’Espagne qui pousse le plus pour des mesures de rétorsion. Sacré Mariano Rajoy (bis) !
Le 16 juillet, deux semaines avant l’élection de la Constituante, l’opposition avait défié le pouvoir en organisant un plébiscite présenté avec sa mesure habituelle comme « l’acte de désobéissance civile le plus grand de l’humanité », « détonateur » de la dernière phase de la mobilisation visant à forcer le départ du chef de l’Etat. Au milieu des questions posées, la première sur le rejet de la Constituante, la dernière sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, la deuxième attirait particulièrement l’attention : « Demandez-vous à la Force armée nationale et à tous les fonctionnaires publics d’appliquer et défendre la constitution de 1999 et de respecter les décisions de l’Assemblée nationale ? » Un appel non dissimulé à une intervention militaire.
Arrivé la veille en compagnie de quatre autres anciens présidents latino-américains en tant qu’« observateurs internationaux », le Mexicain Vicente Fox jugea que le scrutin marquait le début « du chemin vers la fin » du gouvernement Maduro.
« Le Venezuela a envoyé un message clair à l’exécutif national et au monde », déclarera deux jours plus tard la rectrice de l’Université centrale du Venezuela, Cecilia García Arocha, en précisant que 6 492 381 personnes avaient voté dans le pays et 693 789 à l’étranger (alors que 101 000 seulement y sont enregistrés par le CNE !). Permettant ultérieurement à Freddy Guevara d’annoncer une nouvelle étape de la lutte baptisée « Heure Zéro », cette consultation anticonstitutionnelle et dépourvue de valeur légale, menée sans aval ni participation du CNE, sans registres électoraux ni bulletins de vote vérifiables puisque brûlés à la fin du scrutin, se déroula dans le plus grand calme et sans intervention du « gouvernement dictatorial » [11].
Quel contraste avec la gestion calamiteuse par le gouvernement de droite au pouvoir à Madrid du référendum (déclaré également illégal par la Cour constitutionnelle espagnole) organisé le 1er octobre par les indépendantistes catalans. Dix mille policiers et gardes civils casqués et armés jusqu’aux dents pour garantir le maintien de l’ordre ! Des charges policières sur la foule pacifique, des écoles prises d’assaut, des dizaines de blessés, des personnes âgées en sang… En fin de journée, près de 900 manifestants auront été examinés par les services de secours (de même que près de 40 policiers). Heureusement pour lui, Rajoy n’est pas Maduro.
Dix-huit gouverneurs à cinq ! L’élection du 15 octobre confirme la tendance observée le 30 juillet. Et provoque les mêmes accusations : « Fraudes, violences, irrégularités, manipulations, extorsions et chantage destinés à nier la volonté des Vénézuéliens »… L’opposition dénonce notamment l’absence d’observateurs internationaux. Pourtant, le 4 octobre, c’est Nicanor Moscoso, le président du Conseil des experts électoraux latino-américains (Ceela), qui, en conférence de presse au siège du CNE, a confirmé que, au terme de douze audits de chacune des phases du système électoral, tant le Grand pôle patriotique que les partis d’opposition ont signé le document en manifestant la conformité.
En l’occasion fort de cinquante observateurs, dont vingt ex-présidents, vice-présidents et magistrats d’organismes électoraux dans leurs pays respectifs, le très respecté Ceela a accompagné et observé plus de trois cents scrutins, partout sur le continent (sauf aux Etats-Unis !). Son porte-parole, le colombien Guillermo Reyes qui, à Caracas, affirme que les vérifications effectuées offrent « confiance, sécurité et transparence », peut difficilement être considéré comme un redoutable gauchiste : il a été président du CNE colombien – pays où la droite monopolise le pouvoir depuis la nuit des temps ! Tous confirmeront après coup la sincérité du scrutin. Tenu dans les mêmes conditions d’ailleurs, avec les mêmes software et hardware, que celui qui a entériné la victoire de la MUD en décembre 2015.
Dans son communiqué, l’opposition met également en cause le déplacement de bureaux de vote dans les heures qui ont précédé le scrutin. Et pour cause… Il s’agit des centres où, lors de l’élection de la Constituante, des voyous à la solde de l’extrémisme ont créé le chaos et menacé les citoyens pour les empêcher de voter. Ne s’étant pas évaporés, échappant au contrôle des dirigeants de la MUD qui ont décidé de la participation à ces élections régionales, ils font peser une menace potentielle sur la journée. Raison pour laquelle le CNE déplace effectivement et à juste titre, dans sept Etats, 282 centres (sur 13 599) vers des endroits plus aisément protégés par les forces de sécurité.
A l’exception de l’opposant Andrés Velásquez qui, battu de très peu (0,26 % des suffrages) dans l’Etat de Bolívar, présente des documents susceptibles de mettre en évidence des irrégularités, l’ensemble des leaders se contentent de dénoncer « le système électoral le plus corrompu du monde » (Henrique Capriles) et d’en appeler à la communauté internationale. Et omettent évidemment de remettre en cause le CNE pour les résultats annoncés dans les Etats qu’ils ont gagné. Il est vrai que…
« Mieux encore ! Les Chavistes perdent des Etats périphériques, un peu comme s’ils concédaient quelques broutilles sans importance à l’opposition », assène Anthony Bellanger aux infortunés auditeurs de France Inter, dans sa brillante chronique du 16 octobre. S’il avait autre chose qu’un petit pois à la place du cerveau, il saurait que c’est précisément trois de ces Etats – Zulia, Táchira et Mérida – que le pouvoir, s’il avait fraudé, aurait tout fait pour contrôler.
Dans le Zulia, le candidat de Justice d’abord (Primero Justicia), Juan Pablo Guanipa, s’est imposé avec 51,6 % des suffrages. Principale zone pétrolière, disposant d’une sortie sur la mer caraïbe à travers le lac de Maracaibo, et donc vitale pour l’économie du pays, le Zulia, s’appuyant sur des particularités historiques et culturelles, a régulièrement manifesté des velléités de sécession. En 1863, dans le cadre de la « guerre fédérale », le général Jorge Sutherland y proclama l’Etat souverain du Zulia, qui deviendra en 1866 la République du Zulia (incorporant les Etats de Trujillo, Mérida et Táchira) avant d’être soumise.
Sans remonter aussi loin, en 2003, Julio Portillo, directeur de l’Ecole de sciences politiques de l’Université [privée] Rafael Urdaneta, le comparant au Québec et au Panamá, propose un référendum sur l’indépendance du Zulia, avec comme argument qu’il « est une Nation du fait… de ses richesses » [12]. En 2005, la directrice du département des sciences politiques de l’Université de Zulia, Lucrecia Morales, exhortera encore à détacher l’Etat de « ce gouvernement » (de Chávez) par la voie de « l’émancipation définitive [13] ».
Peu de temps avant les élections législatives tenues cette année-là, l’ambassadeur des Etats-Unis William Bromfield, lors d’une visite au gouverneur d’opposition Manuel Rosales, déclara à Maracaibo : « Il y a vingt-cinq ans, j’ai vécu deux années dans la République indépendante et occidentale du Zulia [c’est nous qui soulignons], et je sais parfaitement ce qu’est un climat chaud [14] ! » Avant d’évoquer la possible signature d’un « accord bilatéral » entre le Zulia et les Etats-Unis.
Situés sur la frontière colombienne, le Táchira et Mérida ont été, hors les quartiers huppés de Caracas, deux épicentres de la vague de violence d’avril à juillet 2017. La victoire des deux gouverneurs élus, Laidy Gómez (Táchira, 63,3 % des votes) et Ramón Guevara (Mérida, 51,05 %), impliqués dans l’appui à ces « guarimbas », laisse augurer une absence d’enthousiasme dans les tâches de maintien de l’ordre en cas de reprise des hostilités dans cette région particulièrement sensible. Alors que les acteurs locaux des troubles récents ont pu compter sur l’aide de paramilitaires colombiens, Laidy Gómez semble faire d’une large ouverture de la frontière avec le pays voisin une priorité, sans trop sembler se préoccuper de la contrebande des biens de première nécessité qui, dans le cadre de la « guerre économique », mine le Venezuela.
Du fait de sa continuité géographique, ce triangle stratégique (Zulia, Táchira, Mérida) pourrait déclencher une crise d’une gravité exceptionnelle si, comme l’ont fait en 2008 les riches provinces pétrolières et gazifières de la « demi-lune » en Bolivie – Santa Cruz, Beni, Pando, Tarija – pour tenter de déstabiliser Evo Morales, elles venaient à refuser l’autorité du pouvoir central, organisant une quasi-sécession. Ou même si elles fermaient les yeux sur une forte pénétration paramilitaire venue du pays voisin. Ou encore si elles favorisaient la création d’une « zone libérée » d’où pourrait surgir l’appel d’un gouvernement dit « légitime » – prémisse peut-être d’un « gouvernement en exil », un Tribunal suprême de justice parallèle a déjà pris ses quartiers, à Washington, au siège de l’OEA. Ou enfin si, dans le cadre de l’éventuelle « opération humanitaire » invoquée par Washington et l’OEA, elles favorisaient une intervention également venue de Colombie.
Complotisme ? Qui peut avoir oublié les inquiétantes déclarations du directeur de la CIA, Mike Pompeo, lorsqu’il a révélé que la Colombie « est disposée à collaborer à la récupération de la démocratie au Venezuela » ?
Bref, il eut été vital pour le PSUV de contrôler directement ces trois Etats. Mais, par pitié, ne dites pas à la mère d’Anthony Bellanger qu’il est analphabète, elle le croit chroniqueur dans la matinale de France Inter…
En attendant, de fortes turbulences secouent la MUD. Déjà, les primaires organisées le 10 septembre pour choisir ses candidats, avaient engendré de fortes tensions. Minoritaires, les partis « ultras » Vente Venezuela, de María Corina Machado, et Alianza Bravo Pueblo, du maire de Caracas Antonio Ledezma actuellement assigné à résidence, avaient décidé de ne pas participer aux élections régionales « pour ne pas trahir le peuple ». Ces primaires opposèrent donc Action démocratique (de Henry Ramos Allup), Volonté populaire (de Leopoldo López et Freddy Guevara), Justice d’abord (d’Henrique Capriles), Un Nouveau temps (de Manuel Rosales), Avancée progressiste (de Luis Romero et Henry Falcón) et le Copei (d’Enrique Mendoza). Marquée par une forte abstention, la confrontation « entre amis » permit au vieux parti social-démocrate Action démocratique de rafler la plupart des candidatures grâce à sa relative modération et à son implantation en régions. Promoteur de la violence au cours des mois précédents, Volonté populaire s’effondra. Trahisons, insultes et même horions agitèrent les centres de vote. Justice d’abord accusa son ex-militant Ismael García, passé à Action démocratique, d’avoir eu recours à la fraude et à l’aide d’une bande criminelle – le Train d’Aragua – pour intimider ses adversaires. Dans l’Etat d’Amazonas, le gouverneur sortant Liborio Guarulla dénonça la MUD pour avoir séquestré le matériel électoral et imposé un candidat.
Après l’inattendue victoire chaviste, les camps en présence ne jouent plus le même jeu. La furibonde María Corina Machado accuse les « cogollos » [15] d’être complices de la fraude pour avoir accepté les conditions, imposées par le pouvoir, dans lesquelles se dérouleraient ces élections. Plus ou moins trotskiste, censé représenter la gauche politique, le politologue Nícmer Evans reproche à la MUD (la droite et l’extrême droite) de « ne pas avoir inclus le chavisme critique dans sa stratégie [16] ». Les candidats d’opposition vaincus hurlent au scandale, avec plus ou moins de conviction. Mais pas tous. Gouverneur sortant de l’Etat de Lara et candidat de la MUD Henri Falcón déclare : « De façon responsable, je dis que nous avons perdu, c’est aussi simple que ça, et il faut l’accepter parce qu’il faut aussi savoir faire preuve de courage. » Député anti-Maduro, José Guerra ne mâche pas plus ses mots : « Nous nous sommes battus nous-mêmes, nous n’avons pas été capables de mobiliser nos sympathisants ! » L’ex-premier secrétaire de la MUD, Jesús « Chuo » Torrealba, se montre particulièrement agacé : « La déclaration de la MUD me préoccupe, on n’y comprend rien. Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire dans les résultats (…) Elle doit pouvoir dire ici j’ai les actes [de chaque table], ici j’ai les résultats, et ils ne coïncident pas. »
Tout comme le vice-président de son parti Action démocratique, Antonio Ecarri Bolívar – « Les résultats sont dus à l’abstention, pas à une supposée fraude » – Henry Ramos Allup constate , le 16 octobre, sur la chaîne Globovisión : « Déjà, dans l’après-midi [de dimanche], j’avais des informations m’indiquant que l’affluence des électeurs de l’opposition avait diminuée, ce qui laissait prévoir un résultat positif pour le chavisme. » Puis, interrogé sur la position du secrétaire général de l’OEA Luis Almagro, qui critique la participation aux régionales, il fait exploser une bombe (qu’on aurait dû entendre au moins jusqu’à Bruxelles, Paris et, pourquoi pas, la Maison de la Radio) : « Je crois qu’Almagro se trompe complètement (…) Je lui recommande de reconsidérer sa position et de cesser de donner tant de leçons depuis l’extérieur. »
Pour expliquer ce spectaculaire retournement de perspective, on précisera que sur les cinq gouvernorats gagnés par l’opposition, quatre l’ont été par Action démocratique – ce qui fait de Ramos Allup le potentiel leader de l’opposition dans la perspective de l’élection présidentielle de 2018.
La stratégie insurrectionnelle de la MUD n’a pas payé. Alors que le pays sombrait dans la folie, l’Assemblée nationale constituante convoquée par Maduro a ramené un calme dont rêvaient une majorité de Vénézuéliens. D’une façon inattendue, l’une de ses premières décisions, la destitution de la procureure générale Luisa Ortega, passée avec armes et (surtout) bagages à l’ennemi, et son remplacement par Tarek William Saab, a permis l’enclenchement d’une lutte inédite et spectaculaire contre la corruption – fléau qui a causé un tort considérable à la révolution bolivarienne, scandalisant les citoyens, toutes tendances confondues [17]. La montée en puissance des Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP) entraînant la distribution de kits de nourriture subventionnée par le gouvernement à neuf millions de familles leur permet d’échapper aux pénuries organisées pour faire tomber Maduro, manœuvre cynique, mais également bouillon de culture du mécontentement populaire. Les menaces de Donald Trump et l’ingérence de pays de la région suscitent un viscéral rejet. « C’est juste dingue ! » : Bolivar et Chávez redeviennent plus vivants que jamais.
En un mot : malgré un contexte social et économique délicat, le cœur du chavisme s’est remobilisé.
La MUD, elle, a fait tout ce qui était humainement possible pour échouer. Pendant quatre mois, elle a jeté la classe moyenne dans la rue au nom d’une « rébellion civique » lui assurant la chute imminente de la tyrannie de Maduro. Sans résultat. La sauvagerie et les excès de ses escadrons de choc militaro-délinquants ont fini par effrayer la fraction modérée de ses partisans. Après le plébiscite du 16 juillet, Julio Borges, le président du Parlement, affirmait encore, évoquant la « partialité » du CNE : « La Constituante est inacceptable et nous ne tomberons pas dans le piège des élections des gouverneurs. » Leitmotiv : « Dans une dictature, on ne vote pas », ce serait « légitimer le régime ». Soudain, Ramos Allup, puis Freddy Guevara, changeant leur fusil d’épaule, annoncent qu’Action démocratique et que Volonté populaire participeront – de manière « tactique » pour Guevara –à ce scrutin. « Tactique » peut-être, mais tout de même… Smartmatic vient juste de dénoncer une manipulation « d’environ un million de voix » par le CNE ! Guevara s’attire des rangs de son propre camp l’accusation de « traître » et d’« opportuniste ». Ce qui n’empêche pas les autres partis de suivre le mouvement et 196 candidats d’opposition de postuler aux primaires. Amenant les « durs » à la rupture. Désarçonnant complètement militants et sympathisants, qui ne savent plus à quel Saint se vouer.
« BHL et Freddy Guevara à Paris »
Autre malaise chez les modérés : la MUD ne propose aucun programme crédible, aucune mesure, aucune solution concrète susceptible d’atténuer la crise économique. Juste « renverser la dictature ». Qui plus est, les leaders du « G-4 » – Justice d’abord, Volonté populaire, Un Nouveau temps, Action démocratique – les yeux rivés sur la présidentielle de décembre 2018, passent leur temps à se faire des croche-pieds. Annoncent qu’ils dialoguent avec le pouvoir, mais attention, sans dialoguer. Vivent luxueusement dans des avions volant entre Caracas, Lima, Washington et Bruxelles, où ils quémandent des sanctions et l’asphyxie… économique du pays. Voire même une intervention, certes « humanitaire », mais tout de même un peu militarisée… Chez les chavistes, on parle de « trahison de la patrie » – ce qui fait hurler la bien-pensance planétaire – , mais, chez les plus raisonnables des anti-Maduro, la démarche choque et inquiète : la réponse à la crise qui les affecte aussi se situe peut-être ailleurs, non ? Comme leurs compatriotes « bolivariens », ils aimeraient bien un minimum de raison et un peu de tranquillité.
15 octobre. La diabolisation permanente du CNE a atteint son but (même si ce n’est pas le moment !) : elle incite nombre d’opposants à s’abstenir de voter. Les divisions et trahisons lors des primaires ont laissé des traces : les mécontents du candidat demeuré en lice restent également à la maison. Les enragés de Maria Corina Machado crachent sur tout le monde. Par rapport aux législatives de décembre 2015, la MUD perd trois millions de voix. Pas en raison de fraudes, du fait d’un vote sanction.
Comme il se doit, ses dirigeants avaient annoncé qu’en aucun cas leurs cinq élus ne prêteraient serment devant l’Assemblée nationale « prostituante », démarche exigée par le pouvoir. Mais, pour les intéressés, c’était prendre le risque, comme l’Assemblée nationale l’a fait depuis janvier 2016, de se retrouver hors-jeu. Le 23 octobre, dynamitant la MUD, les quatre gouverneurs d’Action démocratique – Laidy Gómez (Táchira), Alfredo Díaz (Nueva Esparta), Ramón Guevara (Mérida) y Antonio Barreto Sira (Anzoátegui) – ont franchi le Rubicon et, de ce fait, pourront exercer leur fonction. Seul Juan Pablo Guanipa (Justice d’abord), élu dans le Zulia, a refusé de reconnaître la légitimité de l’ANC et risque donc de voir son élection invalidée.
En apprenant la nouvelle de cette victoire hautement symbolique, le président Maduro s’est prononcé avec mesure à la radio et à la télévision : « J’ai appelé tous les gouverneurs d’opposition et je leur ai dit qu’on tourne la page. Je leur tends la main pour qu’on travaille ensemble. Dieu fasse qu’on puisse maintenir ce climat de bonne volonté. » Pas sûr qu’il soit entendu par tous. Evoquant les quatre gouverneurs, Leopoldo López les a accusés de « trahison et de tromperie ». Et la droite dure a annoncé une (nouvelle) tournée internationale pour dénoncer la tyrannie.
L’intrusion de ces opposants raisonnables troublera-t-elle le jeu ? Pas sûr. Car celui de Washington semble clair : imposer de l’extérieur ce que ses protégés sont incapables d’obtenir dans le pays. Trump accentue les sanctions économiques. A l’OEA où, le 14 octobre, il a présidé la cérémonie d’investiture d’un Tribunal de justice vénézuélien parallèle et où il manigance pour faire déférer le gouvernement vénézuélien devant la Cour pénale internationale (CPI), la dérive de Luis Almagro prend une telle ampleur que le président bolivien Evo Morales estime qu’il faudrait lui envoyer un psychiatre. Toutefois, bien que parfois gênés aux entournures par un activisme que ne lui permettent nullement les statuts de l’OEA, l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, Panamá, le Paraguay et le Pérou suivent le mouvement. Alors que chaque jour, en Colombie, tombent des dirigeants populaires sous les balles assassines, le président Juan Manuel Santos assure que la résolution de la crise du Venezuela passe par « la célébration d’élections générales » anticipées, avec « un CNE indépendant ».
Les vingt-huit Etats membres de l’UE ont récemment donné leur « accord de principe » à la mise en place de sanctions contre « le régime » de Maduro. « Il faut un retour à l’Etat de droit » au Venezuela, a affirmé de son côté le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Dans son édition datée du 20 octobre, le quotidien du soir Fake News (ex-Le Monde) a publié un long reportage de sa correspondante Claire Gatinois contant les tristes tribulations d’une jolie étudiante en comptabilité de Caracas qui se prostitue pour 80 reais la passe (20 euros) au Brésil, à Boa Vista (Etat de Roraima). Tonalité de l’article : « Même une vie misérable vaut mieux que le Venezuela ».
Rien, en revanche, sur le tout récent recours en nullité déposé auprès de la Cour suprême fédérale par Dilma Rousseff, visant à révoquer le pseudo « impeachment » qui a interrompu son mandat présidentiel en 2016. Un nouveau témoignage a révélé que l’ex-député Eduardo Cunha, bras droit de Michel Temer et alors président de la Chambre des députés, a reçu un million de reais (265 809 euros) afin d’acheter le vote de députés pour obtenir sa destitution.
Rien non plus, jamais, sur les femmes des quartiers populaires (et autres) qui, au Venezuela, votaient hier Chávez et aujourd’hui Maduro.
Illustration : Mobilisation du Grand Pôle Patriotique (juin 2017)