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La mémoire défaillante de la ministre des armées

mardi 10 septembre 2019   |   Philippe Arnaud
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L’autre soir, sur Arte, j’ai entendu la ministre des armées, Florence Parly, parler de la décision de l’Iran d’augmenter de nouveau sa production d’uranium, et cela en contravention avec les accords de Vienne conclus en juillet 2015. Et Florence Parly de dire qu’il fallait « ramener l’Iran au respect de l’accord de Vienne ».

Remarque 1. Florence Parly ne manque pas d’impudence en inversant ainsi la chaîne des causalités et, partant, des responsabilités. Quiconque l’écouterait en ignorant les événements survenus depuis la signature de cet accord ne manquerait pas de penser que l’Iran l’a violé par malignité. Or, c’est bien, d’abord, le retrait unilatéral des États-Unis, en mai 2018, en violation de leur propre signature, qui a été, ensuite – mais ensuite seulement – l’élément déclencheur de la décision de Téhéran ! Ce sont les États-Unis et non pas l’Iran qu’il faudrait ramener au respect de cet accord.

Remarque 2. Florence Parly ne manque pas non plus d’impudence en demandant à l’Iran de respecter l’accord de Vienne alors que ni la France ni l’Europe n’ont fait quoi que ce soit pour aider la République islamique à résister aux sanctions américaines. Les entreprises françaises se sont retirées d’Iran, la queue entre les jambes, au claquement de doigts de Donald Trump. Les Européens ont été incapables de mettre en oeuvre l’accord – qui, au demeurant, était une « usine à gaz » – devant permettre aux Iraniens d’échanger leur pétrole contre des produits ou des services européens.

Remarque 3. Florence Parly est coutumière du fait : au mois d’avril de cette année, elle déclarait que les armes françaises vendues à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis [n’étaient] pas utilisées de façon offensive dans la guerre du Yémen. Or, dans ces armes, figuraient des chars Leclerc, des obus-flèches, des Mirage 2000, des radars Cobra, des blindés Aravis, des hélicoptères Cougar et Dauphin, des frégates, des corvettes et des canons Caesar. Il s’agit là d’un canon automoteur – c’est-à-dire d’une très grande mobilité – de 155 mm de calibre, dont les obus, lorsque ce sont des obus-roquettes, peuvent porter à 50 km, à un rythme de 6 à 8 par minute. Dans son genre, c’est un des canons les plus performants du monde.

Remarque 4. A ce point-là, la capacité de Florence Parly à prendre les Français – et, de façon générale, les auditeurs – pour des imbéciles, tient de la performance. La guerre du Yémen dure en effet depuis 2014 et la ministre des armées l’ignorerait ? Depuis 2014, la France livre des armes à deux des belligérants engagés dans cette guerre et Florence Parly évoque ces ventes d’armes comme le ministre de la culture parlerait des prêts consentis par le musée du Louvre au Louvre d’Abou Dhabi. Elle parle des livraisons de chars Leclerc ou de canons Caesar comme elle parlerait du prêt d’un Léonard de Vinci ou d’un Murillo au Louvre d’Abou Dhabi. Elle veut faire croire quoi, aux Français ? Que ces armes sont exposées à l’admiration des foules, dans un grand musée du désert ?

Remarque 5. Quel rapport y a-t-il entre ces deux déclarations qui, au demeurant, portent sur deux objets différents ? Dans un cas, en effet, il s’agit de la négation d’une évidence : l’usage, par les Saoudiens, des armes françaises contre les Yéménites. Dans l’autre cas, c’est le report, sur l’Iran, d’une situation qui incombe en fait aux États-Unis. Le point commun à ces attitudes est le manque de courage, l’incapacité à assumer ses lâchetés, ses renoncements. 
Dans le cas des ventes d’armes, le gouvernement français a honte de livrer des équipements qui servent à tuer des civils et même des combattants bien moins armés que les Saoudiens et les Émiratis. Dans le cas de l’Iran, il a également honte de n’avoir rien fait pour permettre à ce pays de contourner les sanctions américaines, notamment en mettant en place, avec les autres pays européens, un système de troc qui éviterait les transactions en dollars.

Remarque 6. Quel est l’autre point commun à ces déclarations ? C’est la soumission à la politique étrangère des États-Unis. Dans la guerre du Yémen, la France a pris le parti de Washington, principal soutien de l’Arabie saoudite, contre le Yémen (par ailleurs soutenu par l’Iran). Après quelques effets de manche, quelques déclarations vertueuses (qui ne mangent pas de pain), la France est rentrée dans le rang.

Remarque 7. Aristide Briand eut un trait d’esprit – peut-être apocryphe – sur la politique étrangère de la France : « La France et l’Angleterre doivent être unies comme le cavalier et son cheval ». Puis, après quelques secondes, il ajoutait : « ...l’essentiel est de ne pas être le cheval ! » Pour actualiser ce mot en 2019, il suffit de remplacer Angleterre par États-Unis. Sauf qu’aujourd’hui nos gouvernants ne sentent même plus le mors...





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