Sentant souffler les vents des changements qui parcourent le monde arabe, le roi du Maroc Mohammed VI, dans son premier discours depuis les grandes manifestations du 20 février dernier (5 morts, 128 blessés), a annoncé mercredi 9 mars, son intention de réaliser "une révision constitutionnelle globale". Cette réforme, qui mettrait fin à la monarchie absolue sans instaurer une monarchie parlementaire, prévoit de donner plus de pouvoir au Premier ministre nommé au sein du parti arrivé en tête des élections ; de renforcer l’indépendance de la justice et d’instaurer la régionalisation. Le souverain a annoncé la mise en place d’une commission chargée de proposer la réforme des institutions qui sera soumise à référendum en juin prochain.
Le discours du roi intervient alors que les manifestations et les répressions se succèdent dans le pays, et qu’une nouvelle grande journée de protestation se prépare pour le 20 mars prochain. Il faut dire, par ailleurs, que, dans le but déjouer les forces de l’ordre, des formes très originales de protestation ont fait leur apparition au Maroc.
A nouvelle ère, nouvelles recettes. Loin des procédés de contestation traditionnels de leurs ainés, les nouveaux acteurs du militantisme optent pour des formes plus artistiques et déconcertent les sécuritaires. Ces derniers, eux, n’ont pas changé de méthode : ils répondent toujours pas la violence.
La flash-mob organisée dimanche 6 mars à Rabat par le Mouvement du 20 février introduit une nouvelle forme de protestation, le freeze for freedom, une curiosité que passants et forces de l’ordre voient pour la première fois dans la rue marocaine, ce qui n’a pas manqué de dérouter les autorités. La vidéo de l’événement montre en effet des images peu communes : des jeunes et moins jeunes, immobiles devant le Parlement, dans une mise en scène allégorique des violations des Droits de l’Homme perpétrées par le régime de Mohammed VI.
Le freeze for freedom a été suivi de représentations artistiques, chants et lecture de poèmes, ce à quoi les forces de l’ordre ont répondu par le vol du matériel sono des manifestants et le tabassage de certains d’entre eux. Oussama El Khlifi, un des leaders du Mouvement du 20 février à Rabat, a été le plus visé par les coups de matraque. Il a perdu connaissance une quinzaine de minutes suite à l’acharnement de plusieurs agents de l’ordre contre lui. A Casablanca, une vidéo montre l’ambiance bon enfant de la manifestation où les jeunes ont parodié une célèbre chanson du groupe marocain mythique Nass El Ghiwane pour scander leurs slogans et se sont livré à des sketch humoristiques.
Le jour-même, plus au nord, à Tanger, l’équipe de tournage du réalisateur Hicham Ayouch a été arrêtée, puis embarquée au commissariat central de Tanger pour être relâchée plus de six heures plus tard. Leur délit ? Avoir filmé les manifestations sans autorisation de tournage. Depuis plus d’un an, le ministère de la communication et le Centre Cinématographique Marocain imposent des conditions draconiennes aux équipes de tournage marocaines ou étrangères. Selon Hicham Ayouch, l’octroi de telles autorisation se décide plutôt au ministère de l’Intérieur qui se montre très soucieux d’endiguer le flux des images en provenance du Maroc, à la fois à l’étranger et sur la plan interne. "Lorsque nous sommes sortis du commissariat, nous sommes allés filmer la fin de la manifestation. Là, le secrétaire général de la préfecture M.Ghanouchi (sic) m’a traité de " Vermine, fils de pute, fils de juive" et le vice préfet de police m’a poussé en me disant de dégager, on se demande qui sont les voyous ?", témoigne H. Ayouch.
Dans le Manifeste pour la caméra libre publié par le réalisateur suite à ses déboires avec les forces de l’ordre tangéroises, il s’insurge contre cette loi qui vise à "contrôler l’image dans un pays où le taux d’analphabétisme est très élevé". Ce même dimanche, à Agadir, la militante féministe Buthaina Amina Elmakoudi a été sauvagement agressée par les forces de l’ordre.
Pourtant, partout, les jeunes insistent sur le pacifisme de leur action, comme dans cette vidéo de Tanger, datée du dimanche 6 mars, où des manifestants crient "Silmiyya ! Silmiyya !" alors qu’ils sont en proie à une attaque des forces antiémeutes et qu’un canon à eau tente de les disperser. Le même jour à Khénifra, les manifestants ont rappelé que Hafsa Amahzoune, tante maternelle du roi, faisait régner la terreur et l’arbitraire dans leur ville depuis des années, sans avoir jamais été inquiétée par les mêmes autorités qui s’en prennent à eux. A Marrakech, près de la célèbre place Jemâa El Fna, classée patrimoine immatériel de l’Unesco et qui ensevelit sous ses dédales d’un des commissariats les plus sinistres du pays, les manifestants ont crié "Le peuple exige une nouvelle Constitution", face à une présence intimidante des forces antiémeutes. C’est également la principale revendication du Mouvement du 20 février à El Jadida lors de la manifestation du 6 mars : "le peuple refuse la Constitution de la servilité". A Zagora, aux confins du Sahara, des milliers de femmes et d’hommes ont scandé "le peuple veut la chute du régime". A Beni Mellal, des milliers de personnes ont manifesté contre la corruption, comme à Essaouira où les manifestants ont appelé les Marocains et s’indigner contre l’injustice et l’absence de liberté.
Mohammed VI a adressé un discours à la Nation ce mercredi 9 mars. Les Marocains redoutent un énième effet d’annonce où le souverain, avec sa langue de bois d’usage, tentera de contenir la fronde populaire avec des mesures qui échappent encore une fois aux institutions représentatives du peuple.
Source : http://www.guinguinbali.com
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