Les élections législatives organisées au Maroc le 25 novembre dernier sont les troisièmes depuis que Mohamed VI est devenu roi, et les premières depuis le « printemps arabe » et notamment depuis la nouvelle Constitution adoptée en juillet dernier. Le taux de participation officiel à ces élections est de 45% des inscrits sur les listes électorales. C’est le Parti de la justice et du développement (PJD), regroupant des islamistes dits « modérés », qui sort vainqueur du scrutin. Le PJD est en effet le premier parti en nombre de suffrages recueillis et en nombre de députés à la Chambre des représentants.
L’analyse des résultats de ces élections appelle plusieurs questions et commentaires.
1 - Que penser du taux de participation ?
Ces élections ont été organisées, comme d’habitude, par le ministère de l’intérieur, le même qui avait organisé le référendum constitutionnel du 1er juillet dernier. Le taux de participation officiel avait alors été de plus de 72%, pour un « oui » à plus de 99%. Rétrospectivement, ce score laisse quelque peu songeur. Pour ces élections législatives, le chiffre de 45 % apparaît à première vue paraître plausible, sans que l’on soit totalement rassuré sur sa fiabilité.
Contrairement à ce qu’on lit et entend dans les médias marocains et français, il n’y a pas lieu de crier victoire : même si ce taux est plus élevé que les 37% des dernières législatives de 2007, il reste faible pour l’enjeu du scrutin. Il reste inférieur à celui des législatives de 2002 et surtout à celui de la participation officielle au référendum de juillet. Quasiment 30% de moins qu’il y a 5 mois, c’est beaucoup !
2 - Un échec pour tous les intervenants
Cette faible participation constitue d’abord un échec pour le roi et pour la réforme constitutionnelle qu’il a contrôlée de bout en bout en ne renonçant qu’à très peu des prérogatives qu’il détenait dans la précédente Constitution. En ne participant que faiblement à ces législatives, les Marocains disent, notamment, qu’ils ne croient pas à la nouvelle organisation des institutions.
Il s’agit aussi d’un échec pour les partis qui étaient la locomotive de la coalition du G8 fédérant 8 formations, dont les principaux partis dits « du Palais », à savoir le RNI, conduit par le ministre des finances sortant, et le PAM, créé il y a 3 ans à l’initiative de l’ancien ministre de l’intérieur et proche du roi. Ces deux partis regroupant des personnalités opportunistes et particulièrement dociles vis-à-vis du Palais, arrivent respectivement en troisième et quatrième position.
Dans l’autre coalition, la Koutla, composée des 3 « vieux » partis, l’Istiqlal, premier parti marocain et protagoniste de la lutte pour l’indépendance, et l’UFSP (socialiste) n’arrivent respectivement qu’en deuxième et cinquième position. Ils avaient perdu depuis longtemps quasiment toute crédibilité en raison de leur participation aux deux précédents gouvernements dans lesquels ils ne faisaient qu’appliquer la politique dictée par le roi. Le gouvernement sortant était d’ailleurs conduit par le responsable de l’Istiqlal.
Pour le Mouvement du 20 février et pour les partis qui appelaient au boycott, le taux de participation, faible, mais pas excessivement, ne constitue cependant qu’un demi-succès. Il reste trop élevé pour délégitimer complètement le résultat du scrutin.
Quant au PJD, son succès n’est qu’en trompe l’œil. Certes, il est aujourd’hui le première formation politique du royaume, mais, pour un parti qui normalement mobilise son électorat, un score de 30 % sur 45% de participation est décevant. Dans la mesure où il ne pèse qu’environ 15% des inscrits, sa légitimité est donc toute relative.
3 - Quelles leçons ?
En application de la nouvelle Constitution, le roi doit appeler comme premier ministre un membre du PJD, c’est-à-dire un intégriste « modéré ». Ne disposant pas de la majorité absolue et devant formellement obtenir la confiance de la Chambre des représentants, le PJD va donc devoir trouver des partis alliés pour gouverner. Mais avec qui s’allier ? Avec l’Istiqlal, dont une frange conservatrice dit ne pas être en situation d’incompatibilité avec le PJD ? Cela risquerait de créer de très fortes tensions avec son aile plus progressiste, notamment sur les questions de société, de droit des femmes, de droit à l’avortement, de rapport à l’alcool etc.
Le PJD va-t-il alors pacter avec l’UFSP, parti qui se déclare progressiste, mais qui est aujourd’hui discrédité ? Ou bien va-t-il trouver des alliés parmi les membres du G8, dont le RNI et le PAM, les partis du Palais » ? Par ailleurs, le roi et le Palais vont-ils-t-il s’immiscer dans la formation d’une majorité et d’un gouvernement ? Vont-t-ils imposer des ministres ? Auquel cas, on aurait bien la preuve que toute la réforme constitutionnelle en vue de démocratiser le système politique n’aura été qu’une mascarade.
Dans tous les cas, il ne faut surtout pas de gouvernement d’union nationale avec 5 ou 6 partis ! Cela empêcherait la structuration du champ politique marocain, avec une opposition qui serait en réalité factice. Surtout, cela signerait le maintien du système en vigueur depuis des décennies.
Les partis vont devoir tirer les enseignements de ce scrutin. Leurs dirigeants vont devoir accepter, pour certains, d’entrer dans l’opposition, de faire leur travail d’opposition, de renouveler le personnel, de reconstruire un projet politique cohérent et de ne plus se contenter d’être des courtisans d’une monarchie qui contrôle tout.