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Les manifestants français ont raison : il n’est pas nécessaire de repousser l’âge de départ à la retraite.

mardi 26 octobre 2010   |   Mark Weisbrot
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En descendant dans les rues pour défendre leurs droits à la retraite face aux mesures régressives préparées par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, les Français luttent pour tous nos droits sociaux.

Les manifestations qui secouent la France depuis quelques semaines mettent en lumière certaines différences avec la situation aux Etats-Unis. Les Français ont décidé, outre les grèves de grande envergure et les arrêts de travail qui se multiplient, de descendre par millions dans la rue pour défendre des acquis durement gagnés en matière de retraite. Il faut souligner que les protestations se font de manière pacifique et que seulement un très faible pourcentage de manifestants est responsable de dommages matériels et d’actes de violence, ce que les médias omettent parfois de distinguer. La colère populaire des français est orientée de façon positive, à la différence des Etats-Unis où elle va se traduire par l’élection prochaine de représentants politiques qui feront leur possible pour accentuer les souffrances des travailleurs et de la classe moyenne.

Il était étonnant de voir les français élire Nicolas Sarkozy en 2007. Cet homme avait fait campagne sur l’idée que la France avait besoin d’une plus grande « efficacité » économique. Son modèle était les Etats-Unis. En réalité, il n’aurait pu choisir pire moment pour se tromper. La bulle immobilière était déjà en train d’exploser aux Etats-Unis, causant bientôt non seulement une grande récession outre-Atlantique, mais entraînant également la plupart des économies mondiales dans une grave crise.

Pourtant, Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un fort soutien des grands medias. Ces derniers, enchantés par le modèle américain, ont contribué à promouvoir un grand nombre de mythes qui ont jalonné sa campagne présidentielle. Certains d’entre eux affirmaient que la protection sociale française et les allocations chômage étaient « incompatibles avec une économie globale » et que les employeurs recruteraient davantage si l’on pouvait licencier plus facilement et si on réduisait les impôts des riches.

Sarkozy a récemment abandonné l’une de ses mesures les plus impopulaires : la suppression du bouclier fiscal et l’aménagement de l’impôt sur la solidarité. Mais il y en aura d’autres. Pendant sa campagne, il avait promis de ne pas relever l’âge de départ à la retraite. En le faisant, il a déclenché une indignation générale. Désormais, l’âge minimal de départ en retraite sera de 62 ans au lieu de 60 ans, et de 67 ans au lieu de 65 pour une retraite sans décote (dans le système étatsunien, la plupart des gens opte pour une retraite partielle qui est accessible à partir de 62 ans. Les personnes nées après 1959 ne percevront une retraite à taux plein qu’à partir de 67 ans).

Une nouvelle fois, la plupart des médias pense que les Français sont irréalistes et qu’ils devraient accepter ce programme comme les autres peuples. L’espérance de vie augmente. Nous devons donc travailler plus longtemps argumentent-ils. Ce point de vue est partiel. C’est un peu comme si l’on ne donnait que la moitié d’un résultat de baseball (ou de football, si vous préférez). Il est important de comprendre que la productivité et le PIB auront eux aussi augmenté en même temps et qu’il est donc en effet possible pour les Français de choisir de passer plus de temps à la retraite et de financer ce choix de société.

L’âge de départ à la retraite a été modifié pour la dernière fois en 1983. Depuis lors, le PIB par habitant a augmenté de 45%. L’allongement de l’espérance de vie est très limité en comparaison. Le nombre d’actifs par retraité est passé de 4.4 en 1983 à 3.5 en 2010, mais la croissance du revenu national était largement suffisante pour compenser ces évolutions démographiques, incluant celle de l’espérance de vie.

Allons chercher plus loin : la croissance du revenu national lors des 30 ou 40 prochaines années sera bien suffisante pour payer l’augmentation des coûts des retraites liés aux changements démographiques. Elle laissera même aux futures générations la possibilité de profiter de meilleures conditions de vie comparées à celles des gens aujourd’hui. Il s’agit d’abord d’un choix de société qui concerne la question de savoir comment les gens veulent vivre leur retraite et se doter des moyens de la financer.

Si les Français veulent conserver l’âge de départ à la retraite tel quel, il existe de nombreuses façons de financer ce projet dans le futur sans pour autant augmenter l’âge de départ. Une d’entre elles, proposée par la gauche française (et que Sarkozy dit appuyer au niveau international), serait de taxer les transactions financières. Un impôt sur la spéculation pourrait générer des millions de dollars de revenus – un tel instrument existe au Royaume-Uni-, tandis qu’il découragerait simultanément les transactions spéculatives sur les actifs et ses dérivés. Les syndicats français et les manifestants demandent au gouvernement de prendre en compte ces approches.

Il est donc parfaitement raisonnable de considérer que l’allongement de l’espérance de vie puisse se traduire pour les travailleurs par un temps de retraite plus long. Et c’est ce qu’espère la plupart des citoyens français. Il est possible que tous n’aient pas fait de l’arithmétique mais ils se rendent compte intuitivement qu’étant donné que les richesses du pays augmentent année après année, ils ne devraient pas passer plus de temps de vie à travailler.

L’allongement de l’âge de départ à la retraite est une mesure hautement régressive qui frappera durement les travailleurs. Les actifs les plus pauvres, qui ont une espérance de vie plus courte, sont ceux qui perdront la plus grande proportion d’années de retraite. Les travailleurs qui devront se retirer tôt à cause du chômage ou d’autres difficultés penseront que la baisse de leur pension est une conséquence de ce changement. Et bien sûr, cette baisse n’aura pas d’impact sur les plus riches de la société, qui pour la plupart ne dépendent pas vraiment du système public de retraites, mais de leurs revenus accumulés.

La France a un niveau d’inégalités plus réduit que la plupart des pays de l’OCDE. Elle est, en outre, un des cinq pays – sur les trente que comprend cet organisme – qui a vu ses inégalités baisser entre le milieu des années 80 et le milieu des années 2000. C’est aussi le pays au sein de ce groupe à avoir connu la plus forte réduction des inégalités, bien que celle-ci se soit concentrée entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90.

La France a jusqu’ici résisté à de nombreux changements qui ont provoqué une régression sociale pour les travailleurs et, plus spécifiquement, pour les actifs à faibles revenus des pays riches.

Les autorités européennes (dont la Commission européenne et la Banque centrale européenne) et le Fonds monétaire international sont en train d’accélérer actuellement ces processus de régression dans les économies affaiblies de la zone Euro (tels que la Grèce, l’Espagne ou l’Irlande). Toutes ces institutions, ainsi que de nombreux responsables politiques, essaient d’utiliser comme prétexte les problèmes économiques actuels en Europe pour promouvoir des réformes de droite.

Les sondages montrent que plus de 70% des Français soutiennent les manifestations, en dépit des inconvénients et des perturbations que cela engendre. Les Français en ont assez de leur gouvernement de droite, et c’est en partie ce qui fait naître les protestations. Malgré la faiblesse des récents résultats électoraux du Parti socialiste, la France a une gauche plus forte que dans la plupart des autres pays. Une de ses grandes forces est sa capacité et son habileté à organiser des manifestations de masse, des blocages et des campagnes de sensibilisation. Les Français sont en train de se battre pour l’avenir de l’Europe et donnent un bon exemple aux autres pays. Nous pouvons seulement espérer qu’ici, aux Etats-Unis, alors que des attaques contre les acquis se préparent, nous serons capables de repousser les coupes budgétaires prévues contre un système de sécurité sociale déjà mis à mal.

http://www.cepr.net/index.php/op-eds-&-columns/op-eds-&-columns/french-protesters-have-it-right

 

Traduction : Sarah Testard





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