La cinquième édition du Sommet des Amériques s’est déroulée le 18 et le 19 avril à Port of Spain, capitale du petit Etat anglophone caribéen de Trinité-et-Tobago. L’événement a réuni 34 pays membres de l’Organisation des Etats américains (OEA) [1]. Cuba, exclue de cette dernière depuis 1962, n’était pas représentée.
De cette rencontre - la première entre les chefs d’Etat et de gouvernement des pays d’Amérique latine et des Caraïbes et la nouvelle administration des Etats-Unis - les médias ont surtout retenu les images de cordialité offertes par les présidents Hugo Chávez et Barack Obama. Celles, en particulier, montrant le président vénézuélien offrir à son homologue étasunien le célèbre ouvrage de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, publié en 1971, ont fait le tour du monde. Ce livre, d’inspiration marxiste, qui retrace l’histoire de l’exploitation et de la mise à sac de l’Amérique latine par les puissances européennes depuis le XVème siècle, puis par les Etats-Unis dans la période moderne, a atteint, dans les heures qui ont suivi la diffusion des images, la seconde place des ventes de livres aux Etats-Unis via Amazon !
Au-delà de ces gestes forts et symboliques, des conclusions plus politiques doivent être tirées. Ce Sommet n’a pas été emporté par l’« effet Obama » comme on a pu le lire dans la plupart des journaux. Il a, au contraire, sanctionné un nouveau rapport de forces sur le continent, plus favorable aux gouvernements progressistes.
La non signature du projet de déclaration finale, peu commentée par les médias, illustre cette nouvelle réalité. Le texte, préparé de longue date, a été rejeté car les sept pays membres de l’Alba présents à Port of Spain ont refusé, avec le soutien unanime de l’ensemble des autres pays latino-américains et caraïbes, de cautionner un document qui ne demandait pas la levée de l’embargo imposé par les Etats-Unis à Cuba et la réintégration de cette dernière au sein de l’OEA. Il s’agit bel et bien d’un tournant dans les relations politiques et diplomatiques entre ces pays et les Etats-Unis. Afin de préserver les formes, un compromis a été, in fine, trouvé : le texte a finalement été signé, mais seulement par Patrick Manning, Premier ministre du pays d’accueil et, à ce titre, président du Sommet.
D’autres raisons ont conduit au rejet de ce projet de déclaration. Les pays de l’Alba ont refusé de s’associer à un document faisant la part belle, malgré la crise économique dont les Etats-Unis sont les premiers responsables, au commerce mondial, au libre-échange et au rôle des institutions financières internationales.
De même, ils se sont opposés, notamment par la voix de la Bolivie, à soutenir l’idée que les agro-carburants pouvaient fournir une solution à la crise énergétique mondiale.
Les gouvernements de la gauche latino-américaine sont aujourd’hui en mesure de faire entendre leur voix face aux Etats-Unis. Les décideurs de Washington, handicapés par une crise économique et sociale majeure, et par le bilan désastreux d’une décennie marquée par la présidence de George W. Bush, sont divisés sur l’attitude à adopter face aux pays latino-américains. Si Barack Obama semble conscient de la réduction de ses marges de manœuvres, il doit aussi faire face à une forte pression de l’Establishment. Ainsi, les propos de plusieurs sénateurs républicains qualifiant le président étasunien d’« irresponsable » pour avoir serré la main de l’ « un des dirigeants les plus antiaméricains du monde entier [2] » indiquent que ce dernier n’aura pas les mains totalement libres sur ce dossier.
Les pays de l’Alba sont aussi en pointe dans le refus politique de voir la destinée du monde laissée entre les mains d’un directoire mondial, que celui-ci se nomme G 8 ou G 20. Bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision leur degré d’autonomie dans le contexte de la crise globale - certains étant très liés à l’économie des Etats-Unis -, il ne fait aucun doute qu’ils proposeront des mesures bien différentes de celles promues par le G 20.
C’est pour cette raison qu’ils ont décidé de répondre positivement à l’invitation du Père Miguel d’Escoto, président (nicaraguayen) en exercice de l’Assemblée générale des Nations unies, de participer à la Conférence des Nations unies sur la crise financière mondiale et ses effets sur le développement, qui aura lieu à New-York du 1er au 3 juin 2009.