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La revanche posthume de la quatrième république

Macron, un nouveau Lecanuet ?

lundi 15 mai 2017   |   Philippe Arnaud
Lecture .

Les remarques qui suivent ont déjà été présentées ces derniers jours par Atlantico, Le Point, Mediapart, France Inter, Les Échos, Boulevard Voltaire, etc. Néanmoins, en dehors des professeurs et étudiants d’histoire, et des férus d’histoire politique, elles ne peuvent parler qu’aux sexagénaires (et plus...). Je vais donc essayer de ne pas répéter ou recopier ces médias. Qu’est-ce qui rapproche Emmanuel Macron et Jean Lecanuet ?

1. Leur jeunesse et leur allure : Emmanuel Macron a 39 ans et Jean Lecanuet, pour la présidentielle de 1965, en avait 45. Même si 45 ans, en 2017, est vu comme un âge plus « tendre » qu’en 1965 (compte tenu de l’allongement de l’espérance vie et de l’amélioration de la santé et de la condition physique en 52 ans), il n’empêche que Lecanuet apparaissait comme « jeune » par rapport à de Gaulle (75 ans), à Mitterrand (près de 50 ans, mais une longue carrière derrière lui), à Tixier-Vignancour (58 ans), à Pierre Marcilhacy (55 ans).
Dans l’allure, il s’agit d’hommes minces, élancés, au visage avenant. Cette jeunesse et cette allure pouvaient faire penser au président Kennedy, assassiné deux ans plus tôt, et qui avait été président de son pays à 43 ans.

2. Leur parcours de « bons élèves » : Jean Lecanuet avait été le plus jeune agrégé de philosophie à l’âge de 22 ans, et, plus tard, directeur de cabinets ministériels. Emmanuel Macron a obtenu la mention très bien au bac, a été élève de Sciences-Po, de l’ENA, est passé par la banque Rothschild, a été secrétaire général adjoint de l’Élysée, ministre de l’économie...

3. Le slogan de Lecanuet, en 1965, était : « Un homme neuf... une France en marche ». En 2017, Emmanuel Macron se présente comme un homme « hors système » (donc, en un certain sens, « neuf ») et a comme slogan « La République en marche ». Ce qui est frappant, dans ces slogans, c’est qu’à un demi-siècle d’intervalle, ils reprennent les mêmes mots (la France, la République) avec les mêmes significations. Un peu comme il existait, avant guerre, une organisation de droite appelée la Ligue des contribuables, et qu’il existe aujourd’hui une organisation ultralibérale – influente à droite – appelée Contribuables associés, dont le but est de lutter contre l’impôt, et, au-delà, contre les politiques redistributives et l’intervention de la puissance publique dans l’économie et le social. Les mots et les formes influent sur le fond : quand on utilise les mêmes mots, dans le même ordre et le même esprit, il y a de fortes probabilités qu’on pense la même chose.

4. Leur apparence d’ « hommes neufs » : en 1965, même si Lecanuet avait une longue expérience des cabinets ministériels, cette expérience n’était pas de celles qui vous portent sur le devant de la scène. Même chose pour Emmanuel Macron jusqu’en 2014 : qui se souvient des secrétaires généraux de l’Élysée, en dehors de ceux qui ont eu plus tard une carrière ministérielle, comme, par exemple, Édouard Balladur ou Dominique de Villepin ?

5. En 1965, Jean Lecanuet était président du Mouvement républicain populaire (MRP), (en gros les démocrates-chrétiens. Or, par quels « poids lourds » Emmanuel Macron a-t-il été soutenu ? D’abord par François Bayrou, dirigeant du Centre des démocrates sociaux (CDS) et président du Modem, entre autres. Mais que sont ces partis, sinon des émanations, des avatars du MRP de Jean Lecanuet ? Ensuite par Jean-Louis Borloo, également membre de l’UDI, parti centriste issu, pour une bonne part des centristes et des radicaux de droite, c’est-à-dire de partis proches (ou descendants, ou successeurs) du MRP et des centristes de Jean Lecanuet...

6. Leur appartenance à un courant libéral en économie, pro-européen (ou européiste si l’on veut être péjoratif) et atlantiste, c’est-à-dire à la fois favorable à la politique étrangère des États-Unis et à l’OTAN comme alliance militaire. Donc, corrélativement, hostile à l’intervention de l’État dans l’économie et à une politique extérieure française trop favorable, jadis à l’URSS, en 2017 à la Russie ou aux pays non-alignés (on dirait aujourd’hui les BRICS).

7. Leur inscription dans le courant de la « troisième force » qui, sous la IVe République (1946-1958), a vu se succéder, dans tous les gouvernements, le duopole SFIO et MRP, à la fois atlantiste, pro-américain, pro-européen, anticommuniste et anti-gaulliste. Or c’est le même courant qui voit le Parti socialiste pratiquer la même politique économique que la droite au pouvoir – privatisation, dérèglementation – et étrangère : retour dans le commandement intégré de l’OTAN, soumission à la Commission européenne, soutien aux États-Unis.

C’est le même courant qui voit les ministres ou élus passer alternativement des hautes fonctions de l’État aux hautes fonctions à Bruxelles ou dans le privé et qui servent (ou conseillent) indifféremment la droite ou la « gauche » (entendre le Parti socialiste). Des hommes tels que Jean-Pierre Jouyet, voire Jacques Attali, qui a servi à la fois Nicolas Sarkozy et François Hollande, sont emblématiques de ce courant.

8. Outre Jean Lecanuet, Emmanuel Macron peut être rapproché d’un autre homme, Valéry Giscard d’Estaing, présenté, lui aussi, à son époque comme « jeune » et qui, lui aussi, s’inscrivait dans le même courant anti-gaulliste, contre le rôle de l’Etat dans l’économie et pour une politique étrangère européiste et favorable aux Etats-Unis. Assisterions-nous à une revanche posthume, après 60 ans, de la IVe République sur la Ve République ?

 

Illustration : French Embassy in the U.S.





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