La principale difficulté pour les mouvements sociaux de gauche, c’est de définir une tactique électorale qui leur permettra de gagner à la fois dans le court terme et dans le moyen terme. A première vue, il semble que gagner dans le court terme soit conflictuel avec gagner dans le moyen terme [1].
À court terme, l’objectif premier d’un mouvement de gauche doit être de défendre les besoins urgents qui permettent la survie de tous ceux qu’on désigne comme les 99% de la population, mais plus particulièrement de ceux qui appartiennent aux couches les plus pauvres. Pour y parvenir, un tel mouvement doit prendre le contrôle des institutions de l’État à tous les niveaux. Ce qui implique de participer aux élections.
Dans tous les endroits où les institutions électorales permettent une forme de passation du pouvoir entre une équipe d’élus et une équipe d’opposition, il y a clairement nécessité pour les mouvements de gauche de gagner de telles élections. Remporter ces élections peut, toutefois, mettre à mal la capacité des mouvements de gauche à gagner la bataille de moyen terme sur le choix fondamental du type de système-s qui l’emportera dans la crise structurelle que connaît le système-monde capitaliste actuel. Le moyen d’éviter cette impasse est de ne jamais s’engager dans la politique électorale.
S’engager dans les élections a deux effets négatifs sur les mouvements sociaux de gauche. Elles les détournent de l’organisation de la bataille pour gagner le moyen terme. Et elles font perdre leurs illusions aux militants qui vivent cela comme un bradage parce qu’on leur demande de voter pour des gens qui ne s’engagent nullement à transformer le système-monde.
Y a-t-il un ensemble de tactiques électorales qui permette d’échapper à ces conséquences ? Je pense qu’il peut y en avoir un. La première chose à faire, et dans un sens la plus facile, est de mener une discussion en profondeur au sein du mouvement sur la différence entre la temporalité du court terme et celle du moyen terme, et sur la place de la tactique électorale dans cette bataille.
Le seul fait de débattre de cette question au sein du mouvement social de gauche aiderait à maintenir la cohésion du mouvement et à restaurer la confiance mutuelle. La discussion devrait porter sur les deux plus grands dangers. Dans le court terme, gagner les élections requiert d’obtenir les suffrages de nombreux électeurs qui n’ont pas le moindre intérêt à transformer le monde. Ces électeurs exigeront un prix à payer pour leur soutien.
L’ampleur du prix à payer sera variable. De même que le prix minimal que réussira à imposer le mouvement social de gauche. Chaque bataille électorale est différente.
Le second danger est celui de la déception. Là encore, chaque situation est différente. Mais la meilleure manière de combattre la déception est toujours d’éviter les illusions. Les victoires nationales ou locales doivent bien entendu être saluées. Mais elles ne doivent pas être traitées autrement que comme des victoires provisoires destinées à protéger les couches les plus pauvres.
Je crois qu’il est possible pour les mouvements sociaux de gauche de naviguer avec succès dans les hauts fonds périlleux de la politique électorale. En n’embrassant pas ou en ne refusant pas de manière définitive la politique électorale, ils peuvent s’apercevoir que gagner dans le court terme peut en réalité préparer les militants pour la bataille à moyen terme.
De cette manière, les mouvements sociaux de gauche peuvent en fait faire les deux choses à la fois : gagner les batailles à court terme et à long terme. En effet, ces deux batailles n’étant en rien conflictuelles entre elles, c’est la seule manière pour le mouvement social de gauche de remporter chacune d’elles.
Traduction et notes : Mireille Azzoug
Illustration : Sascha Reiterer
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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.