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LETTRE OUVERTE D´IGNACIO RAMONET AU PRESIDENT JOE BIDEN

« Retirez Cuba de la liste des pays qui soutiennent le terrorisme ! »

lundi 9 septembre 2024   |   Ignacio Ramonet
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Notre cher ami Ignacio RAMONET nous a envoyé cette lettre ouverte dirigée au Président des États-Unis. La Maison des Amériques soutient cette noble initiative et invite les écrivains, artistes, promoteurs culturels, universitaires, activistes et combattants sociaux, membres d’organisations non gouvernementales et personnes sensibles à la souffrance quotidienne du peuple cubain à la signer.
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casadelasamericas2024@gmail.com

Une chaleureuse étreinte de La Havane.

M. Ignacio RAMONET
Professeur, écrivain et journaliste
Paris (France)

M. Joseph R. BIDEN
Président des États-Unis d´Amérique
Washington DC (EEUU)


Monsieur le Président Joe BIDEN,

Votre mandat présidentiel s’achève dans quelques mois. Je vous écris, avec tout le respect qui vous est dû, au nom d’un nombre important de personnes, de mouvements sociaux, de syndicats, d’associations humanitaires et d’organisations non gouvernementales du monde entier qui signent cette lettre avec moi et qui attendent un geste de votre part pour réparer une profonde injustice commise le 12 janvier 2021 par votre prédécesseur, Donald Trump, lorsque, quelques semaines avant de quitter la Maison Blanche, il a décidé sans véritable base juridique - de réinscrire Cuba sur l´infâme liste des États soutenant le terrorisme (liste SSOT, pour son sigle en anglais).

Monsieur le Président, comme vous le savez, la liste SSOT est un mécanisme de politique étrangère conçu par le secrétaire d’État des États-Unis (ministère des Affaires étrangères) pour sanctionner les pays qui « soutiennent de manière répétée des actes de terrorisme international ».

Monsieur le Président, dans un acte de justice et de lucidité politique, l’administration du Président Barack Obama, dont vous étiez membre, avait retiré Cuba de cette liste déshonorante en 2015. Il s’agissait d’un pas très positif vers l’établissement d’une relation plus constructive avec La Havane. Sous l’administration de Barack Obama, alors que vous étiez vice-président des États-Unis, il a en effet été possible d’avancer vers une normalisation des relations diplomatiques entre deux voisins, aux systèmes politiques différents, mais désireux de se comprendre sur la base d’un respect mutuel.

Monsieur le Président, vous n’ignorez pas que Cuba a toujours dénoncé et combattu le terrorisme. Elle ne l’a jamais encouragé ni parrainé. Elle ne l’a jamais pratiqué. Depuis 65 ans, malgré les tensions qui ont pu exister entre les États-Unis et Cuba, personne ne peut pas citer un seul cas d’action violente sur le territoire étatsunien qui ait été parrainé, directement ou indirectement, par La Havane. Pas un seul cas ! En revanche, Cuba a été l’un des pays les plus attaqués par les organisations terroristes. Plus de 3 500 citoyens cubains sont décédés dans des attentats commis par des groupes terroristes financés, armés et entraînés par des organisations violentes basées, pour la plupart, aux États-Unis. En d’autres termes, c’est le monde à l’envers. Et vous le savez.

Monsieur le Président, vous n´ignorez pas non plus qu’en ayant inclus Cuba - injustement - sur la liste SSOT, de nombreuses et douloureuses mesures coercitives unilatérales sont appliquées à ce pays et à sa population innocente. Les conséquences les plus atroces découlent du risque associé à tout type d’aide humanitaire, d’affaires, d’investissements et de commerce impliquant Cuba et, par extension, ses citoyens. Par exemple, les Cubains détenteurs d´une nationalité étrangère qui possèdent les conditions requises pour bénéficier d’une dérogation au système électronique d’autorisation de voyage (ESTA, pour son sigle en anglais) pour se rendre aux États-Unis se sont vu refuser cette dérogation. Les Cubains résidant dans l’Union européenne ont vu leurs comptes bancaires fermés, car leur pays figure sur la liste SSOT et ils deviennent automatiquement des « clients à haut risque ». De nombreux groupes religieux ont vu leurs fonds gelés et les envois d’aide humanitaire vers l’île bloqués. Les personnes qui tentent de transférer de l’argent via PayPal ou Wise à des membres de leur famille à Cuba peuvent voir leurs fonds gelés et leurs comptes bloqués. La plupart des banques refusent de traiter les paiements cubains et ont même gelé des sommes d’argent destinées à des activités humanitaires. La présence de Cuba sur la liste SSOT limite, pour les particuliers, l’ouverture de comptes bancaires à l’étranger, l’utilisation d’instruments de collecte et de paiement internationaux, l’accès à la banque numérique, la conclusion de contrats pour des serveurs et des services en ligne, et mille autres entraves.

Monsieur le Président, l’inclusion de Cuba dans la liste SSOT signifie également que les voyageurs étrangers des pays inclus dans l’ESTA qui souhaitent se rendre à Cuba doivent demander un visa spécial auprès du Consulat général de l’Ambassade des États-Unis dans leur pays d’origine. Cette politique, mise en œuvre par votre administration, a un impact désastreux sur l’industrie touristique cubaine, un secteur d’une importance décisive pour l’économie fragile de l’île.

Monsieur le Président, comme vous le savez, tout cela s’ajoute aux terribles conséquences du blocus économique, commercial et financier cruel et illégal que le gouvernement de votre pays maintient contre Cuba depuis plus de 60 ans - ignorant la position claire de la communauté internationale et les résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations unies - dans le but de créer une situation de pénurie et de mécontentement au sein de la population qui conduira à des protestations contre les autorités cubaines.

Monsieur le Président, un tel dessein agressif, qui a causé tant de douleur et tant d’épreuves à la population civile innocente de Cuba, a atteint des proportions inhumainement punitives au cours de la dernière décennie, comme votre propre épouse Jill Biden a pu le confirmer lors de sa visite sur l’île en octobre 2016. Le peuple cubain n’a pas accès à de nombreux biens et ressources de base : médicaments, nourriture, matériaux de construction, engrais, énergie, machines industrielles, pièces détachées qui ne peuvent être importées parce que Cuba figure sur la liste. La vague actuelle de migration des expatriés cubains vers les États-Unis, d’une ampleur sans précédent, est peut-être l’exemple le plus illustratif de l’impact dévastateur et des souffrances causées par les mesures extrêmes et brutales contre l’économie cubaine résultant à la fois du blocus criminel et de l’inclusion injuste de Cuba sur l´infâme liste SSOT.

Monsieur le Président, vous ignorez également qu’en mai 2024, le Département d’État a pris la décision de retirer Cuba de la liste des « États qui ne coopèrent pas dans la lutte contre le terrorisme ». Une décision correcte et juste. Malgré cela, et de manière contradictoire, incongrue, confuse et injustifiable, votre administration s’obstine à maintenir Cuba sur la liste SSOT, la liste des États soutenant le terrorisme. Comment est-il possible d’affirmer, en même temps, que Cuba coopère dans la lutte globale contre le terrorisme, et d’accuser en même temps La Havane de soutenir ouvertement le terrorisme ? La meilleure façon de clarifier cette contradiction est de retirer immédiatement Cuba de la liste SSOT.
Monsieur le Président, Cuba ne soutient pas le terrorisme. Au contraire, Cuba est un sponsor de la paix. Et vous le savez. Car vous vous souvenez sans doute que, lorsque vous étiez vice-président des États-Unis, en 2016, les accords de paix ont été signés à La Havane entre l’État colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), alors considérées comme une « organisation terroriste », qui ont mis fin à plus d’un demi-siècle de guerre et de massacres, et qui ont même valu au président colombien Juan Manuel Santos le prix Nobel de la paix. Cela n’aurait pas été possible sans la participation diplomatique active du gouvernement cubain.

Monsieur le Président, cette pacification a été si impressionnante que, dès 2018, le gouvernement colombien du président Juan Manuel Santos a demandé à Cuba d’accueillir un processus de pourparlers avec les dirigeants d’une autre organisation armée, l’Armée de libération nationale (ELN), suite à la décision de l’Équateur de refuser d’accueillir ces pourparlers. Comme vous vous en souvenez, ces pourparlers avec l’ELN ont été bloqués à la suite d’un odieux attentat à la voiture piégée à Bogota en 2019, qui a fait de nombreuses victimes dans une école de police et qui a été revendiqué par l’ELN.

Monsieur le Président, à la suite de cette tragédie, le gouvernement d’Iván Duque a demandé l’extradition vers la Colombie des dirigeants de l’ELN qui, protégés par un statut diplomatique spécial, se trouvaient à Cuba pour les négociations de paix. La Havane n’a pas pu accéder à cette demande. En effet, les accords diplomatiques internationaux ne le permettent pas, car l’extradition violerait les protocoles établis en tant que garant des pourparlers de paix entre l’ELN et le gouvernement colombien. La Norvège, autre garant clé des pourparlers de paix, s’est ralliée à la position de La Havane, tout comme la grande majorité des gouvernements. Cependant, ce rejet légitime de La Havane a été le prétexte utilisé par son prédécesseur Donald Trump, en janvier 2021, pour réinscrire Cuba sur l’abominable liste SSOT.
Monsieur le Président, Cuba n’a cessé de promouvoir la paix. La preuve en est qu’en 2022, Gustavo Petro, le nouveau président de la Colombie, a annoncé que la demande d’extradition des dirigeants de l’ELN serait retirée dans le cadre de son initiative de « paix totale ». De son côté, La Havane a accepté d’accueillir et de garantir à nouveau les pourparlers de paix entre Bogota et l’ELN. Comme vous le savez, grâce à la médiation de Cuba, le 9 juin 2023, à La Havane, le président Gustavo Petro et Antonio García, commandant de la guérilla de l’ELN, se sont serré la main lors d’une réunion au cours de laquelle ils se sont mis d’accord, pour la première fois, sur un point de l’ordre du jour convenu et sur un cessez-le-feu bilatéral qui constitue un pas historique vers le silence des armes et la paix définitive en Colombie. Ce cessez-le-feu a d’ailleurs été renouvelé à La Havane six mois plus tard, après des efforts cruciaux du gouvernement cubain. Quelques mois plus tard, Cuba a accepté une nouvelle proposition du gouvernement colombien d’être le garant et le lieu alternatif d’un autre processus de paix, cette fois avec le groupe rebelle armé Segunda Marquetalia.

Monsieur le Président, Cuba n’est pas seulement un promoteur de la paix, mais aussi, comme aucun autre pays au monde, un promoteur de la santé. Au cours des vingt dernières années, La Havane a envoyé plus de 600 000 professionnels et techniciens de la santé dans quelque 165 pays. Cela a permis de soulager les souffrances de nombreux malades et de sauver la vie de millions de personnes dans le monde.

Monsieur le Président, Cuba n’est pas seulement un promoteur de la paix et de la santé, mais, comme aucun autre pays, il promeut également l’éducation, comme l’a largement reconnu l’UNESCO elle-même. Des milliers d’enseignants et de professeurs cubains sont intervenus dans des dizaines de pays pour lutter contre l’analphabétisme et encourager la scolarisation de millions de filles et de garçons. C’est tout le contraire de la « promotion du terrorisme » …

Monsieur le Président, en 2021, peu après votre arrivée à la Maison-Blanche, plusieurs hauts fonctionnaires de votre administration ont promis de réexaminer l’inscription de Cuba sur la liste SSOT. En octobre 2022, votre propre secrétaire d’État, Anthony Blinken, a réitéré cette promesse. En 2023, quarante-six membres du Congrès, dont de nombreux démocrates, vous ont envoyé une lettre vous demandant de tenir cette promesse. En juin 2024, lors de la 56e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, pas moins de 123 pays ont exigé la même chose de votre gouvernement dans une déclaration commune. Mais malgré ces promesses et ces demandes importantes, vous ne faites toujours rien pour mettre fin à cette injustice scandaleuse.

Monsieur le Président, cette situation doit cesser. Vous le savez. Il n’y a pas un seul argument valable et raisonnable pour accuser Cuba et maintenir sa population sous une punition collective illégale et inhumaine. Vous avez le pouvoir, avant de quitter la Maison Blanche, de corriger cette cruelle absurdité et de retirer Cuba de la liste SSOT. Faites-le maintenant !

Dans l’espoir que vous saurez, Monsieur le Président, vous montrer à la hauteur de ce moment historique et répondre à cette demande, je vous fais respectueusement mes adieux,

M. Ignacio RAMONET


Illustration : Editions Galilée / Wikimedia CC





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