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Sanctions contre le Venezuela : les mensonges de l’administration Obama

samedi 14 mars 2015   |   Glenn Greenwald
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La Maison-Blanche a annoncé le lundi 9 mars 2015 qu’elle allait imposer de nouvelles sanctions contre des responsables politiques vénézuéliens [1], en se prétendant « extrêmement préoccupée » par les actions du gouvernement bolivarien visant à intensifier l’intimidation de ses opposants politiques. Le président Obama a aussi déclaré que le Venezuela constituait « une extraordinaire menace pour la sécurité nationale » des Etats-Unis – déclaration nécessaire pour justifier légalement les sanctions.

Aujourd’hui, l’un des plus proches alliés de l’administration Obama, l’Arabie saoudite, a condamné l’un des rares militants indépendants des droits de l’homme, Mohammed al-Bajad, à dix ans de prison sous l’accusation de « terrorisme ». C’est là un acte caractéristique de la répression systématique pratiquée dans ce pays. Un pays où se multiplient les décapitations publiques barbares à un rythme battant tous les records, ainsi que les condamnations à la flagellation et à de lourdes peines de prison à l’encontre des bloggeurs hostiles au régime. Un pays où l’on exécute ceux qui professent des points de vue religieux minoritaires, et où les lois anti-terroristes sont utilisées pour incarcérer les auteurs de critiques du régime, même les plus modérées.

Absolument personne ne s’attend à voir l’« extrêmement préoccupé » président Obama imposer des sanctions contre les Saoudiens – ni contre aucun de ses autres fidèles alliés, de l’Egypte aux Émirats arabes unis, où la répression est sans commune mesure avec celle qui a cours au Venezuela. Ceux qui prennent pour argent comptant les dires des Etats-Unis lorsqu’ils prétendent imposer des sanctions à l’encontre du Venezuela devraient réfléchir un tant soit peu aux raisons de cette disparité de traitement.

Il est tellement évident que rien n’est plus hypocrite que cette prétendue inquiétude des Etats-Unis que cela ne mérite même pas discussion. Le soutien aux régimes les plus répressifs a été de tout temps une constante de la politique étrangère américaine (et britannique). La défense des « droits de l’homme » est l’arme cyniquement utilisée par les Etats-Unis et leurs relais médiatiques pour diaboliser les régimes qui refusent leurs diktats, alors que d’autres gouvernements, autrement plus tyranniques, mais complaisants à leur égard, sont régulièrement épargnés, voire encensés, comme c’est le cas pour ceux de Riyad et du Caire.

C’est la même tactique qui conduit les néoconservateurs à faire semblant de s’intéresser au sort des femmes afghanes ou à la situation dramatique des homosexuels iraniens lorsque cela leur permet d’alimenter une indignation belliqueuse contre les régimes de ces pays.

Toute personne rationnelle vivant aux Etats-Unis qui a vu les plus hautes autorités de Washington se rendre au grand complet, et toutes affaires cessantes, en pèlerinage à Riyad pour rendre hommage aux monarques saoudiens – Obama a annulé une visite en l’Inde à cette fin – ou qui voit les tombereaux d’armes et d’argent affluer au Caire, ne pourra que s’esclaffer à l’annonce de sanctions visant à punir la répression de l’opposition politique au Venezuela. Hors des Etats-Unis et de l’Europe, telle est la réaction quasi unanime. Mais, pour l’administration Obama, cette rhétorique sert avant tout des objectifs de politique intérieure.

Qui peut croire une seconde que, pour reprendre les termes du décret présidentiel, le Venezuela représente « une extraordinaire menace pour la sécurité nationale » des Etats-Unis ? Face à des mensonges aussi éhontés, la question est de savoir ce que font actuellement les Etats-Unis au Venezuela. Car ceux qui exigent des sanctions contre le gouvernement démocratiquement élu de Caracas sont aussi ceux qui tournent en dérision les dirigeants vénézuéliens lorsqu’ils affirment que Washington s’emploie à saper leur gouvernement.

Le journal le plus offensif en la matière est The New York Times, qui, en avril 2002, avait explicitement célébré la tentative de coup d’Etat contre Hugo Chavez comme une victoire de la démocratie. C’est le même quotidien qui, aujourd’hui, rejette régulièrement l’idée que les Etats-Unis pourraient faire quelque chose d’aussi répréhensible que de déstabiliser le gouvernement vénézuélien. Regardez la courte vidéo du lundi 9 mars dans laquelle le toujours excellent Matt Lee d’Associated Press interroge une porte-parole du Département d’Etat après qu’elle ait déclaré qu’il était totalement « ridicule » de penser que les Etats-Unis puissent jamais faire une chose pareille [2]. La question qu’il lui pose est la suivante : « Si la répression des droits politiques n’est pas la véritable raison pour laquelle les Etats-Unis imposent de nouvelles sanctions au Venezuela – loin de moi cette pensée –, alors quelle est-elle ? »

Mark Weisbrot, président de l’organisation Just Foreign Policy [3], est l’un des commentateurs les plus avisés de la politique américaine en Amérique latine, et il faut lire l’excellent article qu’il a rédigé à ce sujet pour la chaîne de télévision Al Jazeera [4]. En substance, il explique que le Venezuela est l’un des rares pays détenteurs d’importantes réserves de pétrole qui ne se soumette pas aux diktats américains. Pour Washington, cela ne saurait être toléré. Au-delà, la popularité de Chavez et la relative amélioration du sort des pauvres due à ses politiques de redistribution tétanise les institutions libérales par son exemplarité. Après que l’économie cubaine, étouffée par des décennies de sanctions américaines, a été présentée par Washington comme un échec du communisme, il est crucial de mettre à mal l’économie vénézuélienne pour occulter ses succès.

Comme le fait remarquer Mark Weisbrot, tous les pays de l’hémisphère, à l’exception des Etats-Unis et du Canada, sont unis pour s’opposer aux sanctions contre le Venezuela. La CELAC (Communauté des États latino-américains et caribéens) a publié une déclaration en février dernier en réponse à la précédente vague de sanctions américaines contre le Venezuela. Elle « réitère son total rejet de l’application de mesures coercitives unilatérales qui sont contraires au droit international ». Par ailleurs, le secrétaire général [5] de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) vient de déclarer que son organisation « condamne toute tentative d’interférence, qu’elle soit intérieure ou extérieure visant à déstabiliser le processus démocratique au Venezuela ». Mark Weisbrot compare le récent décret du président Obama à celui, presque identique, du président Reagan en 1985, dans lequel il affirmait que « le Nicaragua constituait une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis ». Et il note que « l’administration Obama est encore plus isolée aujourd’hui en Amérique latine que ne l’était celle de George W. Bush  ».

Si Obama et ceux qui le soutiennent veulent punir ou renverser le gouvernement du Venezuela parce qu’il refuse de se plier aux volontés des Etats-Unis, ils devraient au moins dire honnêtement quelle est la véritable nature de leurs intentions. Prétendre que cette politique a un quelconque rapport avec l’indignation des Etats-Unis face à la répression des opposants politiques – quand leurs alliés les plus proches sont des champions internationaux en la matière – est une trop grossière insulte à l’intelligence pour être prise au sérieux.

 

Cet article a été publié le 11 mars 2015 par le site d’information The Intercept sous le titre « Maybe Obama’s Sanctions on Venezuela are Not Really About His “Deep Concern” Over Suppression of Political Rights ».

Traduction : Mireille Azzoug
Edition : Mémoire des luttes




[1Le président Barack Obama a décidé de classer le Venezuela comme une menace pour la sécurité nationale des États-Unis et d’imposer des sanctions à sept membres de l’administration Maduro et du pouvoir judiciaire vénézuélien, accusés de violation des droits de l’homme. Parmi les sept personnes visées par les sanctions américaines figurent le chef des services de renseignement, Gustavo Gonzalez, le directeur de la police nationale, Manuel Perez, et un ancien commandant de la Garde nationale, Justo Noguero, qui dirige aujourd’hui la compagnie minière publique CVG.

[5Ernesto Samper, ancien président de la Colombie.



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