Soixante ans après la grande époque des occupations massives de terres, le Syndicat andalou d’ouvriers agricoles (Sindicato de Obreros del Campo - SOC - Sindicato andaluz de trabajadores - SAT), vient de renouer avec cette tradition. A 11 heures du matin, le 4 mars dernier, 500 journaliers agricoles et membres du syndicat ont envahi la Finca Somonte dans les riches terres de la plaine du Guadalquivir près de Palma del Rio dans la province de Cordoba. Ce domaine de 400 hectares, dont 40 irriguées, fait partie des quelque 20.000 hectares que la Junta, le gouvernement andalou (socialiste), avait décidé de vendre aux enchères. La vente, ou privatisation, du domaine de Somonte était justement prévue pour le 5 mars.
Qui, dans l’Espagne d’aujourd’hui, frappée par une crise économique sans précédent et par un chômage touchant environ 25% de la population et 50% des jeunes [1], pourrait en avoir les moyens nécessaires ? Une famille richissime, une banque, une institution financière… ? En tout cas pas les habitants de Palma del Rio, village qui compte 1.700 chômeurs…
L’occupation dure déjà depuis deux semaines. Trente personnes des villages des alentours se sont installées sur le lieu et ont commencé à travailler la terre, à semer salades, tomates, pommes de terre, oignons et autres légumes, d’abord pour l’autoconsommation. Elles sont aidées tous les jours par des dizaines d’autres venus de toute l’Andalousie pour appuyer l’occupation. Dont deux travailleurs vétérans qui connaissent fort bien cette ferme, y ayant travaillé de nombreuses années. Ils ont apporté leur savoir-faire en précisant que ces terres sont très riches, mais que jusqu’à présent personne ne les a jamais vraiment mises en valeur. Un autre voisin de 83 ans a apporté des outils manuels qui ne sont plus utilisés dans l’agriculture intensive d’aujourd’hui. D’autres ont amené des semences, des plants, des poules…
Parallèlement, il a fallu aménager les habitations afin de pouvoir loger tous les occupants. Un électricien de Fuente Carreteros et un plombier de Palma del Rio se sont proposés comme volontaires. Toutes les décisions sont prises dans des assemblées générales quotidiennes et des commissions ont été établies pour s’occuper de la logistique, des relations avec les médias, du nettoyage, des repas, du travail horticole…
Cette ferme se trouve à 50 km de Marinaleda, grand bastion du SOC, où la municipalité a créé des conserveries et des ateliers qui pourraient transformer les produits de Somonte. Selon le SOC, la partie irrigable pourrait, dans une première étape, fournir du travail à au moins 50 personnes. La ferme pourrait à terme faire vivre beaucoup plus de gens, grâce à la « culture sociale » de tout le domaine. Les occupants disent qu’ils ne veulent pas créer une coopérative de salariés, mais une « coopérative de résistance » assurant la survie et un lieu de vie pour de nombreuses personnes frappées par la crise.
Au niveau régional et national, le soutien dépasse les milieux syndicaux, venant également de mouvements écologiques, d’associations soutenant l’agriculture biologique, de groupes urbains…
Le jeudi 8 mars, une délégation s’est rendue au Département de l’Agriculture à Séville (capitale de la région autonome d’Andalousie), afin de demander que la vente du domaine soit annulée et qu’elle soit mise à la disposition d’une coopérative de travailleurs. Dehors, une manifestation de plus de mille membres du SOC les appuyait. Une nouvelle réunion a été fixée pour mardi le 13 mars.
C’est en 1978 que le SOC, deux ans après sa légalisation suite à la mort du dictateur Franco, a lancé les premières occupations de terres depuis la guerre civile (1936-1939). Elles ont surtout visé des latifundia appartenant à des familles aristocratiques, comme les 17.000 hectares du Duc del Infantado occupés par les journaliers de Marinaleda en 1985. Le SOC est sans doute le seul syndicat européen à avoir officiellement réclamé une réforme agraire. En partie, il a eu gain de cause et a pu créer des coopératives sur des terres occupées. A l’époque, la répression avait été très forte et des centaines de journaliers se sont trouvés inculpés aux tribunaux. Nous [2] avions lancé alors une campagne de solidarité internationale, en organisant des tournées d’information dans toute l’Europe et en envoyant des délégations d’observateurs aux procès.
Cette fois-ci, même si la Guardia Civil suit de près l’occupation de la Finca Somonte, les autorités n’ont pas encore agi contre le SOC. C’est vrai que des élections régionales cruciales auront lieu le 25 mars prochain où le Parti socialiste pourrait bien perdre le pouvoir en Andalousie pour la première fois depuis la fin de la dictature (1978). Il est donc peu probable que la Junta lance les gardes civils avant cette date… d’autant plus que, face à la crise, ce genre d’action est très populaire et que la colère de la population contre les gouvernants est grande. Mais qu’adviendra-t-il après le 25 mars… ??
Le SOC a, en tout cas, lancé un appel à la solidarité locale, nationale et internationale. A nous de nous tenir prêts ! Une présence européenne sur place serait une grande aide et rendrait moins probable une intervention policière pour évacuer la ferme. Un compte bancaire sera bientôt ouvert pour une caisse de solidarité financière. Dans l’immédiat, il serait très utile d’envoyer des lettres de soutien à l’adresse électronique indiquée ci-dessous.
Même si le gouvernement andalou a déjà pu vendre plus de la moitié des 20.000 hectares dont il était le propriétaire, il reste encore environ 8.000 hectares à occuper…
« Notre philosophie peut se résumer de la façon suivante : la terre, comme l’air et l’eau, est un don de la nature que personne ne peut s’approprier pour son profit individuel ou pour son enrichissement privé. La terre est un bien public, propriété du peuple, qui doit être à l’usage et à la jouissance de ceux qui y vivent et qui la travaillent. Si alors la terre n’est à personne, la propriété de la terre est un vol. C’est pour cela que nous demandons l’expropriation sans indemnisation… » [3]
« Cette action devrait marquer le début de la révolution agraire qui, en cette période de chômage, de pénurie et d’escroquerie néolibérale, nous manque tant. Aujourd’hui toute alternative pour survivre avec dignité doit passer par la lutte pour la terre, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire… » [4].
Lettres de soutien à adresser à : www.sindicatoandaluz.org et somontepalpueblo@gmail.com