Wirikuta, site sacré wixárica enclavé dans le désert de Chihuahua au nord du Mexique, dans l’État de San Luís Potosí, bien qu’appelé « désert », n’en est en réalité pas un : il s’agit d’une terre d’une richesse biologique et culturelle incommensurable. L’importance écologique de Wirikuta est évidente, non moins que son importance culturelle, intimement liée à celle-ci. En tant qu’il est l’un des sites sacrés les plus importants pour les Wixáricas, la conservation de Wirikuta est fondamenale pour la préservation de cette culture millénaire, qui est demeurée plus ou moins intacte à travers le temps et qui représente une richesse culturelle sans équivalent dans l’histoire nationale. Le monde tel que les Wixáricas le conçoivent n’est pas donné : il se matérialise à travers l’invention collective ; c’est un « rêve » de tous. Le peuple wixárica (ou huichol, comme on le nomme communément), est caractérisé par sa haute valeur communautaire : pour celui-ci, la communauté est un des piliers fondamentaux ; c’est la communauté qui prime, plus importante que l’individu.
C’est pourquoi, en suivant « son chemin », le Tayeiyeri, dont l’objectif est de maintenir l’équilibre de l’univers, ne peut se réaliser que dans la communauté. Dans cette vision, Wirikuta constitue l’un des lieux sacrés les plus importants pour les Wixáricas. Wirikuta est le lieu où l’on « rêve le monde pour qu’il existe » ; c’est le lieu où naît le soleil et où Tamatsi’Eka Teiwari, dieu du Vent, guidé par Tatewari le grand-père Feu, a décidé de construire l’univers à partir d’un rêve révélateur. C’est en raison de ce mythe génésiaque que les Wixáricas réalisent un des pélerinages les plus importants et, à travers l’auto-sacrifice, débutent leur chemin jusqu’à la connaissance universelle en direction de Wirikuta pour se convertir en sages créateurs du monde, en hikuris. Le hikuri ou peyote, quoiqu’il puisse se trouver en petites quantités en d’autres endroits, se trouve plus communément à Wirikuta. Selon le point de vue wixárica, parce que c’est là que le cerf a décidé de se convertir en hikuri. Pour cela, outre l’importante diversité biologique qui existe à Wirikuta, l’existence du hikuri lui confère une valeur additionnelle, en tant qu’il est une part fondamentale de la nourriture de l’une des cultures ancestrales vivantes les plus importantes du Mexique.
Le projet minier à Wirikuta et la lutte d’un peuple pour revendiquer ses droits naturels
Wirikuta était demeuré plus ou moins dans l’anonymat de la conscience collective mexicaine. Avant 2009, lorsque surgit le conflit dû aux concessions minières octroyées par le gouvernement fédéral à l’entreprise canadienne First Majestic Silver, beaucoup de Mexicains ignoraient l’existence de ce lieu magique, en dépit de son importance historique, culturelle et écologique. En dépit, aussi, de ce que, en 1994 déjà, les voix du peuple wixárica s’étaient élevées contre un projet autoroutier qui traverserait Wirikuta, avec les conséquences environnementales que cela impliquerait. Cette année-là, grâce à la mobilisation de groupes wixáricas et d’organisations civiles, ce méga-projet put être interrompu, conduisant le gouvernement de San Luís Potosí à reconnaître l’importance culturelle de ce lieu, à travers un décret émis le 19 septembre 1994 donnant à Wirikuta le caractère de « site de patrimoine historique et culturel, zone sujette à conservation écologique ». En 1999, l’Unesco reconnaît l’importance de Wirikuta, l’intégrant à une liste de quatorze sites naturels sacrés du monde. En 2001, le gouvernement de l’État de San Luís Potosí lui octroie le statut légal de « site sacré naturel », d’une superficie de 140 211,85 hectares, qui inclut les communes de Villa de la Paz , Charcas, Villa de Ramos, Catorce, Salinas de Hidalgo, Villa de Guadalupe et Matehuala.
Le conflit à Wirikuta fait surface en 2009, après la décision du gouvernement fédéral d’octroyer trente-cinq concessions minières à l’entreprise First Majestic Silver Corp pour l’extraction d’argent en plein territoire de Wirikuta, ce qui représente une superficie approximative de 6326,58 hectares du territoire sacré. L’entreprise canadienne prétendait extraire autour de 22 millions d’onces d’argent [soient environ 623 tonnes, ndt] au moyen de la méthode d’exploitation souterraine d’extraction-remplissage (tumbe relleno) et la méthode de flottaison qui recourt à des agents moussants et autres substances toxiques dont le déversement provoquera un grave et irréversible dégât environnemental à Wirikuta, mettant en danger la préservation de ce sanctuaire, en dépit de son statut de réserve naturelle et site sacré. Face à cela, le peuple wixárica hausse la voix pour la défense d’un de ses plus importants sites sacrés, rejoints par diverses organisations civiles et écologistes, des activistes sociaux, ainsi qu’une grande quantité de figures publiques, parmi lesquels des acteurs, chanteurs, intellectuels, etc. C’est ainsi qu’en 2010 a émergé le Front de défense de Wirikuta comme interlocuteur reconnu par les Wixáricas pour se charger de la défense de Wirikuta et les représenter devant les organismes publics et privés parties prenantes du conflit, ainsi que pour élaborer des stratégies de lutte pacifique pour la défense dudit lieu sacré. Le Front, guidé par le conseil wixárica, commence à réaliser diverses actions, depuis des procès pour que soit reconnu le caractère du site sacré naturel octroyé par le gouvernement de San Luis Potosí et son importance écologique et culturelle, jusqu’à l’organisation du Wirikuta Fest en 2012, concert qui rassemble une grande foule et auquel participent Molotov, Café Tacuba, Caifanes, Sonidero Mestizo, Calle 13 [les premiers sont mexicains, le dernier porto-ricain, et tous – à l’exception de Sonidero Mestizo – jouissent d’une popularité immense sur tout le continent latino-américain, ndt], parmi d’autres artistes reconnus et dont l’objectif n’était pas seulement d’attirer l’attention sur le conflit à Wirikuta, mais de lever des fonds pour réaliser des projets de développement alternatif dans la région.
Le conflit à Wirikuta est, quoi qu’il en soit, plus complexe qu’on le croit, puisque s’y rencontrent des intérêts de divers secteurs sociaux et économiques. D’un côté, se trouvent les entreprises minières, propriétaires de près de 72 concessions qui embrassent environ 70 % de Wirikuta. Ce sont les méga-projets miniers à Wirikuta et dans la Sierra de Catorce qui, bien qu’ils aient été suspendus momentanément grâce aux multiples manifestations, n’ont pas été annulés et peuvent être réactivés à n’importe quel moment : le projet La Luz (« La lumière »), de l’entreprise canadienne First Majestic Silver et sa filiale Real Bonanza, S.A. de C.V. ; le projet Universo (« Univers »), conduit par la compagnie canadienne Revolution Resources Corp. ; le projet La Maroma (« La grosse corde »), du groupe FRISCO, appartenant à Carlos Slim [deuxième fortune mondiale, d’après le classement Forbes 2015, ndla] ; le projet El General (« Le général »), de l’entreprsie Quality Minerals, S.A. de C.V. et US Antimony de México, S.A. de C.V. De l’autre côté, se trouvent le peuple wixárica, soutenu par diverses organisations sociales et écologiques, qui s’oppose à l’exploitation minière de Wirikuta. Au sein d’une cosmovision d’harmonie avec l’univers, les peuples wixáricas plaident en faveur de la préservation écologique et culturelle de la région.
Au cœur du conflit, se trouvent les habitants de Wirikuta, en majorité des paysans, commerçants et vieux mineurs qui doivent affronter des conditions de pauvreté dues à des conditions environnementales de la région apparemment adverses et qui, sans le savoir, ont été provoquées principalement par l’industrie minière... que beaucoup d’entre eux soutiennent et qui durant des siècles a mis à sac et surexploité les ressources naturelles de Wirikuta et la Sierra de Catorce. Le gouvernement mexicain, depuis les années 1980 a réalisé une série de réformes et d’ajustements structurels afin d’abandonner l’État-providence et s’ouvrir pleinement à la politique néolibérale de marché libre, obligé en partie par la proximité géographique des États-Unis, la puissance capitaliste par excellence. Avec le désir d’obtenir l’approbation de ses associés du nord et les pays de l’OCDE, les gouvernements mexicains ont appliqué divers accords et « réformes structurelles » de type libéral accablant qui a mis en danger l’intégrité de la richesse écologique et culturelle du pays. Les réformes de la loi minière, la réforme énergétique, la loi sur l’investissement étranger, la réforme du travail ou les réformes constitutionnelles, en particulier celle de l’article 27 qui donnait à la nation le pouvoir absolu sur les ressources naturelles sur son territoire et qui désormais établit la possibilité de donner des concessions de libre exploitation des ressources stratégiques (minerais, hydrocarbures, ressources nucléaires) à des entreprises privées étrangères, en leur offrant en outre la protection et des facilités fiscales, économiques et légales pour son travail d’exploitation.
Cette nouvelle politique économique a favorisé l’arrivée de monopoles étrangers, la destruction environnementale et le déplacement des communautés autochtones de leurs territoires en faveur d’un « développement national » qui est de toute évidence questionnable. L’industrie minière est apparue avec plus de force comme une espèce de nouveau colonialisme, puisque la majorité des concessions ont été attribuées à des capitaux étrangers, qui jouissent de privilèges immenses jusqu’au ridicule, dans un pays qui est supposément une « république indépendante ». Réductions d’impôts, acquittement de droits d’exploitation dérisoires et soutien légal de la part du gouvernement, ainsi que des investissements gouvernementaux en matière d’infrastructure : voilà quelques-uns des facteurs grâce auxquels ces industries ont multiplié leurs recettes de façon exubérante sans que des bénéfices réels pour le pays soient perçus, au-delà de l’emploi temporaire et mal payé des Mexicains qui travaillent dans les mines. Le Mexique est l’un des pays aux politiques et législations les plus favorables à l’industrie minière étrangère, caractérisées par une complaisance peu commune pour un pays indépendant. L’illustre le fait que, bien que dans d’autres pays latino-américains et même africains, les concessions sont inférieures à 25 ans, au Mexique, les concessions sont de 50 ans, assorties d’une prorogation de 50 ans supplémentaires, avec un minimum de conditions, selon la loi minière qui a cours. Celle-ci établit également le principe de l’”afirmativa ficta”, qui n’existe dans aucune autre législation au monde : si, au terme prévu, il n’y a pas de démarche du gouvernement relative à la concession sollicitée, celle-ci est autorisée de façon automatique. Une autre caractéristique de la loi minière est qu’il n’existe pratiquement pas de nécessité de disposer d’une étude d’impact environnemental préalable à la demande de concession, celle-ci pouvant être octroyée et le rapport présenté alors qu’elle est déjà en fonctionnement. En outre, les permis différentiés d’exploration et d’exploitation des minéraux ne sont plus nécessaires.
Les stimulations fiscales constituent également une part fondamentale de l’industrie minière. Au Mexique, à la différence des autres pays, les entreprises minières n’acquittent pas au Trésor public d’impôt sur la valeur du volume des minerais extraits. En théorie, ces derniers constituent le patrimoine de la nation. En lieu et place, les entreprises ne paient qu’une infirme quantité de taxes relatives à la superficie des concessions possédées. Quantité qui, évidemment, ne correspond aucunement à la valeur réelle de la terre et des ressources qu’on y trouve et qui tient moins encore compte des coûts écologiques, sociaux, culturels et de santé publique liés à l’activité extractive hautement polluante.
Avec une politique économique relevant quasiment de la reddition à l’industrie minière, ce secteur a augmenté significativement sa puissance et ses gains économiques, sans que cela ne se traduise par une amélioration visible dans le bien-être national ni, moins encore, par un gain économique, étant donné que les droits d’exploitation acquittés par les entreprises minières représentent moins d’ 1% des recettes nationales, soit 0,089% du PIB national, d’après les chiffres de 2012 du Secrétariat au Trésor et au crédit publics. À l’heure actuelle, un peu plus de 30% du territoire national se trouve sous concessions d’exploitations minières, principalement dans le domaine de l’extraction de l’or, de l’argent, du cuivre et du charbon, entre autres minéraux, exportés vers les pays d’origine des transnationales et de leurs partenaires commerciaux. Autrement dit, actuellement, l’extraction des minerais ne diffère pas fondamentalement de l’époque coloniale ; il s’agit d’un type de colonialisme légal, patronné par le gouvernement mexicain lui-même. À ce jour, il y a une absence absolue de mécanismes participatifs qui permettent d’informer et consulter les peuples autochtones et les populations en général quant à la viabilité des concessions minières sur leurs territoires. Aucun cas n’est fait des voix qui font valoir leur droit sur la terre et la préservation de l’environnement et sa culture.
Devant un tel panorama, le peuple wixárica, tout comme de nombreuses autres ethnies et communautés dans le reste du pays, n’a pas été pris en compte. Ses droits inaliénables sur la terre et sur son patrimoine ont été violés, lui retirant toute possibilité de répondre à la force rapace des entreprises minières. Le mouvement créé à partir de la lutte pour la préservation de Wirikuta a favorisé la recherche d’alternatives de vie pour les communautés qui vivent là, lesquelles vont au-delà de l’industrie minière. C’est ainsi que différents acteurs individuels et des organisations se sont donné pour tâche de réaliser des projets communautaires pour redynamiser l’économie de la région et élever la qualité de vie de ses habitants, en réponse aux arguments de l’industrie minière, qui se considère comme l’unique possibilité viable de développement à Wirikuta. Sans arme, sans violence, dans des conditions désavantageuses par rapport au pouvoir économique inévitable des compagnies minières et à celui des responsables politiques qui les soutiennent, le mouvement pour la défense de Wirikuta a obtenu ce que peu de mouvements ont obtenu : faire échec, par le pouvoir des arguments, aux maîtres du capital ; les faire asseoir à la table des négociations et obtenir que soient suspendues – quoique non annulées – les concessions minières de Wirikuta. Une des stratégies du mouvement a été la diffusion d’information sur les conséquences de l’industrie minière et les possibles effets sur l’économie, l’environnement, la santé publique dans la région.
De cette façon, peu à peu, a été obtenu le soutien de ceux qui, au début, applaudissaient l’arrivée des mines à Wirikuta. Bien que la diffusion ait été importante, l’action l’a été davantage encore. De la part de quelques organisations, telles que OFRENDA Restableciendo el Equilibrio, Colectivo Patas Verdes, Mazacalli y Organi-k A.C., entre autres, des projets sociaux communautaires ont été mis en place, ainsi que des ateliers de formation et des volontariats pour la bioconstruction et la diffusion de méthodes écologiques de production pour les potagers, l’usage mesuré des ressources naturelles et de l’eau, ainsi que la promotion d’alternatives permaculturelles. Tout ceci ayant pour fin de démontrer qu’une autre forme de vie plus saine, digne et en harmonie avec l’environnement est possible, sans que cela compromette le développement économique de la région. De son côté, la lutte légale pour le respect et la préservation de Wirikuta a eu pour bastion la revendication des droits naturels du peuple wixárica sur son site sacré et avec ceci, la revendication de la valeur réelle de la nature supérieure à sa valeur monétaire en tant que moyen de subsistance.
Le cas de Wirikuta est le reflet d’un problème écologique global et représente un exemple de la crise du système économique actuel. Il incarne aussi la capacité de réaction des ethnies et mouvements locaux pour leur survie face à un capitalisme prédateur et rapace qui a démontré son inefficacité à résoudre le paradoxe de la pauvreté et de l’inégalité.
Cet article a été proposé et traduit par Mikael Faujour
Edition : Mémoire des luttes