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Un scrutin serré mais incontestable

jeudi 18 avril 2013   |   Bernard Cassen
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Le dimanche 14 avril vers 23 h, le Conseil national électoral (CNE) du Venezuela – dont il faut rappeler que la Constitution en fait un pouvoir indépendant de l‘exécutif – a annoncé les résultats de l’élection présidentielle organisée à la suite du décès de Hugo Chavez le 5 mars dernier. Sa présidente, Tibisay Lucena, a d’abord précisé que ces résultats étaient fondés sur la totalisation des suffrages exprimés par 99,12 % des électeurs, ce qui les rendait « irréversibles » quelles que soient les options des 0,88 % du corps électoral non encore pris en compte à ce moment-là.

Les scores respectifs, actualisés le lendemain, lors de la proclamation officielle, par le CNE, de la victoire du successeur du Comandante (avec une participation de 79,8 %) sont les suivants :

  • Nicolas Maduro, candidat du PSUV et de 13 autres partis : 50,75 %
  • Henrique Capriles, candidat de la droite regroupée dans la Table d’unité démocratique (MUD) : 48,98 %
  • Les 5 « petits » candidats : 0,27 %

Le résultat est donc très serré : 262 473 voix (sur un total d’environ 15 millions), soit 1,77 %, séparent Maduro de Capriles. Ce dernier l’emporte dans 8 Etats, dont 6 qui avaient pourtant à leur tête des gouverneurs « chavistes ». Nicolas Maduro arrive en tête dans les 16 autres Etats, mais cette résistance ne saurait dissimuler le sévère avertissement donné par le peuple « bolivarien » à ses dirigeants. Il faut maintenant analyser les raisons de cette victoire à l’arraché, et ses conséquences sur l’avenir du mouvement bolivarien, tant au Venezuela que dans le paysage géopolitique latino-américain.

Ces questions appelleront probablement des réponses diverses. En revanche, il est en est une qui ne saurait laisser place au moindre doute : celle de la sincérité du scrutin. C’est pourtant l’angle d’attaque préparé de longue date par la MUD et ses relais à Washington, à Madrid et dans différentes autres capitales, ainsi évidemment que dans les grands médias. L’objectif est connu : discréditer le verdict des urnes en vue d’affaiblir et même de déstabiliser le président qui en est issu. Le faible écart de voix entre les deux candidats n’a fait qu’exacerber cette démarche.

Sans entrer dans tous les détails techniques, il faut rappeler que, au Venezuela, le vote est totalement informatisé au niveau national. Il faut aussi savoir que les spécialistes désignés par l’opposition ont accès à toutes les spécificités de ce dispositif connu sous le nom de « Système d’authentification intégré » (SAI). Plusieurs de leurs propositions ont d’ailleurs été reprises par le CNE afin de garantir davantage, s’il en était besoin, l’anonymat et la transparence des opérations électorales.

Mais la grande différence avec d’autres modes de scrutin électronique réside dans le fait que le SAI ne se contente pas d’envoyer dans le cyberespace les données des votes d’électeurs qui n’auraient aucun moyen de savoir si, à l’arrivée, dans les centres de totalisation, on retrouve bien le contenu du bulletin émis au départ : il génère également des « reçus » papier dont les électeurs peuvent vérifier qu’il est bien conforme à leur choix. Une fois cette vérification effectuée, ils glissent ensuite ce reçu dans une urne placée dans le bureau de vote. En d’autres termes, au moment du dépouillement, auquel assistent les représentants des candidats et les électeurs qui le souhaitent, il est facile de vérifier l’adéquation entre les totalisations électroniques et les totalisations papier. Par ailleurs, aucun envoi ne peut être effectué sans le procès verbal signé des représentants des candidats.

Pour plus de précautions, et selon les règles du CNE, ce rapprochement des résultats est effectué systématiquement dans 54 % des quelque 39 000 bureaux de vote que compte le pays. Garantie supplémentaire : ces bureaux de vote sont désignés de manière totalement aléatoire, et après la clôture du scrutin, ce qui interdit d’éventuelles manipulations programmées à l’avance, et qui seraient de toute manière techniquement impossibles à réaliser.

Pour ceux qui douteraient encore de la fiabilité du SAI, il suffit d’en lire les éloges publiés non pas par le CNE, mais par le principal quotidien d’opposition, et acteur de premier plan du coup d’Etat du 11 avril 2002 contre le président Chavez : El Nacional. Dans son édition datée du 13 avril, veille du scrutin, dans sa page 3, ce journal s’est vu obligé de démentir certains mensonges grossiers, mais largement colportés par certains de ses amis, sur le « flicage » et le « trucage » du SAI. Ce paradoxe pourra étonner car, on s’en doute, El Nacional n’a aucune intention de rendre service au gouvernement. L’explication est simple : ses dirigeants ont pris conscience in extremis que leurs campagnes de dénigrement et leur dénonciation obsessionnelle de la « fraude » à venir risquaient de dissuader leurs électeurs de participer à un vote censé leur occasionner des ennuis par la suite, et qui serait de toute manière falsifié. Autant de voix qui ne se porteraient pas sur le candidat Capriles !

Que dit, en effet, El Nacional  ? Un premier article, intitulé « Le vote est secret et blindé » est précédé de ce « chapeau » : « Les machines à voter ont des programmes qui empêchent de reconstituer les informations sur les électeurs ». Plus bas, sous le titre « Réponses aux mythes les plus fréquents », le quotidien se livre à un jeu de questions-réponses sur le SAI. Sont dénoncées comme « fausses » les allégations suivantes, dont certaines donnent une idée du niveau d’intoxication : « La bidirectionnalité des machines permet de modifier les votes »  ; « Le vote n’est pas secret et peut se reconstituer avec le SAI » ; « Le SAI permet aux chavistes de savoir combien de personnes ont voté et de transporter les électeurs » ; « Jamais l’opposition n’a eu d’observateurs dans la salle de totalisation du CNE » ; « Il existe une salle de totalisation secrète » ; « Il est possible d’intercepter la transmission par satellite de l’information qu’envoie le CNE »  ; « Il existe un câble sous-marin qui envoie l’information à Cuba où les résultats dont modifiés » ; « Il y a plus d’électeurs que de citoyens »  ; « Les morts votent ».

Résumons :

  • dans chaque bureau de vote, les représentants de Henrique Capriles et de Nicolas Maduro ont signé le procès-verbal certifiant l’authenticité des données envoyées aux centres de totalisation ;
  • dans 54 % des bureaux de vote a déjà été effectué un rapprochement entre les données électroniques et les données papier, sans qu’un seul cas de non adéquation ait été signalé au CNE ;
  • Henrique Capriles, sans citer le moindre exemple concret, conteste l’addition des données centralisées aux niveaux régional puis national.

Le candidat de la droite sait parfaitement que si un rapprochement papier/électronique est effectué dans les 46 % de bureaux de vote où seul a été pris en compte le vote électronique, il donnera exactement les mêmes résultats que ceux déjà transmis aux centres de totalisation. La campagne de désinformation massive de la MUD a cependant été très efficace auprès de ses propres sympathisants : contre toute évidence, beaucoup d‘entre eux sont sincèrement persuadés que le vote a été truqué.

Chauffés à blanc par Henrique Capriles, qui a réclamé avec véhémence devant les caméras un recomptage à 100 % – avant même d’utiliser les voies de recours prévues à cet effet par le CNE – ils ont commencé, dès le 15 avril, à se livrer à un remake, pour l’instant à petite échelle, du coup d’Etat du 11 avril 2002. A Caracas et dans plusieurs villes de province, des rues ont été bloquées par des pneus incendiés par des jeunes manifestants ; au moins huit personnes ont été tuées et des dizaines blessées dans des affrontements ; des sièges du PSUV et du CNE ont été incendiés ; les bureaux de deux chaînes publiques de télévision (Telesur et Venezolana de Television) ont été assiégés ; des centres médicaux dans lesquels opèrent des médecins cubains ont été attaqués par des émeutiers ; les domiciles de la présidente du CNE et du père de l’ancien ministre de l’information ont été encerclés, etc. Et les concerts de casseroles ont commencé le 15 avril au soir dans les beaux quartiers.

Pour couronner le tout, Capriles avait appelé à une marche sur le siège du CNE le mercredi 17 avril. Il a dû y renoncer au terme d’une longue et laborieuse déclaration dans laquelle il faisait porter au gouvernement la responsabilité des violences et affirmait à ses partisans désireux d’en découdre que des provocateurs chavistes allaient faire dégénérer la manifestation… En fait, l’opération ne faisait pas l’unanimité au sein de la MUD car elle redonnait à la droite un visage putschiste dont elle avait réussi à se défaire partiellement en reconnaissant une Constitution bolivarienne qu’elle avait violemment combattue et en participant aux élections selon les modalités prévues par ce texte. Au passage, on doit signaler que, en décembre 2012, Capriles avait été élu gouverneur de l’Etat de Miranda avec un score très faible (52 %) et en utilisant le même dispositif de vote qu’il veut aujourd’hui disqualifier…

Le rapport de forces de 2013 n’est cependant plus celui de 2002. Les centaines d’observateurs internationaux déployés sur l’ensemble du territoire vénézuélien, en premier lieu ceux de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), ont constaté la totale régularité du scrutin, et donc la légalité de la proclamation, par le CNE, de Nicolas Maduro comme président de la République bolivarienne du Venezuela. Tous les chefs d’Etat latino-américains ont reconnu le résultat et félicité le nouveau locataire du palais de Miraflores. Lors de sa prise officielle de fonctions, le vendredi 19 avril, à laquelle sont invités tous les dirigeants du monde, il sera intéressant voir quelles chaises resteront – ou pas – vides, en particulier celle des Etats-Unis qui ont repris à leur compte l’argumentaire de Capriles…





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