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Au Mexique plus qu’ailleurs, être au gouvernement ne signifie pas détenir le pouvoir

Par Christophe Ventura

lundi 24 septembre 2018   |   Christophe Ventura
Lecture .

Table-ronde sur l’élection de Andrés Lopez Manuel Obrador au Mexique dans L’Humanité (14 septembre 2018). Avec Hélène Combes, Roberto Valdonidos, Christophe Ventura.

Mémoire des luttes reproduit les propos de Christophe Ventura.

Pour avoir accès à l’ensemble de cette table-ronde : https://www.humanite.fr/table-ronde-quel-projet-de-transformation-de-gauche-pour-le-mexique-660668

Christophe Ventura, chercheur à l’Iris

L’élection de Andrés Manuel López Obrador à la tête de la république du Mexique s’est placée sous l’égide d’un « projet alternatif » pour le pays centre-américain. En quoi ce projet constitue-t-il une rupture « historique » avec les politiques mises en oeuvre par les gouvernements précédents ?

AMLO a donné un nom à ce projet pendant sa campagne : la « quatrième transformation » du Mexique. Le nouveau président inscrit ainsi son orientation dans l’histoire longue du pays et associe son action aux grands moments de modernisation et d’avancées démocratiques et sociales qu’il a pu connaître sous Miguel Hidalgo (Indépendance), Benito Juarez (la « Reforma »), Francisco Madero (la Révolution).

On peut résumer ce projet de la manière suivante : refonder l’Etat national au service d’une société plus juste « pour le bien de tous, et d’abord des pauvres », comme il l’a indiqué lors de son discours de victoire.

Ce projet est également celui d’une nation plus autonome. Il s’agit ici de reconstruire la souveraineté du Mexique, du point de vue de son modèle de développement économique – largement soumis aux chaînes de production et de valeur nord-américaines – et géopolitique. AMLO entend inscrire le développement mexicain dans le cadre d’un marché intérieur tiré par une consommation populaire plus forte et des secteurs productifs et industriels nationaux affirmés.

AMLO promet une alliance entre une fraction de la bourgeoisie nationale productive, qui considère qu’il faut assainir un pays devenu quasi ingouvernable pour que puissent continuer à se développer les activités économiques, et les secteurs populaires qui revendiquent des transformations profondes dans le pays, sur le plan démocratique et social.

Ces objectifs sont, dans le contexte de décomposition très avancé du tissu social et de l’Etat (on parle du Mexique comme d’un « narco-Etat », rongé par la corruption généralisée, la violence et les collusions avec le crime organisé), radicaux. Pour voir le jour, ils devront impliquer une révision progressive mais structurelle des rapports politiques, économiques et géopolitiques du Mexique avec son écosystème régional, et notamment avec l’encombrant partenaire nord-américain.

Quels sont les obstacles auxquels devra faire face ?

Au Mexique plus qu’ailleurs, être au gouvernement ne signifie pas détenir le pouvoir, surtout lorsqu’il s’agit d’y mener des politiques à contre-courant des intérêts établis. Face à lui, AMLO – qui , contrairement à Lula au Brésil dans les années 2000, détient tous les leviers du pouvoir politique (gouvernement, législatif, Etats et municipalités) – trouvera d’autres pouvoirs : le narcotrafic, la violence politique, un « Etat profond » alimenté par les intérêts troubles des forces armées et de l’appareil sécuritaire, l’hyperpuissance des pouvoirs économiques et financiers, auxquels s’ajoutent les problèmes de pauvreté, d’inégalités et de dépendance du modèle économique aux Etats-Unis.

Quelle est l’état d’esprit de la société civile mexicaine après cet événement ?

La victoire d’AMLO – premier président de centre-gauche élu depuis la transition démocratique (inachevée) de 2000 – constitue un événement démocratique tectonique. Le système bipartite traditionnel et corrompu est affaissé.

Cette victoire est d’abord une insurrection démocratique, la tentative de prendre d’assaut l’Etat avant qu’il ne sombre définitivement dans la catégorie « Etat failli ».

Néanmoins, les mouvements populaires savent que le plus dur va commencer et qu’AMLO ne pourra avancer qu’en fonction de la mobilisation de la société. Et jusqu’où intérêts des secteurs populaires et de la fraction de la bourgeoisie « nationale » pourront ils coïncider ?





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