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Chronique - juin 2008

Ce que cachent les abrazos de Lima

samedi 7 juin 2008   |   Bernard Cassen
Lecture .

Y a-t-il des régions du monde avec lesquelles l’Union européenne (UE) entend développer des relations privilégiées ? La réponse est oui : toutes ! Mais en donnant à chacune le sentiment qu’elle bénéficie d’un traitement particulier. Le cinquième Sommet Amérique latine/Caraïbes/UE, tenu à Lima le 16 mai dernier – c’était le cinquième du genre, le précédent ayant eu lieu à Vienne en mai 2006 –, en a fourni une illustration éloquente. Les délégations des 33 gouvernements de l’hémisphère, auxquels s’étaient joints les représentants des 27 Etats membres de l’UE, ont pu avoir l’impression que cette dernière était sous influence « latine », puisque même le chancelier autrichien, Alfred Gusenbauer, eut l’élégance de s’exprimer en espagnol. Surtout deux des principaux porte-parole de l’UE y ont été le Portugais José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et José Luis Rodriguez Zapatero qui déclara, lors de la session de clôture, que « l’Espagne est européenne et latino-américaine ». De plus, pour renforcer ce sentiment d’affinité, c’est son gouvernement qui, au premier semestre 2010, exercera la présidence de l’UE et sera donc, es-qualités, l’hôte du sixième Sommet.

La réalité est un peu moins romantique. A Lima, certes avec force abrazos, l’UE visait les mêmes objectifs que ceux qu’elle veut atteindre dans ses négociations avec la Corée du Sud, le Maroc, les pays du Golfe, l’Inde, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), etc. : des accords d’association incluant des traités de libre-échange, mais allant au-delà, notamment en matière d’accès aux ressources naturelles et aux sources d’énergie, de droit des investisseurs contre les Etats, de propriété intellectuelle (en particulier de brevetabilité du vivant). Cette stratégie a été formalisée dans le document intitulé Global Europe : une Europe compétitive dans un marché mondialisé, publié en novembre 2006 par la Commission européenne et approuvé par les Vingt-Sept au printemps 2007. Il s’agit, par des accords bilatéraux et birégionaux, d’obtenir ce qui n’a pas encore pu l’être dans le cadre du Cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

En Amérique latine, cette démarche passe par des accords d’association avec l’Amérique centrale, le Mercosur et la Communauté andine des nations (CAN), tous en cours de négociation. Ces accords sont cependant beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre que dans d’autres parties du monde en raison de l’existence de gouvernements et de mouvements populaires qui contestent le principe même du libre-échange comme fondement des rapports entre nations et régions. D’autant plus qu’il existe déjà un autre modèle possible d’intégration coopérative : l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) dont font partie la Bolivie, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela.

La Cumbre de los pueblos, tenue dans la capitale péruvienne du 13 au 16 mai, a montré la contradiction entre le libre-échange et les bonnes intentions publiquement affichées dans le communiqué final du Sommet officiel : lutte contre la pauvreté, l’analphabétisme, la malnutrition et le changement climatique. Par ailleurs, le Tribunal permanent des peuples, lui aussi réuni à Lima , a dénoncé les agissements anti-sociaux et anti-écologiques des transnationales européennes, telles Repsol, Suez, Bayer et HSBC, en Amérique latine. Un gouffre sépare les échanges diplomatiques des Sommets et la réalité concrète vécue par la grande majorité des populations de l’Amérique latine et des Caraibes. Ce n’est pas la Déclaration de Lima qui va le combler.





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