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Chronique - mai 2008

Contre l’atlantisme linguistique

mercredi 7 mai 2008   |   Bernard Cassen
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Dans son discours d’investiture du 8 avril dernier, M. José Luis Rodriguez Zapatero a annoncé des programmes d’amélioration du niveau de connaissance de l’anglais par les élèves espagnols. De l’anglais et d’aucune autre langue. Il s’inscrit ainsi dans la continuité de politiques linguistiques dont la caricature avait été fournie par le précédent gouvernement de M. Silvio Berlusconi qui avait décidé de rendre l’anglais obligatoire dès l’école primaire et de permettre aux familles d’utiliser les horaires de deuxième langue au collège et au lycée pour l’apprentissage de l’anglais. Le gouvernement Prodi avait abrogé cette dernière mesure, mais on peut penser qu’elle sera rétablie par le Cavaliere.

En France, le rapport remis au président de la République Nicolas Sarkozy par M. Jacques Attali (ancien conseiller spécial de François Mitterrand) préconise, entre autres, le développement de l’anglais « du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche ». Anticipant la mise en œuvre des conclusions de ce rapport, la ministre de l’enseignement supérieur, Mme Valérie Pécresse, demande déjà que les universités françaises mettent en place des enseignements des différentes disciplines en anglais. Ce sont ainsi les autorités de trois grands pays de l’Union européenne (UE) qui veulent faire basculer leur système éducatif vers le « tout-anglais ».

Cette politique est non seulement anti-européenne, mais économiquement absurde. Il est significatif que ce soit la Commission européenne elle-même, pourtant peu suspecte d’hostilité à l’anglais, qui ait cru nécessaire de rappeler certaines décisions déjà prises et également certaines évidences. C’est à Barcelone, en mars 2002, que le Conseil européen avait décidé que chaque Etat membre devrait développer l’enseignement de deux langues étrangères, sans en privilégier aucune. C’est bien le minimum pour promouvoir le plurilinguisme officiellement inscrit dans les textes fondateurs de l’UE.

Contrairement au mythe selon lequel l’anglais serait la langue unique des échanges internationaux, la Commission vient de signaler que les entreprises européennes perdent beaucoup de marchés à l’exportation parce qu’elles ne connaissent pas la langue des clients, qui sont très loin d’être tous anglophones. C’est l’ancien chancelier Helmut Schmidt qui avait fait cette remarque de bon sens dans les années 1970 : « Je vends en anglais, mais j’achète en allemand ». Sans parler des raisons culturelles, c’est pour obéir à des impératifs économiques que le plurilinguisme devrait s’imposer dans l’enseignement. De plus, et contrairement au dogme libéral de la « concurrence libre et non faussée », l’utilisation de l’anglais comme seule langue véhiculaire confère un énorme avantage non seulement aux Etats-Unis, mais aussi au Royaume Uni qui, selon une étude réalisée par un universitaire suisse, François Grin, économise ainsi chaque année 17 milliards d’euros !

Une mesure autrement plus intelligente, sans renoncer à l’anglais, serait de donner la priorité à l’enseignement de l’intercompréhension écrite et orale entre langues romanes (catalan, espagnol, français, italien, portugais, roumain) qui permettrait déjà à plus de 200 millions de ressortissants de l’UE de se comprendre en parlant ou écrivant chacun dans sa langue. Les méthodes pédagogiques existent. Elles ne demandent qu’à être mises en œuvre. Quel gouvernement sera assez « européen » pour rompre avec l’atlantisme linguistique ?





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