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Enjeux d’une élection en forme de défi pour le chavisme : entretien avec Romain Migus dans « L’Humanité »

dimanche 6 décembre 2015   |   Romain Migus
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Les élections législatives se déroulent dans un climat tendu sur le plan économique en raison de la chute du cours du pétrole. La baisse du prix des matières premières dont souffre toute l’Amérique latine suffit-elle à expliquer la crise ?

Romain Migus. Si la baisse des prix des matières premières a touché tous les pays de la région, le Venezuela a été terriblement affecté. Son économie est dépendante de son exploitation pétrolière, qui représente 98 % de ses exportations, et donc de ses rentrées de devises, et 50 % des recettes fiscales. La baisse de plus de la moitié de la valeur du brut depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro, en 2013, a considérablement amputé le budget de l’État vénézuélien. À cela s’ajoute une guerre économique qui rappelle le mot d´ordre du président Nixon contre le Chili d’Allende : « faire crier l’économie » locale. La contrebande de produits de première nécessité, d’essence, ou encore de la monnaie vénézuélienne ont des conséquences néfastes sur la qualité de vie. Depuis la mort d’Hugo Chavez, en 2013, la valeur du dollar au marché noir a augmenté de 8 900 %, ce qui crée une distorsion sans précédent entre le prix des produits au Venezuela et leur revente à l’étranger, notamment en Colombie. Ainsi, pour le prix d’un dollar changé au taux du marché noir, on peut acheter 9 300 litres d’essence au Venezuela. Cette guerre économique, si souvent décriée dans les médias internationaux, est rendue possible par la participation du narco-paramilitarisme colombien et la complicité du gouvernement de Bogota.

Quelles en sont les conséquences ?

Romain Migus. Cette guerre économique produit des effets épouvantables : baisse du pouvoir d’achat, pénurie de produits de base, files d’attente. C’est le moral de la base populaire du chavisme qui est attaqué de plein fouet. Le but de cette offensive économique est de « retourner » électoralement la population lors du prochain scrutin législatif. Pas besoin d’attendre trente ans et le déclassement de documents pour comprendre que la puissance impériale a lancé une attaque sans précédent contre le Venezuela bolivarien dans le but de reconquérir cette source d’approvisionnement en énergie.

La majorité chaviste a-t-elle créé les conditions pour se dégager du modèle économique de la rente pétrolière et réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur ?

Romain Migus. Bien entendu, ceci n’est possible que parce que la révolution bolivarienne n’a pas pu, malgré les efforts en ce sens du président défunt Hugo Chavez, développer un appareil productif industriel et agricole. Le passage d’une économie de rente à une économie productive implique aussi un changement culturel qu’il est difficile d’établir en une ou deux décennies. Même si la part de l’activité non pétrolière dans le PIB est en constante augmentation depuis 2003 et est sept fois supérieure à la part de l’économie pétrolière, cette dernière demeure la seule à générer les devises étrangères nécessaires aux importations. Le problème principal de l’activité non pétrolière au Venezuela est qu’elle est surtout fondée sur les services. La part de la production agricole reste minime et l’alimentation des Vénézuéliens est donc sujette aux importations qui se réalisent avec les devises. Cette crise exprime moins un rejet du modèle bolivarien que du système rentier et de la culture de la rente.

Comment ce contexte économique a-t-il influencé les politiques d’inclusion sociale qui ont été la cheville ouvrière des succès électoraux du chavisme jusqu’à présent ?

Romain Migus. La réaction du gouvernement bolivarien face à cette crise économique est une leçon pour l’Europe néolibérale. Malgré la chute spectaculaire du budget de l’État, les programmes sociaux n’ont pas été amputés. L’État considère que ce ne sont pas les plus démunis qui doivent supporter le poids d´une crise dû à l’effondrement du cours du brut. D’où, d’ailleurs, le côté pernicieux de la guerre économique. La spéculation contre le bolivar (la monnaie nationale – NDLR) et la contrebande organisée ont été induites pour retourner cette tendance gouvernementale contre les plus humbles, et faire de leur vie un calvaire.

La majorité présidentielle peut-elle perdre les élections face à une opposition de droite ?

Romain Migus. En raison de la situation décrite précédemment, il est sûr que le chavisme affronte le scénario électoral le plus compliqué depuis son accession au pouvoir. Néanmoins, et à rebours de ce que la presse internationale nous annonce, le Parti socialiste unifié du Venezuela (Psuv) et ses alliés pourraient profiter du système électoral, qui attribue 70 % des postes de députés de manière nominale et 30 % à la proportionnelle. Fort d’une organisation politique efficace, le Psuv pourrait dégager une courte majorité de députés qui ne refléterait pas le pourcentage total 
de votes exprimés en sa faveur. Il ne s’agit pas d’une incohérence démocratique, la plupart des démocraties européennes fonctionnent ainsi, et peu de voix s’élèvent pour dénoncer un tel système. Dans ce cas, il est à craindre que l’opposition crie à la fraude et se lance dans une de ses aventures antidémocratiques dont elle a le secret.

 

Source : http://www.humanite.fr/venezuela-le-scrutin-le-plus-complique-quont-eu-affronter-les-chavistes-591619





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