Initiatives

Et maintenant,
le post-altermondialisme…

dimanche 25 janvier 2009   |   Bernard Cassen
Lecture .

Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac

Chaque mouvement social ou politique est façonné par le contexte dans lequel il a pris naissance. Lorsque ce contexte se modifie sensiblement, la question se pose à lui de savoir s’il doit poursuivre linéairement sa trajectoire, au risque de se transformer en objet « vintage », ou bien s’il doit reconsidérer ses présupposés pour s’adapter à la nouvelle donne. Telle est la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui le mouvement altermondialiste.

S’il n’est pas advenu par génération spontanée, ce mouvement acquiert son identité propre et sa visibilité au tournant du siècle dernier, avec trois dates symboliques : 1998 (création d’Attac à l’initiative du Monde diplomatique), 1999 (Seattle), et 2001 ( premier Forum social mondial à Porto Alegre). Le fait qu’on lui donne un nom - d’abord « anti-mondialiste » puis « alter- mondialiste » -, est significatif : il faut inventer un mot pour cristalliser la naissance d’un phénomène nouveau. Pour autant, tout le monde ne met pas le même sens derrière ce mot car le mouvement est une nébuleuse d’organisations qui ont chacune leur finalité, sont parfois concurrentes et se retrouvent seulement côte à côte de manière ponctuelle, principalement à l’occasion des forums sociaux. En raison de son hétérogénéité, ce mouvement ne peut avoir ni structuration permanente ni programme commun. Son unité se réalise seulement dans le rejet des politiques néolibérales et dans la conviction que cette réalité n’est pas immuable : « un autre monde est possible ».

A la fin des années 1990, la forteresse néolibérale est au faîte de sa puissance : tous les gouvernements appliquent strictement les préceptes libéraux ; les traités européens les verrouillent, comme le font la Banque mondiale, le FMI et l’OMC à l’échelle planétaire. Cette toile de fond, se combinant à la diversité des composantes du mouvement altermondialiste, explique pourquoi la culture moyenne de ce dernier est une culture de contre-pouvoir, d’hostilité à tous les gouvernements (ou presque) et de méfiance envers les partis.

Une décennie plus tard, la situation est bien différente. Le capitalisme est entré dans une crise structurelle [1]. Le FMI, la Banque mondiale et l’OMC sont affaiblis et discrédités. Surtout, en Amérique latine, des gouvernements à forte assise sociale, à commencer par celui du Venezuela, mettent en œuvre des politiques de rupture allant dans le même sens que celles réclamées à l’occasion des Forums : les forces populaires ne sont pas condamnées au statut d’éternelles opposantes. Le mouvement se trouve au pied du mur : va-t-il faire comme si de rien n’était, se draper dans son autonomie, et avoir avec Hugo Chavez, Evo Morales, Rafael Correa ou Fernando Lugo, les mêmes rapports qu’avec Felipe Calderon, Nicolas Sarkozy et, demain, Barack Hussein Obama ?

C’est pour répondre à ce nouveau cadre historique que, lors d’un colloque tenu en janvier 2008, l’association Mémoire des luttes (www. medelu.org) a avancé le concept de « post-altermondialisme ». Là aussi, il fallait bien « baptiser » une perspective inédite. De quoi s’agit-il ? Certainement pas de se substituer au mouvement altermondialiste qui conserve toute sa pertinence comme facteur de « conscientisation » et d’agglutination de forces très diverses. Il s’agit - à partir de lui, et pas contre lui ou à sa place - de procéder à un essaimage, d’imaginer de nouvelles configurations prenant notamment la forme d’actions et d’initiatives communes entre les mouvements sociaux qui le désirent et les partis et gouvernements engagés dans des processus de profonde transformation sociale.

Les expériences menées en Amérique latine ne sont pas transposables telles quelles, par exemple en Europe. Sauf une : le primat de la volonté politique, l’irruption de la souveraineté populaire. Ce sont ces lointaines têtes de pont que, sans suivisme, il faut faire connaître et soutenir parce que s’y joue aussi une partie de notre avenir commun. Voilà la feuille de route du post-altermondialisme.




Ce texte reprend les principaux élément de l’intervention de Bernard Cassen lors de la journée d’études "Face à la crise, quel altermondialisme", qui s’est tenue à Paris le 17 janvier. Il a également été publié dans L’Humanité du 24 janvier. L’ensemble des interventions est disponible sur le site de ce quotidien : http://www.humanite.fr/.


[1Lire Ignacio Ramonet, Le Krach parfait, Galilée, Paris, 2009.



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